Intervention de Daniel Gremillet

Réunion du 27 octobre 2020 à 14h30
Mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques — Question préalable

Photo de Daniel GremilletDaniel Gremillet :

Prenons un exemple très concret et plutôt récent dans un autre domaine. Songez un instant, mes chers collègues, que le code de l’énergie prévoit que la part du nucléaire dans notre mix énergétique soit ramenée à 50 % à l’horizon de 2025, et non plus à 2035 comme initialement prévu… Cette disposition, issue de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, est inapplicable et ne sera jamais appliquée ! Considérera-t-on que la future loi qui corrigera l’erreur commise alors ne sera pas recevable, au motif que nous avons déjà légiféré ?

En d’autres termes, lorsque la loi n’est pas ou plus adaptée, lorsqu’elle n’est pas applicable ou que le prix de son application est trop élevé sur les plans économique et social, il est de notre devoir de la changer – la commission mixte paritaire sur le projet de loi ASAP vient de nous en donner un autre exemple.

Nos collègues nous répondent alors : sur quel fondement ?

Je le concède, depuis le rapport final produit par l’Anses, en mai 2018, à la suite de l’évaluation mettant en balance les risques et les bénéfices des produits phytopharmaceutiques à base de néonicotinoïdes et de leurs alternatives chimiques et non chimiques, il n’y a pas eu de virage à 180 degrés dans la littérature scientifique.

En réalité, la justification d’un tel projet de loi se trouve non pas dans une publication scientifique récente, mais bien, déjà, dans ce rapport final intitulé Risques et bénéfices relatifs des alternatives aux produits phytopharmaceutiques comportant des néonicotinoïdes. Tout figure dans ce document depuis plus de deux ans !

Les 130 usages autorisés des néonicotinoïdes ont été étudiés, donnant lieu à 154 cas d’étude différents.

Dans la grande majorité des cas étudiés – 89 % –, les solutions de remplacement aux néonicotinoïdes se fondent sur l’emploi d’autres substances actives, notamment des pyréthrinoïdes.

Dans 39 % des cas, les alternatives chimiques reposent sur une même famille de substances actives, ou une seule substance active, voire sur un seul produit commercialisé, ce qui pose, vous l’imaginez bien, des problèmes de résistance.

Surtout, comme l’indique le rapport, un certain nombre de méthodes potentiellement efficaces n’ont pas été retenues comme pouvant constituer une alternative pertinente aux néonicotinoïdes à l’horizon de 2020, faute d’autorisation de mise sur le marché ou d’inscription au catalogue des variétés améliorées. D’ailleurs, monsieur le ministre, nous avons déjà souvent dénoncé les problèmes occasionnés par la lenteur des autorisations de mise sur le marché.

Enfin, et c’est pour cette raison que l’interdiction avec dérogations votée en 2018 constituait une prise de risque, l’Anses évoque une difficulté à anticiper l’évolution de la pression des ravageurs en l’absence de néonicotinoïdes, quelles que soient les alternatives retenues.

C’est là que le bât blesse ! L’évolution de la pression des ravageurs en l’absence de néonicotinoïdes n’ayant pas pu être identifiée avec précision, le rapport de l’Anses évoque des « conséquences agricoles de l’interdiction des néonicotinoïdes difficiles à anticiper ».

Pour ces raisons, et compte tenu de la recrudescence d’attaques de pucerons, qui n’avait pas été anticipée, nous disposons d’éléments scientifiques pour étayer une telle initiative législative.

S’agissant du Mercosur, j’ai eu l’occasion de m’exprimer sur le sujet à de nombreuses reprises. Je ne vais pas, une fois de plus, faire le procès de cet accord de libre-échange ouvrant une nouvelle voie pour le dumping environnemental, dont notre pays, nos agriculteurs et les consommateurs sont les victimes. Mais, je suis désolé de devoir le rappeler, si mélanger les deux problématiques est sans doute confortable d’un point de vue intellectuel, ce n’est en aucun cas rigoureux !

Sur le plan du droit communautaire, enfin, des collègues rappellent que la Commission européenne s’est exprimée, le 1er octobre dernier, pour préciser qu’elle entendait vérifier la conformité du présent projet de loi avec le droit communautaire, jugeant très problématique de multiplier les dérogations d’urgence pour les néonicotinoïdes dans les États membres et se réservant la possibilité d’interdire ces dernières.

Là encore, je le regrette, l’argument de mes collègues ne me semble pas recevable, au motif que l’article 53 du règlement concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques est sans ambiguïté : les pays membres de l’Union européenne peuvent bénéficier d’une dérogation pour ce qui concerne l’usage de ces insecticides « en raison d’un danger qui ne peut être maîtrisé par d’autres moyens raisonnables ».

Pour conclure, alors que nous sommes au Parlement, je ne vais parler ni des paysans, ni des salariés, ni des entreprises ; je vais parler des consommateurs et des citoyens.

Nous avons reçu un courrier dans lequel on nous parle de démocratie et de transparence. Eh bien oui, mes chers collègues, je défends la transparence. Et la plus belle des transparences, c’est de ne pas mentir à nos concitoyens !

Ce n’est pas du chantage ! C’est la réalité ! Je ne voudrais pas que, par des positions que nous aurions arrêtées en termes d’interdiction et qui ne permettraient pas de maîtriser une situation de crise sanitaire relative à un aliment nécessaire à la vie, les consommateurs français doivent, demain, acheter, pour vivre, des produits qui auront été élaborés dans des conditions encore plus difficilement supportables sur le plan environnemental que celles qui sont proposées dans le présent texte.

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