Je salue à mon tour la qualité du travail accompli par nos deux assemblées sur ce texte qui pouvait apparaître comme particulièrement technique, mais qui, en réalité, aura un effet important dans la vie quotidienne de nos concitoyens. Dans le domaine économique, il contient en effet d'importantes évolutions visant à renforcer la protection des consommateurs et des acteurs économiques de certains secteurs.
Nous aussi avons regretté le recours massif aux ordonnances, introduites y compris en séance publique. Nous avons cependant joué le jeu de l'urgence et obtenu leur inscription « en dur » dès que c'était possible, afin qu'un véritable débat parlementaire ait lieu.
Nous avons complété le texte avec d'importants apports, comme en matière de « déserts vétérinaires » ou de pratiques commerciales déloyales entre des fournisseurs et la grande distribution, notamment en incluant les grandes centrales d'achat européennes dans la transposition de la directive du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur (PCD).
Vous avez à votre tour complété ce texte par d'importantes mesures. Je pense aux ajustements au service universel, à la définition par les metteurs en marché des biostimulants dans la loi française ou la possibilité pour la DGCCRF d'ordonner la suppression d'un nom de domaine, et non plus seulement de le bloquer, dans des cas précis.
Nous avons accompli un travail collectif très important, dans une logique de bonne entente et de coconstruction.
Nous regrettons cependant vivement que l'Assemblée nationale ait supprimé sans autre forme de procès l'article 4 bis, adopté à l'unanimité par le Sénat, lequel reprend une proposition de loi elle-même votée à l'unanimité du Sénat et qui avait été cosignée par plus de la moitié des sénateurs, tous groupes confondus. Cet article propose un nouvel encadrement des géants du numérique, à travers trois grandes dispositions : la neutralité des terminaux, l'interopérabilité des plateformes et le renforcement du contrôle des concentrations afin d'appréhender les acquisitions dites « prédatrices » des géants du numérique. Un quatrième dispositif avait été ajouté, afin de protéger les consommateurs contre les interfaces trompeuses.
Je déplore vivement qu'à ce stade nous ne soyons pas parvenus à un accord sur cet article. Mais peut-être le dernier moment de la CMP est-il celui qui permettra de sceller un compromis ?...
Il me semble qu'un compromis raisonnable pourrait être articulé autour de trois points. D'abord, une entrée en vigueur différée des volets relatifs à la neutralité des terminaux et à l'interopérabilité des plateformes, pour éviter de gêner les négociations à venir à l'échelon européen ; nous proposons de reporter de deux ans, ce qui est une éternité dans le domaine des marchés numériques, et laissera, hélas !, le temps aux géants du numérique de consolider leur position dominante. Nous sommes d'accord pour considérer que l'Europe est le niveau idéal. Mais si les négociations européennes n'aboutissent pas, il faudra une solution au niveau national. Ensuite, une suppression du volet relatif au droit des concentrations, considéré comme susceptible de compromettre l'écosystème français. Enfin, le maintien du volet relatif à la lutte contre les interfaces trompeuses, qui peut entrer en vigueur dès la publication de la loi, car il n'est pas envisagé qu'il soit traité par la Commission européenne à ce jour, alors qu'il envenime la vie de nos concitoyens tous les jours sur internet ; l'exemple type est celui de la case précochée qui nous conduit à souscrire à un service que nous ne souhaitons pas, et auquel il est particulièrement difficile de se désinscrire.
Il semble que vous rejetiez cette proposition de compromis en bloc. J'avoue ne pas bien comprendre pourquoi, à l'heure où même les États-Unis s'engagent dans une régulation plus ferme des géants du numérique ; en témoigne l'action du Département de la justice contre Google pour abus de position dominante. Vous refusez que la France propose d'ouvrir la voie en Europe, en attendant qu'une solution européenne soit arrêtée. Je ne comprends pas non plus que, alors même que l'exemple de la taxe sur les services numériques, dite taxe « Gafam », a montré l'intérêt d'un texte mobilisable au niveau national en cas de désaccord à un niveau supérieur, on ne parvienne pas à trouver un compromis.
Les dispositions adoptées par le Sénat rendraient du pouvoir aux consommateurs face aux géants du numérique dès maintenant ! Et derrière les consommateurs, il y a toutes les innovations et toutes les entreprises qui ne perdurent pas, faute de pouvoir concurrencer ces géants.
Il nous est difficile de ne rien obtenir lors de cette CMP, alors que nous avons dû en rabattre, si je puis dire, sur le Feader, et ce d'autant plus que vous nous demandez de nous « asseoir » sur un double vote unanime du Sénat.
Je rappelle qu'hier, dans le cadre du projet de loi d'accélération et de simplification de l'action publique (Asap), députés et sénateurs se sont entendus pour conclure sur une CMP qui présentait de nombreuses difficultés. J'ai eu d'excellents échos sur le travail de conciliation des rapporteurs de nos deux assemblées. Aussi, je n'envisage pas que nous échouions sur un seul sujet à propos duquel nous avons un accord sur le fond, et seulement un désaccord sur la méthode. J'espère donc que nous parviendrons à un compromis sur cet article 4 bis. Je proposerai un vote pour savoir si une majorité soutient la recherche d'un compromis plutôt qu'une CMP non conclusive.