Intervention de Catherine Morin-Desailly

Réunion du 4 novembre 2020 à 21h30
Restitution de biens culturels au bénin et au sénégal — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Catherine Morin-DesaillyCatherine Morin-Desailly :

Monsieur le président, madame la ministre, mes très chers collègues, comment ne pas être sensible à la démarche qui anime le Bénin et le Sénégal, visant à contribuer au désir de la jeunesse africaine de connaître et de s’approprier son histoire ? Comment ne pas être favorable à l’objectif de renforcer notre dialogue avec l’Afrique, ce continent ami, par le biais d’une coopération culturelle et patrimoniale accrue ?

Ce n’est en tout cas pas le Sénat qui pourrait contester ces deux points, lui qui a été à l’initiative tant des deux seules lois de restitution que notre pays ait jamais adoptées que de la consécration législative des droits culturels.

À la différence d’autres demandes, qui portent aujourd’hui sans discernement sur l’ensemble des biens conservés dans nos collections et originaires d’un pays d’un pays donné, quelles que soient leur importance ou la manière dont nos musées les ont acquis, les revendications du Bénin et du Sénégal portent sur des objets précis et limités en nombre, des biens qui revêtent pour eux une portée culturelle, symbolique et spirituelle, au-delà de la simple valeur artistique et historique qu’ils ont aussi en France.

La demande de leur retour est motivée par le besoin de ces pays de recouvrer une part de leur identité culturelle. Elle s’inscrit dans un vaste projet politique, muséal et touristique visant à faciliter l’accès de leurs populations à leur patrimoine. À cet égard – cet élément était pour nous essentiel –, des garanties ont été données quant aux modalités de conservation et de présentation au public de ces biens au cas où nous acceptions leur cession.

Le problème soulevé par ce projet de loi ne tient donc pas à sa démarche. Celle-ci est fondée d’un point de vue éthique et diplomatique ; elle témoigne de la volonté de la France de renouer avec l’esprit des Lumières et, non pas de se repentir, mais de se réapproprier conjointement, dans un cas avec le Bénin, dans l’autre avec le Sénégal, une part importante de notre histoire commune, cette réappropriation devant servir de base à une coopération culturelle renouvelée. Notre pays ne peut en sortir que grandi.

Ce qui est en cause, c’est la méthode qui préside à la politique menée en matière de restitution depuis le discours de Ouagadougou, dont ce projet de loi est l’un des volets.

Certains pourront trouver ce sujet anodin, mais il y va de collections nationales, c’est-à-dire de biens qui appartiennent au patrimoine de la Nation et qui, à ce titre, sont protégés par le principe d’inaliénabilité, au même titre que le reste du domaine public. C’est ce qui rend indispensable l’autorisation de la représentation nationale pour faire sortir des biens des collections publiques.

Notre pays a certes déjà, par le passé, adopté deux lois de restitution, mais le projet de loi dont nous débattons aujourd’hui s’en distingue à la fois par la forme, puisqu’il s’agit d’une initiative gouvernementale et non parlementaire, et par le fond, dans la mesure où ce texte concerne le retour d’œuvres et d’objets, et non de restes humains, ces deux types de biens culturels ne pouvant pas être traités de la même manière.

Là où la loi de 2010 de restitution des têtes maories avait été précédée d’un vaste symposium international consacré à la question des restes humains dans les musées, organisé au musée du quai Branly en février 2008 à la demande de la ministre de la culture de l’époque, Christine Albanel, aucune initiative similaire, réunissant scientifiques, universitaires, juristes, parlementaires et décideurs, n’a cette fois-ci été prise pour permettre à tous de s’exprimer publiquement et faciliter la recherche d’un consensus. Je veux le rappeler ici : le fait que Felwine Sarr et Bénédicte Savoy n’aient que faiblement associé les scientifiques à leurs travaux pèse pour beaucoup dans les critiques dont leur rapport fait l’objet.

Il est vrai que les conservateurs des musées concernés ont été consultés pour préparer ce projet de loi ; mais ont-ils pu être véritablement entendus, sachant que le Président de la République avait déjà annoncé publiquement le retour de ces objets ?

Le problème, dans cette affaire, est que la décision politique a précédé et prévalu sur toute autre forme de débat, historique, juridique, scientifique, philosophique, au mépris du principe d’inaliénabilité des collections, pourtant instauré pour empêcher le « fait du prince ».

Ainsi le débat au Parlement est-il faussé et s’apparente-t-il davantage au vote d’un projet de loi de ratification, dans la mesure où l’État a déjà engagé sa parole et où le sabre a déjà été, il y a un an, officiellement remis au Sénégal – je le regrette. J’en veux pour preuve, aussi, le manque de considération que m’a témoigné il y a quelques jours un membre de votre cabinet, madame la ministre, balayant d’un revers de main mes propositions d’amendement au motif que la question avait déjà été débattue et décidée à l’Assemblée nationale. J’ignorais que le Parlement était devenu monocaméral !

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