Intervention de Max Brisson

Réunion du 4 novembre 2020 à 21h30
Restitution de biens culturels au bénin et au sénégal — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Max BrissonMax Brisson :

Cette crainte est d’autant plus fondée que le chef de l’État, dans son discours de Ouagadougou, déclarait : « Le meilleur hommage que je peux rendre non seulement à ces artistes, mais à ces Africains ou ces Européens qui se sont battus pour sauvegarder ces œuvres, c’est de tout faire pour qu’elles reviennent. »

Votre projet de loi sera donc suivi d’autres, et comporte un risque sérieux d’atteinte à la cohérence des collections de nos musées, constituées au fil des siècles, et par là même à leur vision universaliste, fondée sur la mise en valeur du génie humain, d’où qu’il vienne.

Oui, madame la ministre, je crois primordial d’ancrer à nouveau le caractère inaliénable de nos collections comme principe fondateur de l’universalité de nos musées, sauf à ouvrir la porte à un engrenage dont on ne sait où il s’arrêtera. Après tout, le retrait de la collection Dodds, général africain de l’armée française, n’est-il pas déjà une damnatio memoriae ?

Dernière cause de malaise, l’utilisation du terme « restitution » laisse germer l’idée qu’il s’agit d’un retour de biens possédés indûment et, par là même, que la France s’est rendue coupable par la possession de ces œuvres. Or ce sont des artistes français, épris d’art moderne et sensibles au génie humain, qui, voilà un peu plus d’un siècle – presque un siècle et demi –, érigèrent ces objets, jusque-là objets cultuels ou de la vie quotidienne, en œuvres d’art pour ensuite les muséifier pour partie en Europe, mais aussi en Afrique.

Je vous encourage donc, mes chers collègues, à adopter l’amendement que j’ai déposé avec Bruno Retailleau pour changer l’intitulé de cette proposition de loi en l’expurgeant du mot « restitution », qui sous-entend que notre pays aurait à expier je ne sais quelle faute morale.

Mes chers collègues, j’entends bien la demande des pays africains, je ne la conteste pas. Mais je suis profondément mal à l’aise quant à la manière dont le Gouvernement entend y répondre, en cédant à une vision moralisatrice de notre histoire et en sacrifiant les principes qui participent de la grandeur de notre pays, au premier chef ceux de l’universalisme, fondateur même de notre conception de la citoyenneté.

J’aurais tellement préféré que nous restions fidèles à l’héritage du président Jacques Chirac. Il était l’artisan infatigable d’une politique culturelle moins ethnocentrée, le fondateur du musée du quai Branly, dont la raison d’être, comme cela est inscrit dans sa charte, est le dialogue des cultures. Et s’il a offert le sceau du dey d’Alger au peuple algérien, c’est en le faisant acquérir par la France lors d’une vente aux enchères, et non en le faisant disparaître de nos collections nationales. Il est bien dommage que la France ne se soit pas dotée, dans son sillage, d’une vraie politique d’échanges et de circulation et d’une solide réflexion sur le sujet.

Ce défaut de réflexion anticipée peut surprendre, tant la prégnance de la question est une évidence. Catherine Morin-Desailly nous a proposé, en commission, un amendement tendant à instaurer un conseil destiné à statuer sur les restitutions, une ébauche de régulation allant dans le bon sens. Elle esquisse une méthode, un cadre, une vision appelés par notre groupe.

C’est la raison pour laquelle nous suivrons les préconisations de la rapporteure. Le groupe Les Républicains soutiendra ce projet de loi parce qu’il a été amendé en commission et que, désormais, il fixe pour l’avenir des procédures indispensables à la protection de nos collections et à l’universalité de nos musées.

Nous voterons donc le texte issu de la commission, mais resterons très vigilants quant à la suite de la procédure parlementaire. Il y va de l’avenir de nos collections, de la préservation de notre patrimoine, de l’intégrité de notre histoire !

C’est aussi, madame la ministre, pour que nous restions fidèles à votre prestigieux prédécesseur, André Malraux qui, justement, nous rappelait : « L’œuvre surgit dans son temps et de son temps, mais elle devient œuvre d’art par ce qui lui échappe. »

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