Intervention de Thani Mohamed Soilihi

Réunion du 19 octobre 2020 à 17h00
Prééminence des lois de la république — Adoption d'une proposition de loi constitutionnelle dans le texte de la commission

Photo de Thani Mohamed SoilihiThani Mohamed Soilihi :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, alors que nous débattons de la prééminence des lois de la République, nous sommes tous hantés par le crime, d’une violence inouïe, qui a pris pour cible Samuel Paty, professeur de l’école de la République. Nous nous inclinons devant sa mémoire et manifestons notre solidarité à sa famille et à la communauté éducative.

Quand le terrorisme s’attaque à l’école républicaine, à la liberté et à l’esprit des Lumières qui la fondent, à la possibilité pour tous les enfants de devenir des citoyens libres, la sidération première laisse la voie à la nécessité de l’action, pour que cela ne soit plus. Nous nous accorderons tous sur ces travées pour affirmer l’impérieuse nécessité de rappeler sans cesse le réveil républicain face aux obscurantismes. Mais ce constat, partagé avec une profonde gravité, n’est pas tout. Il ne constitue pas une fin en lui-même.

Tout l’enjeu pour nous, législateurs, est de savoir comment animer effectivement ce réveil républicain. Par quels moyens ? À quel niveau d’intervention ?

Le texte que nous examinons matérialise cette problématique non pas seulement de la réponse proposée, mais bien de la solution apportée. À ce titre, il nous apparaît qu’il appelle des réserves importantes.

À commencer par son intitulé. La présente proposition de loi constitutionnelle viendrait « garantir la prééminence des lois de la République ». Cette formulation est étonnante puisque, dans notre État de droit fondé sur la hiérarchie des normes, les lois de la République sont, au sens institutionnel, prééminentes. Elles s’imposent aux textes de rang inférieur et fondent le contrôle de légalité. Cette assertion tautologique interroge donc, et je parlerai plutôt dans la suite de mon propos de « respect des lois de la République », qui constitue en réalité le cœur du défi qui se pose à nous.

Dans le prolongement de son intitulé, l’article 1er de la proposition de loi vient insérer une nouvelle phrase dans l’article 1er de la Constitution : « Nul individu ou nul groupe ne peut se prévaloir de son origine ou de sa religion pour s’exonérer du respect de la règle commune. »

Pardonnez-moi, mes chers collègues, mais cette phrase nous renvoie inévitablement à ce que prévoient explicitement l’article 1er de la Constitution de 1958 et l’article VI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui posent les principes d’unicité et d’égalité, et dans lesquels le Conseil constitutionnel puise les fondements de la jurisprudence à laquelle les auteurs de la proposition de loi se réfèrent.

Je me limiterai à citer l’article VI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui est assez explicite : « [La loi] doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. » L’article 1er du présent texte semble donc déclaratoire et satisfait par le droit constitutionnel en vigueur.

Enfin, l’article 2, en disposant que les partis et groupements politiques sont également soumis au principe de la laïcité, ne semble pas non plus de nature à réaliser l’objet qu’il vise.

Outre l’enjeu de dénaturation du principe de laïcité tel qu’il est compris dans notre Constitution, les débats en commission ont montré la difficile appréciation du champ d’application de l’article.

Il s’agirait, selon les auteurs de la proposition de loi, de lutter contre les partis et groupements communautaristes, sans toutefois fragiliser les partis « issus d’une tradition religieuse, mais respectant l’unicité du peuple français, comme les partis issus de la démocratie chrétienne ». Ce champ ne correspond pas à la lettre de l’article 2, et les effets de bord, par rapport aux objectifs initiaux, sont évidents.

En tout état de cause, il faut bien rappeler que les groupements politiques sont soumis au respect de la loi et agissent dans la limite de la sauvegarde de l’ordre public.

Finalement, comme en témoignent la stratégie de lutte contre le séparatisme précisée par le Président de la République au début de ce mois, ainsi que les débats en commission sur la dissolution des associations et les différents domaines visés par l’exposé des motifs, l’axe pertinent pour garantir effectivement le respect, par tous, des principes et des lois de notre République apparaît relever du niveau de la loi.

Ainsi, afin de « renforcer la laïcité et consolider les principes républicains », il pourrait être possible, à droit constitutionnel constant, de suspendre des actes municipaux relatifs à la régulation de l’accès des hommes aux piscines à certains horaires, d’étendre des obligations de neutralité aux entreprises délégataires du service public, d’étendre les motifs de dissolution des associations aux atteintes à la dignité de la personne, ou encore de mieux encadrer le financement public des associations.

En somme, mes chers collègues, ne dressons pas de vaines et fausses oppositions entre ceux qui, d’un côté, soutenant la présente proposition de loi, seraient pour le réveil républicain face aux comportements séparatistes se logeant jusque dans les interstices du quotidien et ceux qui, de l’autre côté, exprimant de sérieuses réserves sur la pertinence de son contenu, seraient des partisans de l’inaction, de la fébrilité ou de l’abandon sur le terrain des idées.

Car l’enjeu des lois réside dans leur contenu normatif, pas dans l’intention performative. Dire qu’une proposition de loi « garantit la prééminence des lois de la République » ne revient pas à assurer effectivement le respect par chacun des principes de la République. De même, ne pas voter un texte ne revient pas toujours à s’opposer à son objet.

L’enjeu, je veux ici le redire, est l’angle d’attaque, la méthode de fond que nous choisissons pour assurer le plein respect des principes et des lois de notre République. En tant que législateurs, nous devons être à la hauteur de la gravité du réel, qui appelle plus qu’une réponse symbolique et déclaratoire au sein de notre Constitution.

Pour toutes ces raisons, notre groupe ne pourra pas voter ce texte.

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