Intervention de Max Brisson

Réunion du 4 novembre 2020 à 21h30
Restitution de biens culturels au bénin et au sénégal — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Max BrissonMax Brisson :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord d’avoir une pensée amicale pour notre ancien collègue Alain Schmitz qui s’était impliqué, avec l’intelligence fine qu’on lui connaît, dans cette complexe question des restitutions.

Permettez-moi également de saluer la qualité des apports et des travaux de Catherine Morin-Desailly, notre rapporteure depuis plusieurs années, qui s’est forgée sur ce sujet sensible, un point de vue que je partage pleinement.

Avec raison, elle appelle depuis longtemps à fixer une méthode là où prévaut, jusqu’à ce jour, une approche trop strictement politique répondant aux seules exigences des relations diplomatiques du moment. Sur un dossier de cette nature, il aurait été bien utile que Catherine Morin-Desailly soit davantage entendue et que le Gouvernement esquisse une méthode fondée sur quelques principes.

Le premier d’entre eux serait d’appréhender la question en se départant d’une approche exclusivement morale, fondée sur une vision du bien et du mal dont on sait qu’elle est variable avec le temps et les peuples.

Ainsi, la restitution de vingt-six objets au Bénin que prévoit ce projet de loi peut, bien entendu, être saluée comme le retour du trésor d’Abomey dans l’ancien royaume du roi Béhanzin. Mais il aurait également pu être vu comme le retour des symboles de l’oppression de l’ethnie fon sur ses esclaves yorubas, après la chute et le pillage de Kétou en 1886. Je ne suis pas certain que les descendants des Yorubas soient si heureux que cela de les voir réinstaller dans le palais de leurs anciens maîtres. « Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà. »

Le deuxième principe serait de recueillir, avant toute décision politique, l’avis des experts, qu’ils soient conservateurs, archéologues, historiens ou ethnologues. Cela aurait évité, dans l’affaire qui nous préoccupe, d’attribuer à un sabre une valeur et une symbolique qu’il n’a peut-être pas et à celui qui est censé l’avoir porté, une aura qu’il ne mérite certainement pas. Les travaux de Francis Simonis ou Bertrand Goy sur le sabre d’El Hadj Omar Tall n’ont-ils pas montré que la légende de ce sabre fut surtout forgée par le général Louis Archinard pour glorifier son expédition ?

Le troisième principe consisterait à trouver le juste équilibre avant toute décision entre ce qui est moral aujourd’hui, ce qui était légal hier et ce qui répond à l’impératif permanent de contextualisation historique. En ce qui concerne la légalité, il y a matière à discussion puisqu’une grande partie des collections venues d’Afrique, exposées aujourd’hui dans nos musées, répond parfaitement à la légalité de l’époque. Comme chacun sait, la pratique des butins de guerre n’a été déclarée illégale qu’en 1899 par la convention de La Haye. Elle était jusqu’alors le fait des vainqueurs, et l’empire toucouleur y eut recours tout autant que les autres.

Soyons clairs : je souscris à la nécessité de renforcer la circulation des œuvres et l’accessibilité du patrimoine sur sa terre d’origine. Pour autant, j’en appelle à la définition d’une méthode devant répondre à quelques questions. Comment éclairer le politique, sur lequel repose aujourd’hui le processus de restitution, afin d’éviter qu’il ne s’apparente au fait du prince ? Comment faire en sorte que le ministère de la culture et les conservateurs jouent pleinement leur rôle dans ce processus pour éviter que des atteintes fondamentales ne puissent être portées aux principes mêmes qui sont au cœur de notre politique muséale ?

C’est important, car aujourd’hui ce sont les propositions du rapport Sarr-Savoy qui font foi pour nos interlocuteurs. C’est sur ses inventaires, en dépit de leurs inexactitudes, qu’ils s’appuient pour formuler leurs requêtes.

Si le dernier mot doit revenir au politique, cela ne doit être qu’en vertu d’une décision éclairée par des avis étayés et non pour répondre à je ne sais quelle tyrannie de l’instant, aux seules raisons d’une diplomatie du soft power ou pour donner des gages à telle ou telle approche mémorielle, pour ne pas dire communautaire.

Ce serait jeter par-dessus bord les principes multiséculaires forgés précisément pour que le patrimoine de la Nation ne soit jamais soumis aux humeurs du prince de l’instant. Tenons donc compte de ce sage précepte scellé sous le règne de Charles IX, sur l’initiative du chancelier Michel de L’Hospital.

Il est certes difficile d’élaborer une loi-cadre posant des critères précis qui ne soient ni trop larges, au risque d’être contraires à la Constitution, ni trop rigides, au risque d’empêcher des restitutions qui paraîtraient opportunes. Des solutions permettant de protéger l’inaliénabilité des collections publiques et la vision universaliste de nos musées, tout en ne fermant pas la porte à un dialogue des cultures, doivent pourtant être trouvées au plus vite, car le risque est grand que nous ne soyons de plus en plus fréquemment bousculés par des demandes de plus en plus nombreuses.

Or votre projet de loi n’esquisse aucune doctrine en matière de transferts de biens culturels, de circulation des collections et de leur monstration au public.

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