Commission mixte paritaire

Réunion du 22 octobre 2020 à 9h35

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • CMP
  • compromis
  • consommateur
  • plateformes

La réunion

Source

Conformément au deuxième alinéa de l'article 45 de la Constitution et à la demande du Premier ministre, la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière (DDADUE) se réunit au Sénat le jeudi 22 octobre 2020.

Elle procède tout d'abord à la désignation de son bureau, constitué de M. Claude Raynal, sénateur, président, de Mme Pascale Boyer, députée, vice-présidente, de Mmes Valéria Faure-Muntian, Aurore Bergé et Cendra Motin, députées, rapporteures pour l'Assemblée nationale, et de MM. Jean Bizet et Laurent Duplomb, sénateurs, rapporteurs pour le Sénat.

La commission mixte paritaire procède ensuite à l'examen des dispositions restant en discussion.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Raynal

Sur les 25 articles, regroupant un ensemble hétérogène de dispositions, que comportait le texte initial déposé en première lecture au Sénat, 13 ont été examinés par la commission des finances saisie au fond, et 12 ont été délégués à la commission des affaires économiques.

Lors de l'examen du texte par le Sénat, 11 articles additionnels ont été adoptés et l'article 23, dont les dispositions prévues étaient devenues caduques, a été supprimé. Le projet de loi adopté par le Sénat comportait donc 36 articles.

L'Assemblée nationale a adopté 9 articles dans leur rédaction issue des travaux du Sénat, maintenu la suppression de l'article 23, supprimé un article, adopté avec modification 25 articles et introduit 8 articles additionnels.

En conséquence, 34 articles du projet de loi restent en discussion.

Debut de section - Permalien
Pascale Boyer, députée, vice-présidente

Je remercie le Sénat de nous accueillir pour cette commission mixte paritaire (CMP) sur un projet de loi visant à adapter notre législation au droit de l'Union européenne dans une large palette de secteurs.

Le texte que nous examinons aujourd'hui, fruit d'un dialogue constructif entre les deux chambres, améliorera grandement la vie de nos concitoyens. J'en veux pour preuve les dispositions relatives au secteur vétérinaire, au service numérique universel ou encore aux règles de concurrence et aux télécommunications. Quelques débats subsistent, mais je ne doute pas que, dans l'ensemble, nous parviendrons à trouver des solutions satisfaisantes pour nos deux assemblées.

Ce texte permet à la France de se mettre en conformité avec 18 directives et 14 règlements européens et d'être exemplaire en matière de transposition du droit de l'Union. L'exemplarité est une valeur que notre pays défend depuis le début de la construction européenne, mais elle est d'autant plus importante dans la perspective de la présidence française de l'Union européenne, qui débutera en janvier 2022.

Notre rôle me semble donc aujourd'hui de trouver la voie d'une conciliation, pour le respect de nos obligations européennes et le bien de nos concitoyens.

Debut de section - Permalien
Valéria Faure-Muntian, députée, rapporteure pour l'Assemblée nationale

L'activité législative européenne ayant été particulièrement riche et dynamique en matière économique et financière, il nous faut transposer un grand nombre de textes de droit européen en droit français.

Ce projet de loi, qui regroupe de nombreuses thématiques, comporte beaucoup d'avancées majeures. Il rehausse notamment la protection des consommateurs, permet l'adaptation du droit de la consommation à l'ère du numérique, renforce le pouvoir de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), améliore la lutte contre les pratiques commerciales déloyales, responsabilise les plateformes de vente en ligne et renforce le marché unique dans le secteur de la génétique, de la santé animale et du médicament vétérinaire. Il permettra de rendre plus efficace et plus rapide le droit de la concurrence et de moderniser le droit des communications électroniques.

Le texte comporte désormais 42 articles, dont 9 conformes, et un article a été supprimé.

