Intervention de Catherine Morin-Desailly

Réunion du 4 novembre 2020 à 21h30
Restitution de biens culturels au bénin et au sénégal — Article 3

Photo de Catherine Morin-DesaillyCatherine Morin-Desailly :

Madame la ministre, je me doutais que le Gouvernement proposerait la suppression de cet article important, introduit par la commission et voté à l’unanimité, tous groupes confondus.

Les membres de la commission se sont bien entendus quant à l’objet de ce conseil.

Tout d’abord, les mots ont leur importance : il s’agit, non pas d’une commission ou d’un comité – ces termes renvoient à des instances très formalisées, édictant des avis prescriptifs –, mais d’un conseil.

Vous avez évoqué la démarche scientifique engagée conjointement par vous-même, à la suite de votre prédécesseur, et par la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation – sur ce sujet, je suis néanmoins sans nouvelles de sa part… Les nombreux musées en dehors de Paris, dont nous n’avons pas parlé, sont en effet sous cette double tutelle.

J’ai bien compris qu’un travail scientifique avait été accompli pour procéder à la restitution de ces objets et que vous comptiez le prolonger. D’ailleurs, pour avoir également eu des échanges avec des représentants du ministère des affaires étrangères, j’ai cru comprendre que, sur cette question, un travail interministériel se dessinait pour l’avenir.

Mais, pour notre part, nous souhaitons une instance pérenne, qui survive aux gouvernements, aux changements de ministres, au renouvellement des assemblées parlementaires, et qui puisse enfin s’inscrire dans la durée.

Je travaille sur ces questions depuis dix ans et je ne le sais que trop : faute d’impulsion politique, les volontés s’étiolent au sein des ministères, qui plus est quand ces derniers ne disposent pas des moyens nécessaires. J’en veux pour preuve divers témoignages : le ministère de la culture n’avance pas très vite pour la restitution des biens spoliés – j’y insiste, faute de moyens –, alors que le sujet fait consensus.

Qu’il s’agisse du Parlement ou du Gouvernement, le politique doit donc disposer d’un tel conseil, qui sera un outil d’aide à la réflexion : chaque fois qu’une demande est émise, il doit être éclairé par les bonnes expertises. Les spécialistes de la question doivent s’exprimer, dans une variété d’approches : outre les directions des musées, il faut entendre les historiens de l’art, les anthropologues ou encore les juristes.

À ce titre, je vous renvoie à l’excellent rapport de Michel Van Praët et du groupe de travail sur la problématique des restes humains dans les collections publiques, réuni au sein de la Commission scientifique nationale des collections.

Il ne s’agit en aucun cas de privilégier une approche dogmatique, mais de mener une réflexion très approfondie, fondée sur un faisceau d’appréciations, pour apporter une réponse simple à chaque demande de restitution d’œuvres patrimonialisées. On évitera ainsi les réponses tous azimuts, ne concernant pas véritablement ce qui doit être considéré comme pouvant et devant revenir au pays d’origine.

En créant cet outil, nous voulons tout simplement permettre un travail de fond en continu. Je le répète, je l’ai vécu – je connais la qualité du travail mené par les représentants de l’institution muséale, et ils me pardonneront de le souligner : il y a eu beaucoup de résistances pour s’engager dans cette voie. On s’est souvent voilé la face. Or le vaste mouvement de restitution est là, devant nous, dans tous les pays européens qui ont un passé colonial.

Il faut regarder les choses en face et faire un travail de fond tranquillement, sereinement, pour éclairer le politique tout en respectant le principe d’inaliénabilité. Il faut étudier ces questions au cas par cas. Étant donné leur place dans l’histoire et dans la culture des pays, certains objets très symboliques doivent peut-être faire l’objet d’une loi d’exception.

Il me semble donc que nous sommes complètement d’accord quant au but à atteindre ; mais, pour notre part, nous retenons une autre méthode. Il s’agit notamment de se prémunir contre la tentation du fait du prince.

Pour la signature d’un contrat avec une filiale d’Alstom, François Mitterrand était allé en Corée du Sud au début des années 1980. À cette occasion, il avait rendu l’un des 297 manuscrits coréens détenus par la Bibliothèque nationale de France : vous imaginez le tollé que cette restitution a provoqué à l’époque.

Par la suite, Nicolas Sarkozy s’est vu reprocher de semblables faits du prince. Aujourd’hui, c’est au tour d’Emmanuel Macron : de telles critiques peuvent donc toucher tous les Présidents de la République. En ce sens, l’éclairage pérenne du conseil national de réflexion serait extrêmement utile !

La commission est défavorable à cet amendement.

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