Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, quand on s’exprime en dernier, beaucoup a déjà été dit ; je m’efforcerai toutefois de ne pas être redondante.
Permettez-moi d’aborder l’examen de ce projet de loi en appelant votre attention sur l’importance du contexte dans lequel il s’inscrit, à savoir la poursuite d’un dialogue entre la France et l’Inde permettant un partenariat stratégique qui touche plusieurs domaines.
Cet accord de prévention de la consommation illicite en vue de la réduction du trafic illicite de stupéfiants s’inscrit en cohérence avec l’initiative du pacte de Paris de 2003, lancée par la France et la Russie pour lutter contre le trafic d’opiacés en provenance d’Afghanistan à l’époque du conflit.
Nous savons tous que les produits stupéfiants sont l’une des principales sources de financement des groupes terroristes armés islamistes. Ces derniers ont de gros besoins financiers pour leur entreprise de déstabilisation des États-nations.
Comme la France, l’Inde fait face aux attentats. Elle doit aussi combattre le séparatisme au nord-est et gérer la rébellion de l’armée naxalite au centre.
Par ailleurs, nous ne pouvons ignorer la progression de la radicalisation à l’échelle régionale. Les attentats de 2016 au Bangladesh et de 2019 au Sri Lanka ainsi que la situation aux Maldives en sont la tragique démonstration.
Il est donc primordial d’évaluer à leur juste mesure les articulations entre trafic de drogue, criminalité internationale et terrorisme. Cette porosité entre criminalité et terrorisme doit véritablement être prise en compte. Je rappelle d’ailleurs que la France et l’Inde ont signé en 2003 la convention de Palerme contre la criminalité transnationale.
L’accord que nous examinons répond également à une stratégie internationale de lutte contre la drogue et les criminalités qui y sont liées. Il dépasse donc le seul prisme bilatéral franco-indien.
L’Inde est une plateforme de transit pour le trafic de drogue de la région et une voisine directe du triangle d’or – Laos, Birmanie, Thaïlande – et du croissant d’or – Iran, Afghanistan, Pakistan –, qui est la zone de production d’opium la plus importante au monde.
Le sous-continent indien est donc l’une des principales routes pour le trafic international d’héroïne vers la Chine, l’Asie du Sud-Est, l’Australie et l’Amérique du Nord, route qui se termine en Europe et en France.
En Inde, l’usage récréatif du cannabis est interdit depuis 1985, mais certaines régions, comme le Madhya Pradesh, produisent des volumes atteignant 240 tonnes par an. L’autre problème tient au taux de tétrahydrocannabinol, ou THC, très élevé de ce type de chanvre : les effets sur les consommateurs sont très graves.
De plus, dans le contexte actuel où le risque pandémique est quotidien, notre collaboration avec l’Inde dans la lutte contre les produits illicites est primordiale, car ce pays est le second producteur mondial de médicaments génériques. Lutter contre le trafic de produits illicites qui servent de base aux médicaments est un défi pour la santé publique mondiale.
En effet, ces produits font l’objet non seulement de trafics, mais aussi de contrefaçons dont les ressorts sont tentaculaires. Selon l’Institut international de recherche anti-contrefaçon de médicaments (Iracm), le trafic de médicaments et de produits les composants est vingt fois plus lucratif que le trafic d’héroïne.
En 2013, en Chine, le trafic de médicaments représentait près de 73 milliards de dollars.
Pour 10 000 dollars investis, la contrefaçon de médicaments rapporte entre 200 000 dollars et 450 000 dollars. Ces sommes sont à terme blanchies et réinjectées dans l’économie légale. Ainsi, les trafiquants réussissent à pénétrer des circuits légaux via le reconditionnement de médicaments.
Alors que les États sont très en retard en termes de législation et que les trafiquants font preuve d’une adaptabilité hors norme, cet accord va dans le bon sens. Il représente une avancée significative pour essayer d’endiguer ces pratiques dont les conséquences sont dramatiques : en 2013, plus de 122 000 enfants africains sont décédés du fait des contrefaçons médicamenteuses.
Mes chers collègues, je tiens aussi à appeler votre attention sur les conséquences des trafics de produits servant à l’élaboration de drogues de synthèse. Ces nouveaux produits de synthèse (NPS) font des ravages chez les jeunes Français et, plus largement, chez les jeunes du monde entier. Des vies sont brisées à la suite de la prise de MDMA, de méthamphétamines, de kétamine… Cela représente un coût humain autant que financier pour le système français.
Par ailleurs, les concentrations de ces drogues sont d’autant plus problématiques que leur potentiel addictif est exponentiel.
J’en viens aux inquiétudes de mes collègues concernant les modalités de recours à la peine de mort en Inde. Il convient d’être rigoureux à l’égard de la législation indienne, notamment de l’article 31 A de la loi de 1985 relative aux stupéfiants et substances psychotropes. Cet article prévoit la possibilité de condamner à mort un individu pour trafic de stupéfiants dans certains cas particulièrement graves impliquant a minima une récidive. Néanmoins, depuis 2014, la législation indienne a évolué : le recours à cette mesure n’est pas automatique, contrairement à ce que l’on pourrait l’imaginer.
Les sollicitations de la Ligue des droits de l’homme sont des plus légitimes. Aussi, j’espère que ce débat et vos réponses, monsieur le secrétaire d’État, permettront d’apporter des explications bienvenues.
Pour ma part, je rappelle qu’il a fallu cinq ans pour parvenir à une rédaction qui satisfasse les deux parties. C’est la preuve que la France a été exigeante et qu’elle n’a pas bradé ses idéaux et valeurs.
En outre, la convention bilatérale franco-indienne en matière d’extradition du 24 janvier 2003 est explicite sur le risque d’application de la peine de mort : c’est une raison suffisante pour motiver un refus de remise d’un individu par la partie française. Voilà qui peut rassurer certains de nos collègues.
En effet, l’article 8 de cette convention précise : « Si le fait en raison duquel l’extradition est demandée est puni de la peine capitale par la loi de l’État requérant et que, dans ce cas, cette peine n’est pas prévue par la législation de l’État requis ou n’y est généralement pas exécutée, l’extradition peut n’être accordée qu’à la condition que l’État requérant donne des assurances jugées suffisantes par l’État requis que la peine capitale ne sera pas prononcée ou, si elle est prononcée, qu’elle ne sera pas exécutée. »
Je veux croire que cet accord représente un bon véhicule pour continuer les échanges constructifs entre nos deux pays et diffuser les valeurs que nous défendons.
Le groupe Les Républicains votera cet accord et restera mobilisé sur les sujets qui permettront de lutter contre le trafic de stupéfiants.