L'Assemblée nationale a conservé un certain nombre d'apports du Sénat, notamment trois nouveaux articles concernant les vétérinaires - l'autorisation de la publicité pour les vaccins vétérinaires à destination des éleveurs professionnels, l'encadrement des actes vétérinaires réalisés par les élèves vétérinaires étudiants à l'étranger, mais stagiaires en France et, surtout, le dispositif innovant de lutte contre la désertification vétérinaire, sur le modèle du dispositif de lutte contre les déserts médicaux. Les sénateurs ont également apporté des précisions intéressantes pour limiter le champ des ordonnances et prévoir des délais de transposition en adéquation avec nos engagements européens.

La commission des affaires économiques a apporté un certain nombre de clarifications rédactionnelles et juridiques. Nous avons aussi amélioré la procédure simplifiée mise en oeuvre par l'Autorité de la concurrence, prévue à l'article 25, après un travail de concertation permettant de trouver un équilibre entre la célérité de la procédure et les droits de la défense. Nous avons aussi renforcé et précisé la portée opérationnelle des dispositions relatives au service universel.

Nous avons, en revanche, supprimé l'article 4 bis additionnel, issu d'une proposition de loi de Mme Sophie Primas, mais j'imagine que nous y reviendrons durant l'examen des articles.

La commission des finances a, pour sa part, veillé à l'alignement des délais d'habilitation sur les délais de transposition. Elle est également revenue sur la question du Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader), qui me semble aujourd'hui faire consensus.

Quant à elle, la commission des affaires culturelles a précisé les champs d'habilitation des deux articles dont elle avait été saisie au fond, avec également une sécurisation des « irrépartissables » juridiques et de nouvelles dispositions sur la chronologie des médias.

L'article 4 bis me paraît à ce stade le plus sensible dans le cadre de notre discussion. Nous avons supprimé cet article, qui visait à reprendre la proposition de loi sur le libre choix du consommateur dans le cyberespace. Sur la forme, cette disposition s'apparente, selon nous, à un cavalier législatif. Sur le fond, même si nous partageons les objectifs sous-tendus par cet article, il nous semble que nous devons faire confiance à l'Union européenne, la Commission européenne ayant pris des engagements forts dans le cadre du Digital Services Act qui sera présenté en décembre. Ce serait une erreur de freiner la construction du marché unique du numérique.

Debut de section - Permalien
Aurore Bergé, députée, rapporteure pour l'Assemblée nationale

Je reviendrai brièvement sur les articles 24 bis et 24 ter du projet de loi, pour lesquels la commission des affaires culturelles était saisie au fond. Nous avons précisé un certain nombre d'habilitations à agir par ordonnance, de manière à tenir compte des apports de notre commission lors de l'examen, demeuré inachevé, du projet de loi relatif à l'audiovisuel. Ces articles ont été adoptés à l'unanimité par l'Assemblée nationale.

L'article 24 ter A permet en outre de revenir sur une décision de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) relative aux « irrépartissables ». Nous connaissons tous les risques que cette décision fait courir sur les sommes perçues dans le passé par les artistes.

Si nous aboutissons, nous serons les premiers au sein de l'Union européenne à transposer définitivement les directives Services de médias audiovisuels et Droits d'auteur. Nos deux chambres sortiraient grandies d'avoir réussi à trouver un compromis qui permette de soutenir les métiers de la création dans cette période si particulière et de donner des moyens supplémentaires à nos auteurs, à nos artistes et au cinéma.

Debut de section - Permalien
Cendra Motin, députée, rapporteure pour l'Assemblée nationale

Au nom de Michel Lauzzana, rapporteur de la commission des finances, qui ne pouvait être présent ce matin, je me réjouis de la transposition, dans l'article 24 de ce texte, de l'accord trouvé avec les régions sur la distribution des fonds européens à nos agriculteurs. C'est une disposition importante pour nos agriculteurs dans l'attente des négociations à venir sur une nouvelle politique agricole commune (PAC). Nous attendons donc beaucoup de ce texte pour que nos agriculteurs puissent rapidement disposer de ces fonds.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Raynal

On mesure, à vous entendre, mesdames, la difficulté de parvenir à un consensus sur l'ensemble de ces sujets.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

S'il agrège un ensemble hétérogène de dispositions, ce projet de loi s'inscrit néanmoins dans un objectif global : mettre en cohérence notre droit national avec le droit dérivé de l'Union européenne, parfois avec un certain retard, même si la France a fait d'incontestables progrès en la matière. Son contenu a, de surcroît, été complété et rendu plus hétérogène en raison de la crise sanitaire : outre les deux lettres rectificatives qu'il a déposées, le Gouvernement a utilisé le texte pour transposer certaines directives essentielles en matière culturelle.

