Quand les frontières se ferment, il faut que les œuvres de l’esprit continuent de voyager pour donner du sens à notre humanité commune. L’universalisme que nous invoquons depuis le début de cette discussion nous oblige à rendre accessibles ces biens culturels à l’ensemble des pays qui nous les demandent, et pas seulement à ceux qui ont les moyens financiers de les accueillir.
Ce devoir est d’autant plus impérieux quand il s’agit de les offrir à la contemplation des sociétés qui les ont réalisés et que nous en avons privées.
Je regrette vivement que ce débat ait été enfermé dans les limites juridiques étroites d’un texte consistant en des transferts de propriété. Il eût été utile de nous interroger sur la validité, presque morale, d’un acte de propriété sur des œuvres qui n’ont cessé de passer de main en main et de traverser les frontières et les époques.
Pour reprendre l’exemple des chevaux de Saint-Marc, que valent les droits de leurs derniers propriétaires, alors qu’ils témoignent aussi du génie grec, de la capacité de la Renaissance constantinienne à fonder un nouvel empire sur les bases de l’Antiquité finissante et, finalement, du lien jeté entre l’Orient et l’Occident par la République de Venise ?
Les œuvres qui nous intéressent ce soir ont été juridiquement incorporées dans les collections nationales françaises, ce qui justifie notre débat sur ce texte. Néanmoins, elles participent surtout de l’expression du génie humain. À ce titre, la France n’en est que l’ultime dépositaire : ce statut lui donne sans doute des droits, mais lui confère aussi des devoirs envers celles et ceux qui n’y ont pas accès, en particulier les populations auxquelles nous les avons arrachées.
Si notre pays continue de défendre l’universalisme du patrimoine mondial et des musées, il ne peut continuer à opposer cette conception aux légitimes demandes de partage. Nous devons abandonner cette position strictement défensive et nous engager dans une politique qui favorise les échanges et la circulation de toutes les œuvres !