Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les expérimentations constituent un outil essentiel pour adapter notre droit aux réalités locales.
Le projet de loi organique que nous examinons a pour objectif de simplifier leur recours et de prévoir explicitement de nouvelles voies d’action dès lors qu’elles arrivent à leur terme.
Le droit français a progressivement fait une place assez large aux expérimentations. C’est ainsi qu’en 2003, après la révision constitutionnelle, le législateur a permis aux collectivités territoriales de déroger, à titre expérimental et pour un objet et une durée limités – une durée de cinq ans, renouvelable une fois, pour une durée maximale de trois ans – aux dispositions législatives ou réglementaires qui régissent l’exercice de leurs compétences.
Cette forme d’expérimentation locale est inscrite au quatrième alinéa de l’article 72 de la Constitution. Les modalités de ces expérimentations ont été précisées par la loi organique du 1er août 2003 relative à l’expérimentation par les collectivités territoriales, dont les dispositions ont été codifiées dans le code général des collectivités territoriales.
Toutefois, on peut déplorer que cette forme d’expérimentation n’ait pas prospéré, puisque seules quatre expérimentations ont été menées sur son fondement : l’expérimentation concernant la répartition des fonds non affectés de la taxe d’apprentissage, qui a été abandonnée à la suite de la réforme de l’apprentissage, et celles qui concernaient le revenu de solidarité active (RSA), la tarification sociale de l’eau et l’accès à l’apprentissage jusqu’à l’âge de 30 ans, généralisées avant même leur évaluation.
Le faible nombre d’expérimentations menées sur le fondement de l’article 72 de la Constitution ne doit pas nous inciter à penser que les collectivités territoriales sont réservées à l’idée d’utiliser la méthode expérimentale, puisque des collectivités se sont souvent engagées dans des expérimentations menées sur le fondement de l’article 37-1 de la Constitution. En effet, dans le cadre de la « mission flash » de 2018 intitulée « Expérimentation et différenciation territoriale » et conduite dans la perspective de la révision constitutionnelle, nos collègues députés Jean-René Cazeneuve et Arnaud Viala ont estimé que vingt-huit expérimentations mises en œuvre sur le fondement de cet article concernaient les collectivités territoriales.
Le faible recours aux expérimentations locales s’explique plutôt par un cadre excessivement contraignant. C’est d’ailleurs ce qu’a relevé le Conseil d’État dans une étude sur les expérimentations publiée en octobre dernier, dans laquelle il formule notamment deux reproches. Premièrement, la procédure est trop lourde ; deuxièmement, les issues de l’expérimentation sont binaires : généralisation à l’ensemble des collectivités ou abandon.
Aussi, je me réjouis que la commission des lois ait clarifié les issues possibles au terme de l’expérimentation et en ait renforcé l’évaluation, consubstantielle à la méthode expérimentale.
Ainsi, alors que le Gouvernement avait indiqué souhaiter se concentrer sur l’évaluation finale des expérimentations, la commission a consacré, conformément aux recommandations du Conseil d’État, trois moments d’évaluation au cours d’une expérimentation : l’évaluation finale, déjà prévue dans le projet de loi organique ; une évaluation intermédiaire afin, le cas échéant, d’adapter la mise en œuvre de l’expérimentation ; et un rapport annuel, qui listerait, d’une part, les collectivités ayant décidé au cours de l’année écoulée de participer aux expérimentations en cours, et, d’autre part, les demandes d’expérimentations adressées par les collectivités au Gouvernement.
Par ailleurs, je rejoins la position de la commission, qui a souhaité, d’une part, préciser que la pérennisation sur une partie seulement du territoire se fera dans le respect du principe d’égalité, conformément au cadre constitutionnel en vigueur, et, d’autre part, maintenir l’abandon parmi les issues possibles de l’expérimentation mentionnées à l’article L.O. 1113-6 du code général des collectivités territoriales.
Madame la ministre, chers collègues, ce texte permet de procéder à une simplification, certes timide, du recours aux expérimentations locales et prévoit de nouvelles issues au terme de celles-ci. Par conséquent, bien que nous ayons du mal à comprendre ce que représente ce texte – peut-être ne constitue-t-il qu’une mise en bouche pour le projet de loi décentralisation, différenciation et déconcentration, dit « 3D », dans lequel nous avons placé beaucoup d’espoirs au cours de la campagne des élections sénatoriales qui viennent d’avoir lieu –, le groupe Les Indépendants, partageant l’objectif de ce projet de loi organique, votera le texte tel que modifié en commission.