Dans l'ensemble, le texte reflète la tendance du Gouvernement à privilégier le recours aux ordonnances, ce que nous regrettons. La démarche n'est pas de nature à renforcer les indispensables liens à tisser entre l'Union européenne et les parlements nationaux.

Cette réserve étant formulée et face à l'urgence de certaines transpositions, nous avons néanmoins accepté l'essentiel des habilitations sollicitées, en précisant leur portée ou leur durée. L'Assemblée nationale a prolongé cette approche, en harmonisant la durée des habilitations pour tenir compte du report de l'examen du projet de loi en raison de la crise sanitaire.

Nous avons également complété le texte initial en adoptant à mon initiative deux articles additionnels, dont l'article 16 ter, qui conforte le droit des assurés à choisir librement son réparateur automobile, repris par l'Assemblée nationale.

Concernant les articles examinés au fond par la commission des finances, les difficultés se sont concentrées sur l'article 24 relatif à la gestion du Feader. Cet article sollicite une habilitation à revoir, par ordonnance, la répartition des compétences pour la prochaine programmation pluriannuelle. L'État serait chargé des aides surfaciques, alors que la gestion des aides non surfaciques serait confiée aux régions.

Le Sénat avait supprimé cette habilitation, pour deux raisons. Tout d'abord, à l'époque, les intentions du Gouvernement n'étaient pas clairement établies, ce qui suscitait l'inquiétude des régions. De plus, pour un tel sujet touchant à l'aménagement du territoire, nous considérions qu'un débat en séance était préférable.

À l'initiative du Gouvernement, l'Assemblée nationale a rétabli l'habilitation : si je regrette la manière, je propose d'en prendre acte, d'autant que les régions ainsi que les agriculteurs ont reçu entretemps des précisions.

Enfin, les dispositions culturelles introduites par le Sénat à l'initiative du Gouvernement ont été complétées par l'Assemblée nationale, sans toutefois en bouleverser les grands équilibres.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Duplomb

Je salue à mon tour la qualité du travail accompli par nos deux assemblées sur ce texte qui pouvait apparaître comme particulièrement technique, mais qui, en réalité, aura un effet important dans la vie quotidienne de nos concitoyens. Dans le domaine économique, il contient en effet d'importantes évolutions visant à renforcer la protection des consommateurs et des acteurs économiques de certains secteurs.

Nous aussi avons regretté le recours massif aux ordonnances, introduites y compris en séance publique. Nous avons cependant joué le jeu de l'urgence et obtenu leur inscription « en dur » dès que c'était possible, afin qu'un véritable débat parlementaire ait lieu.

Nous avons complété le texte avec d'importants apports, comme en matière de « déserts vétérinaires » ou de pratiques commerciales déloyales entre des fournisseurs et la grande distribution, notamment en incluant les grandes centrales d'achat européennes dans la transposition de la directive du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur (PCD).

Vous avez à votre tour complété ce texte par d'importantes mesures. Je pense aux ajustements au service universel, à la définition par les metteurs en marché des biostimulants dans la loi française ou la possibilité pour la DGCCRF d'ordonner la suppression d'un nom de domaine, et non plus seulement de le bloquer, dans des cas précis.

Nous avons accompli un travail collectif très important, dans une logique de bonne entente et de coconstruction.

Nous regrettons cependant vivement que l'Assemblée nationale ait supprimé sans autre forme de procès l'article 4 bis, adopté à l'unanimité par le Sénat, lequel reprend une proposition de loi elle-même votée à l'unanimité du Sénat et qui avait été cosignée par plus de la moitié des sénateurs, tous groupes confondus. Cet article propose un nouvel encadrement des géants du numérique, à travers trois grandes dispositions : la neutralité des terminaux, l'interopérabilité des plateformes et le renforcement du contrôle des concentrations afin d'appréhender les acquisitions dites « prédatrices » des géants du numérique. Un quatrième dispositif avait été ajouté, afin de protéger les consommateurs contre les interfaces trompeuses.

