Madame la présidente, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis de nouveau devant vous cet après-midi pour évoquer le sujet de la pérennisation et de l’accompagnement dans la transition de la filière betterave sucrière.
Nous l’avons tous indiqué dans cet hémicycle : nous faisons preuve d’un engagement résolu en faveur de la transition agroécologique et d’une agriculture moins dépendante de l’ensemble des intrants.
Toutefois, s’agissant de la filière de la betterave sucrière, nous sommes aujourd’hui face à une situation exceptionnelle, dont nous avons largement débattu. Nous devons apporter une réponse rapide afin de permettre à cette filière d’excellence, qui représente près de 46 000 emplois dans notre pays, de sortir de l’impasse dans laquelle elle se trouve aujourd’hui.
Je le dis une nouvelle fois clairement, il ne s’agit en aucune manière d’opposer économie et écologie. Ce dont il est question ici, c’est de notre souveraineté. Souhaitons-nous faire la transition agroécologique avec une filière betterave sucrière française ou acceptons-nous la disparition de cette dernière ? Préférons-nous n’avoir demain que du sucre importé sur les étals de nos magasins ?
Oui, la filière de la betterave sucrière est aujourd’hui en danger, par la faute de ce puceron vert dont nous avons tant parlé. Depuis nos précédents débats, les premières récoltes ont d’ailleurs montré à quel point notre crainte était fondée, parfois même dans des proportions encore plus fortes que nous ne l’avions estimé, puisque des parcelles ont été très lourdement touchées.
Cette conviction est, je crois, partagée sur l’ensemble de ces travées : nous sommes tous ici favorables à l’arrêt des néonicotinoïdes et à la transition agroécologique. Les premiers à le souhaiter sont d’ailleurs les agriculteurs eux-mêmes. Cependant, cette transition est confrontée à ce qu’il y a de plus difficile dans la nature, comme d’ailleurs dans la sphère politique, à savoir le temps.
Je pose clairement la question : comment s’assurer que la transition agroécologique pourra se faire avec une filière française ? En aucun cas, cette transition ne peut consister à tuer une filière d’excellence française pour importer du sucre de pays qui sont parfois en retard de dix ans sur nous en matière environnementale. Il ne peut en être ainsi ! Ce projet de loi n’est en aucun cas un texte de renoncement. Bien au contraire, il s’agit d’un texte volontaire pour engager la transition avec la filière française.
Pour être plus précis, ce projet de loi réintroduit, comme c’est déjà le cas pour de nombreux États membres, et jusqu’en 2023 au maximum, la possibilité de recourir au fameux article 53 du règlement européen et de solliciter des dérogations si la situation le nécessite.
Je ne reviens pas sur le contenu exact du projet de loi, que vous connaissez parfaitement, mesdames, messieurs les sénateurs, mais j’appelle votre attention sur le fait qu’il s’insère dans un plan global, qui comprend notamment 7 millions d’euros supplémentaires mobilisés au travers d’un programme de recherche publique et privée visant à accélérer l’identification d’alternatives véritablement efficaces et leur déploiement en conditions réelles.
Ce plan comprend également des engagements pris par la filière au travers d’un plan d’action et de prévention. Le suivi de ces engagements, que ce soit sur le volet de la recherche ou sur celui du plan de prévention prévu par la filière, sera l’une des missions dévolues au conseil de surveillance, qui comptera des parlementaires et qui devra veiller avec une grande exigence à la mise en œuvre du plan global.
Nous avons eu également de larges échanges en séance publique sur l’intégration des termes « betterave sucrière » dans le projet de loi, non seulement dans son intitulé, mais également dans le corps même du texte. Le choix de limiter les dérogations à la betterave sucrière peut en effet poser question au regard du principe d’égalité.
Je le répète : des arguments solides peuvent aujourd’hui être avancés pour expliquer la différence de traitement instituée au profit de la filière betterave sucrière. Cette filière est en effet dans une situation particulière par rapport aux autres cultures au regard de l’objet de ce texte.
D’abord, l’impact sur les pollinisateurs de l’utilisation de semences enrobées est plus limité pour la culture de la betterave sucrière que pour d’autres cultures si celles-ci disposaient des mêmes dérogations. Cela signifie non pas que cet impact n’existe pas, mais qu’il est – j’y insiste – plus limité.
Ensuite et surtout, l’impact économique de l’interdiction des substances que nous évoquons aujourd’hui, à savoir les néonicotinoïdes, est particulièrement grave pour la filière de la betterave à sucre, car cette dernière est dépendante de l’outil de production que sont les sucreries. Aujourd’hui, faute d’alternative raisonnable, les pertes de rendement, qui sont très importantes et qui conduisent nos agriculteurs à faire le choix de ne plus planter des betteraves, auront comme conséquence de réduire les volumes à disposition des sucreries. Il suffira d’une à deux saisons pour que celles-ci soient mises à l’arrêt ou qu’elles voient leur rendement tellement chuter qu’elles finiront par cesser leur activité.