Intervention de Guillaume Gontard

Réunion du 4 novembre 2020 à 15h00
Accord avec l'inde relatif aux stupéfiants — Adoption définitive d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Guillaume GontardGuillaume Gontard :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le projet d’accord entre la France et l’Inde que nous examinons cette après-midi a pour objet de lutter contre la consommation et le trafic de stupéfiants.

En pratique, cet accord favorisera l’échange d’informations entre la France et l’Inde. Compte tenu de la croissance des trafics illicites de stupéfiants et de la position stratégique de l’Inde, l’objectif peut se comprendre, même si des accords multilatéraux existent en la matière.

Si le groupe écologiste a demandé le retour à la procédure normale pour l’examen de ce projet de loi, c’est parce que ce dispositif nous inquiète : de fait, nous trouvons pour le moins curieux qu’il ne fasse pas plus débat… L’absence de toute mention relative à la peine de mort dans un projet d’accord avec un pays qui applique encore la peine capitale en matière de trafic de stupéfiants est incompréhensible !

J’entends l’argument du rapporteur : cette mention n’est pas obligatoire dans un accord qui ne prévoit pas d’extraditions.

Je le conteste néanmoins, car l’arrêt Fidan rendu par le Conseil d’État le 27 février 1987 n’a pas cette portée : il n’énonce nullement qu’une mention ne serait exigée que pour les accords relatifs à la remise des personnes. Cette décision exclut l’extradition d’une personne vers un pays où la peine de mort est prononcée, dès lors qu’aucune convention ne vient l’exclure ; aucune autre question de droit ne lui était posée.

En l’occurrence, ne pas prévoir que la remise de renseignements puisse permettre de condamner une personne à la peine de mort entraîne la violation par la France de ses obligations positives à l’égard de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

De plus, il n’est pas compréhensible que, politiquement, il ne soit pas possible d’exiger une telle garantie de l’Inde, alors que la France l’a exigée des États-Unis pour ratifier le traité d’extradition du 23 avril 1996.

Les organisations de défense des droits humains, au premier rang desquelles la Ligue des droits de l’homme, ont réussi à alerter le Sénat.

À la suite de cette interpellation, monsieur le rapporteur, vous évoquez deux garde-fous, aux paragraphes 3 des articles 2 et 5. Ils reviennent à faire prévaloir l’ordre public français sur l’accord et à nous permettre de refuser d’appliquer la convention au regard des engagements internationaux de la France ou du droit de l’Union européenne.

Il est à ce titre curieux, monsieur le secrétaire d’État, que dans l’étude d’impact, ni la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ni le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ne soient mentionnés parmi les engagements internationaux que la France doit respecter.

Monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, on ne saisit pas, concrètement, selon quelles modalités le service chargé de l’enquête policière pourra apprécier, en répondant à une demande de renseignements émanant des autorités indiennes, si la personne concernée risque ou non la peine de mort, avant éventuellement de refuser de donner un renseignement.

Le dossier entier n’est bien sûr pas envoyé et se poserait alors un problème de traduction. Il est évident que cela ne se fera jamais.

L’examen au cas par cas, pour envisager si la peine de mort pourrait être prononcée pour chaque renseignement demandé, et le blocage en conséquence de la transmission d’informations sont totalement illusoires. S’en remettre aux exécutants pour faire respecter l’interdiction de la peine de mort revient à démissionner ou à se voiler la face.

L’argument du faible nombre de condamnations à mort pour trafic de stupéfiants en Inde, invoqué par la rapporteure à l’Assemblée nationale et par vous-même, monsieur le rapporteur, n’est pas recevable. L’abolition de la peine de mort est un principe qui ne saurait souffrir aucune exception.

Compte tenu des inquiétudes que suscite ce texte, monsieur le secrétaire d’État, je conclus mon propos en vous demandant de renégocier cet accord. La République de l’Inde doit s’engager à ne pas prononcer de condamnation à mort dès lors que la France a contribué de quelque manière que ce soit à la résolution d’une affaire. Cela doit figurer noir sur blanc.

En l’état, sans garantie de cette nature, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires ne pourra pas voter ce projet de loi.

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