Je déplore vivement qu'à ce stade nous ne soyons pas parvenus à un accord sur cet article. Mais peut-être le dernier moment de la CMP est-il celui qui permettra de sceller un compromis ?...

Il me semble qu'un compromis raisonnable pourrait être articulé autour de trois points. D'abord, une entrée en vigueur différée des volets relatifs à la neutralité des terminaux et à l'interopérabilité des plateformes, pour éviter de gêner les négociations à venir à l'échelon européen ; nous proposons de reporter de deux ans, ce qui est une éternité dans le domaine des marchés numériques, et laissera, hélas !, le temps aux géants du numérique de consolider leur position dominante. Nous sommes d'accord pour considérer que l'Europe est le niveau idéal. Mais si les négociations européennes n'aboutissent pas, il faudra une solution au niveau national. Ensuite, une suppression du volet relatif au droit des concentrations, considéré comme susceptible de compromettre l'écosystème français. Enfin, le maintien du volet relatif à la lutte contre les interfaces trompeuses, qui peut entrer en vigueur dès la publication de la loi, car il n'est pas envisagé qu'il soit traité par la Commission européenne à ce jour, alors qu'il envenime la vie de nos concitoyens tous les jours sur internet ; l'exemple type est celui de la case précochée qui nous conduit à souscrire à un service que nous ne souhaitons pas, et auquel il est particulièrement difficile de se désinscrire.

Il semble que vous rejetiez cette proposition de compromis en bloc. J'avoue ne pas bien comprendre pourquoi, à l'heure où même les États-Unis s'engagent dans une régulation plus ferme des géants du numérique ; en témoigne l'action du Département de la justice contre Google pour abus de position dominante. Vous refusez que la France propose d'ouvrir la voie en Europe, en attendant qu'une solution européenne soit arrêtée. Je ne comprends pas non plus que, alors même que l'exemple de la taxe sur les services numériques, dite taxe « Gafam », a montré l'intérêt d'un texte mobilisable au niveau national en cas de désaccord à un niveau supérieur, on ne parvienne pas à trouver un compromis.

Les dispositions adoptées par le Sénat rendraient du pouvoir aux consommateurs face aux géants du numérique dès maintenant ! Et derrière les consommateurs, il y a toutes les innovations et toutes les entreprises qui ne perdurent pas, faute de pouvoir concurrencer ces géants.

Il nous est difficile de ne rien obtenir lors de cette CMP, alors que nous avons dû en rabattre, si je puis dire, sur le Feader, et ce d'autant plus que vous nous demandez de nous « asseoir » sur un double vote unanime du Sénat.

Je rappelle qu'hier, dans le cadre du projet de loi d'accélération et de simplification de l'action publique (Asap), députés et sénateurs se sont entendus pour conclure sur une CMP qui présentait de nombreuses difficultés. J'ai eu d'excellents échos sur le travail de conciliation des rapporteurs de nos deux assemblées. Aussi, je n'envisage pas que nous échouions sur un seul sujet à propos duquel nous avons un accord sur le fond, et seulement un désaccord sur la méthode. J'espère donc que nous parviendrons à un compromis sur cet article 4 bis. Je proposerai un vote pour savoir si une majorité soutient la recherche d'un compromis plutôt qu'une CMP non conclusive.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Raynal

Je retiens des propos des uns et des autres qu'il n'y a plus difficulté sur l'essentiel du texte, sauf la suppression de l'article 4 bis inséré par le Sénat. Je propose une discussion entre rapporteurs en espérant qu'elle ouvrira sur un compromis.

