Intervention de Alain Richard

Réunion du 20 octobre 2020 à 14h30
Plein exercice des libertés locales — Discussion d'une proposition de loi constitutionnelle et d'une proposition de loi organique dans les textes de la commission

Photo de Alain RichardAlain Richard :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous statuons, cet après-midi et ce soir, sur l’initiative de groupes politiques qui entendent apporter un accroissement, d’ailleurs plutôt volumineux, à la Constitution sur le champ des relations entre l’État et les collectivités territoriales, relations que ces groupes se donnent pour objectif de transformer en profondeur.

En prenant un peu de recul, j’observe qu’il y a dix-huit ans une majorité politique identique portait la réforme constitutionnelle du 28 mars 2003, qui, de manière beaucoup plus sobre, a établi deux principes qui ont leur place dans la Constitution : celui de la République décentralisée et celui de la garantie des ressources financières des collectivités territoriales.

J’ajoute, pour montrer que l’enthousiasme à élargir la Constitution produit parfois peu d’effet, que, pour compléter le principe selon lequel les collectivités s’administrent librement par des conseils élus, un article 72-1 avait alors été introduit dans la Constitution pour permettre l’organisation de votes directs des citoyens – votes indicatifs ou délibératifs suivant les cas. Or si l’on fait le bilan des dix-sept dernières années, il en a été fait dans nos collectivités un usage particulièrement parcimonieux.

J’estime que cette proposition est d’ordre non pas constitutionnel, mais législatif. Une telle démarche a pour effet de « délayer » la Constitution en la faisant statuer sur des domaines qui ne sont pas de son niveau et de rigidifier la loi : des textes que l’on devrait pouvoir faire évoluer dans le temps par des lois sont ainsi figés dans la Constitution, leur modification nécessitant une procédure beaucoup plus contraignante, au point qu’il est parfois impossible de les modifier, comme nous le voyons sur un certain nombre d’autres sujets.

Nous pensons donc nous positionner de façon défavorable à cette proposition de loi constitutionnelle, et cela en raison de deux objections majeures.

La première tient à l’inscription dans la Constitution d’une faculté de créer des écarts de représentation de 1 à 3 entre citoyens pour l’élection de représentants au sein d’une même assemblée.

Je rappelle d’ailleurs à ceux qui font reproche au Conseil constitutionnel d’avoir établi une relation chiffrée de 1 à 1, 5, c’est-à-dire de 80 % de la moyenne à 120 % de la moyenne de population représentée, que cette disposition a été adoptée dans les deux assemblées lors de la révision des circonscriptions en 2009. Tout le monde a alors trouvé naturel de limiter à un écart de 1 à 1, 5 le pouvoir de vote et le pouvoir de participation à la délibération générale entre deux citoyens.

Je ne crois pas qu’il soit heureux de porter cet écart de 1 à 2 pour l’élection des assemblées territoriales – dans les conseils départementaux, certains représentants de canton auraient le même pouvoir de vote que deux représentants des cantons voisins – et de 1 à 3 pour l’élection des assemblées intercommunales. Cela nous paraît revenir sur un des principes ancrés dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

La deuxième objection sérieuse qui nous conduit à nous opposer à cette proposition est la volonté d’affaiblir, voire, en creux, d’abolir le pouvoir de l’État en matière de régulation des services publics lorsqu’ils donnent lieu à des transferts de compétences. L’idée de priver l’exécutif de son pouvoir réglementaire d’application de la loi lorsqu’il tend à régir des compétences qui ont été décentralisées, en oubliant que ces mêmes compétences consistent à exercer des services publics et à assurer des missions d’intérêt public au service des citoyens, cette idée de priver l’exécutif du pouvoir d’établir des normes générales qui sont des garanties d’égalité entre les citoyens nous paraît imprudente et insuffisamment délibérée.

J’ajoute qu’il existe un principe constitutionnel d’accessibilité du droit, en vertu duquel un citoyen doit pouvoir retrouver aisément quel est le droit applicable. Or, si certaines lois différaient dans leurs règles d’application entre nos 100 départements, cette accessibilité du droit deviendrait un défi.

Si ses auteurs ont sans doute des intentions louables, il me semble qu’il y a dans l’inspiration de cette proposition de loi constitutionnelle quelques préoccupations qui ne relèvent pas uniquement de la pensée éthérée et constitutionnelle, et que nous devons nous opposer à ces excès.

En revanche, comme l’a dit Mme la ministre, la proposition de loi organique, elle, établit un schéma de déroulement et de conclusion des expérimentations qui se rapproche du travail préparé par le Gouvernement après de longues concertations. Nous n’avons pas d’objection à cette proposition de loi organique et nous la soutiendrons.

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