Debut de section - Permalien
Valéria Faure-Muntian, députée, rapporteure pour l'Assemblée nationale

Cet article 4 bis est intéressant sur le fond, mais nous ne souhaitons pas prendre position alors qu'un débat est mené à l'échelle européenne, qui est le bon niveau pour la régulation des plateformes numériques, et alors que le marché unique du numérique est en pleine construction. Nous en avons débattu, il risque de créer de l'insécurité juridique, avec des règles nouvelles dont on ne saura pas bien si elles s'appliqueront à l'échéance donnée. Nous l'avons supprimé parce qu'il nous est apparu comme un cavalier législatif, mais nous comprenons bien ses motivations sur le fond, et nous comptons sur le débat et la négociation à l'échelle européenne, je le répète, pour aboutir.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Je prends acte de ce que vous reconnaissiez l'intérêt de cet article 4 bis. Une précision de poids sur le droit européen : si le droit d'initiative appartient à la Commission européenne, rien n'interdit aux parlements nationaux de voter des textes. Nos voisins allemands ont pris l'initiative sur ce sujet : en prenant position dès aujourd'hui, notre pays s'inscrirait dans un mouvement plus large. L'adoption de l'article 4 bis créerait-elle de l'insécurité juridique ? Je ne le crois pas, car l'application en serait repoussée à 2023, voire 2024, ce qui laisse le temps de définir à l'échelle européenne une règle commune. La Représentation nationale s'honorerait à prendre cette initiative, qui ne gênera pas les instances européennes.

Debut de section - Permalien
Jérôme Nury, député

Gênerions-nous les négociations à Bruxelles sur le sujet ? Je ne le pense pas, si j'en crois notre position sur la gestion du Feader : nous avons voté un texte alors qu'il y a aussi des négociations européennes - c'est donc le même cas de figure. Je soutiens la position de nos collègues sénateurs.

Debut de section - Permalien
Constance Le Grip, députée

Je me réjouis que nous ayons trouvé autant de points de convergence et que nous recherchions un compromis sur cet article. Le Parlement français me semble légitime à se projeter dans des débats d'avenir, en particulier sur la régulation des plateformes numériques. Le compromis présenté par nos collègues sénateurs est une avancée et il est acceptable, en laissant le temps à l'échelle européenne de se prononcer : je le voterai.

Debut de section - Permalien
Aurore Bergé, députée, rapporteure pour l'Assemblée nationale

En examinant le projet de loi relatif à l'audiovisuel, notre commission des affaires culturelles a adopté à l'unanimité un amendement sur la neutralité des plateformes numériques, qui allait dans le sens de l'article 4 bis. Face à une proposition de loi sur les droits voisins, nous avons convenu de surseoir, pour ne pas gêner des négociations en cours à l'échelle européenne. C'est ce qui nous a semblé préférable ici. Mais vous êtes, semble-t-il, prêts à ajouter encore un peu de délai pour l'application éventuelle de ce texte, en allant jusqu'à 2024. Cette échéance sera-t-elle suffisante ? Il faut s'en assurer.

Debut de section - Permalien
Valéria Faure-Muntian, députée, rapporteure pour l'Assemblée nationale

Nous respectons pleinement le débat au Sénat, son vote unanime, et si nous avons supprimé l'article 4 bis, c'est qu'il pose des difficultés, car la négociation va se tenir à l'échelle européenne. Le temps du débat européen serait-il trop long ? Mais sur le numérique, la Commission européenne accélère le calendrier, le Parlement européen recherche un consensus. Ensuite, nos voisins allemands ont bien inscrit un texte sur la régulation des plateformes numériques, mais ils ne l'ont pas encore voté. La comparaison avec le Feader et la PAC ne me paraît pas opportune, car la disposition votée ne vaut pas programme pour la PAC, elle n'interfère pas directement dans la définition de la PAC elle-même.

Enfin, le Sénat a adopté une proposition de loi sur la régulation des plateformes numériques, sur l'initiative de Mme Sophie Primas, rien n'empêche les députés des groupes composant la majorité sénatoriale de l'inscrire à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale lors des séances qui leur sont réservées - le sujet mérite un vrai débat, davantage que ne le permet un article additionnel à un texte portant diverses mesures...

Je vous propose donc que nous écartions cet article 4 bis et que nous ne préemptions pas la construction européenne d'une régulation des plateformes numériques.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Duplomb

Je ne comprends pas ce blocage. Chacun des points que nous proposons est consensuel : la neutralité des terminaux - qui rejoint, d'après les propos de Mme Bergé, une disposition adoptée par les députés -, l'interopérabilité des plateformes numériques, un meilleur contrôle des acquisitions dites « prédatrices » des géants numériques - que nous acceptons, à votre demande, de supprimer, et la protection contre les interfaces trompeuses qui grugent les Français, et à propos desquelles nous sommes tous d'accord pour agir sans tarder. Nous en avons débattu, nous sommes d'accord sur le fond, mais nous ne pourrions pas agir du seul fait que l'Europe prévoirait d'en débattre ? Nous ne pourrions pas même dire quel est notre choix, en laissant à l'échelon européen jusqu'en 2023, voire 2024 pour parvenir à un compromis ? En bon paysan, je sais que « un tiens vaut mieux que deux tu l'auras ». Je préfère adopter une mesure qui s'appliquera si, dans quelques années, l'Europe n'a pas trouvé de compromis. Cela oblige à un résultat ! Et de mettre fin à des pratiques qui ennuient tous nos concitoyens !

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

J'apprécie l'ouverture de notre collègue députée Aurore Berger et ne comprends guère les arguments contre cet article 4 bis. Ce serait un cavalier ? L'argument pèse peu, s'agissant d'un texte portant diverses mesures d'adaptation au droit de l'Union européenne : en dix ans de commission des affaires européennes, j'ai vu passer et adopter bien de ces articles que vous qualifieriez aujourd'hui de cavaliers - pensez seulement à la surtransposition du droit européen sur la vente de produits dérivés... Dans le processus législatif européen, les services de la Commission européenne commencent par une consultation publique et par un état du droit - c'est une raison supplémentaire pour prendre un texte qui anticipe une directive, l'Allemagne le fait régulièrement avec succès. En laissant un délai important, nous montrerons que nous n'entendons pas gêner les instances européennes, mais nous marquerons notre position, en anticipant.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

En votant cet article, nous ne nous lierions pas les mains puisque l'application n'interviendrait pas avant 2023, voire 2024. En revanche, nous poserions un jalon utile.

Debut de section - Permalien
Cendra Motin, députée, rapporteure pour l'Assemblée nationale

Après l'instauration de la taxe sur les services numériques, nous avons constaté avec M. Bruno Le Maire que des agriculteurs et des viticulteurs en faisaient directement les frais à cause des mesures de rétorsion. En s'en prenant encore aux géants du numérique, en agissant seuls et sans regroupement européen, nous prêterions une nouvelle fois le flanc et risquerions de nouvelles mesures de rétorsion. C'est pourquoi il faut faire avancer l'Europe. Il y a une véritable prise de conscience à l'échelon européen, saisissons cette chance. C'est à ce niveau qu'on peut envisager une souveraineté effective sur ces questions - nous parlons aujourd'hui d'entreprises américaines, mais il ne fait guère de doute que nous devrons parler demain d'entreprises chinoises.

Le bon niveau, c'est celui de l'Europe, même si c'est difficile à entendre par les consommateurs.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Raynal

En adoptant l'article 4 bis, nous gênerions le Gouvernement ? Le Parlement ne doit pas se mettre dans cette position, car il se grandit toujours en disant clairement son opinion. Vous citez la taxe Gafam, le combat était autrement plus dur, plus agressif - nous l'avons mené, et je n'ai pas entendu M. Bruno Le Maire le regretter, quand bien même il y a eu des difficultés. Il y a un rapport de forces, on ne doit pas considérer d'emblée qu'on va perdre, ou bien on ne fait rien ; la France est déjà très engagée, il est légitime de poursuivre, et le Parlement est dans son rôle en prenant l'initiative. Avec le délai que nous proposons, nous ne bloquerons en rien le Parlement européen, qui aura tout loisir de débattre.

Ne refusons pas que le Parlement s'exprime et s'affirme, sinon on l'affaiblit. Encourageons l'Europe à avancer, en disant clairement ce que nous voulons et en laissant aux instances européennes le temps de se prononcer.

Debut de section - PermalienPhoto de Patrice Joly

Le Gouvernement a décidément des difficultés avec la représentation parlementaire, comme le montre encore une fois son utilisation excessive, dans ce texte, des habilitations à légiférer par ordonnances.

Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain (SER) est donc réservé quant à l'habilitation demandée pour retravailler la répartition des compétences entre État et régions sur la gestion des crédits Feader. Il y a là un enjeu en termes de décentralisation, d'aménagement du territoire et de cohésion territoriale. Il conviendrait d'avoir un vrai débat politique sur ce sujet au sein des assemblées. Néanmoins, cette réserve pourrait être levée dans le cadre d'un accord global sur le texte.

Au-delà des avancées de ce texte en matière de protection du consommateur et dans d'autres domaines, il convient de traduire le message porté par l'ensemble des sénateurs à travers l'adoption de la proposition de loi de Mme Primas. Le Gouvernement doit entendre les représentants de la Nation. Les propositions de notre rapporteur Laurent Duplomb me semblent tout à fait satisfaisantes. Ce n'est pas un problème pour le Gouvernement, mais un soutien pour porter la parole de la France dans le débat européen.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Duplomb

Je propose une suspension de séance afin que chaque groupe politique se concerte avant de passer au vote sur l'article 4 bis.

Debut de section - Permalien
Valéria Faure-Muntian, députée, rapporteure pour l'Assemblée nationale

Un vote en CMP n'a pas de sens, puisque nous ne sommes que quelques députés et sénateurs, et ne représentons donc pas nos assemblées dans leur ensemble.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Raynal

Le vote en CMP est prévu. En revanche, il est important est que le texte issu des travaux de cette CMP puisse être adopté par nos deux chambres.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

La CMP a précisément pour raison d'être de dégager une solution entre députés et sénateurs ! Souvenez-vous des propos d'Edgar Faure, ancien président du Conseil : « L'immobilisme avance, et rien ne pourra l'arrêter ! »

La réunion, suspendue à 10 h 30, reprend à 10 h 50.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Raynal

Notre rapporteur Laurent Duplomb propose une nouvelle rédaction de l'article 4 bis qui tient compte des propositions qu'il a formulées, même si je crois comprendre que cela sera insuffisant à obtenir l'assentiment des députés. Je vais donc mettre aux voix cette proposition de rédaction et en tirer les conséquences : en l'absence de consensus, je considèrerai que cette CMP n'est pas conclusive.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Duplomb

Les modifications sont de deux ordres. D'abord, nous supprimons l'un des trois dispositifs restants, l'interopérabilité des plateformes.

Nous conservons en revanche la neutralité des terminaux, avec la possibilité d'une introduction différée en attendant que l'Europe avance sur le sujet ; l'entrée en vigueur est repoussée au 1er janvier 2024. Nous maintenons également le dispositif relatif à la lutte contre les dark patterns, c'est-à-dire les interfaces trompeuses, lequel entrerait en vigueur le premier jour du troisième mois suivant la publication de la loi.

Je crois toujours possible de trouver un compromis honorable en faveur de la protection du consommateur. C'est le fruit d'un travail collectif conforme à l'esprit de ce texte. Je ne comprendrais pas que cette CMP ne soit pas conclusive.

Debut de section - Permalien
Valéria Faure-Muntian, députée, rapporteure pour l'Assemblée nationale

Je souhaite moi aussi exprimer mon incompréhension sur l'organisation de ce vote. Même ainsi rédigé, le texte ne fait pas consensus.

Debut de section - Permalien
Pascale Boyer, députée, vice-présidente

La situation étant bloquée, les députés du groupe La République en Marche ne souhaitent pas participer au vote.

La proposition de rédaction est adoptée.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Raynal

Malgré l'adoption de cette proposition de rédaction, le détail des votes laisse à penser que le texte ne sera pas voté conforme à l'Assemblée nationale. Une nouvelle lecture aura donc lieu à l'Assemblée nationale et au Sénat dans les meilleurs délais, compte tenu de l'importance des sujets traités.

La commission mixte paritaire constate qu'elle ne peut parvenir à l'adoption d'un texte commun sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière.

La réunion est close à 10 h 55.