Intervention de Bernard Jomier

Réunion du 9 novembre 2020 à 16h00
Financement de la sécurité sociale pour 2021 — Discussion générale

Photo de Bernard JomierBernard Jomier :

Vous nous présentez, messieurs les ministres, un budget social dont les tableaux ne s’exécuteront pas comme il est prévu, non qu’il soit insincère, mais simplement parce que la situation économique, sociale et sanitaire est tellement mouvante qu’il est très difficile de présenter un PLFSS exact. Nous ne vous reprocherons pas cette inexactitude liée aux fluctuations de la situation.

En revanche, ce budget traduit une certaine impréparation et une persistance dans des erreurs antérieures. Pour tout dire, ce projet de loi de financement de la sécurité sociale est largement un rendez-vous manqué.

C’est d’abord un rendez-vous manqué avec les finances, parce que la dette que vous faites encore une fois porter sur les comptes sociaux, via la Cades, est un mauvais choix politique – nous l’avons amplement expliqué l’été dernier – et un mauvais choix financier. De fait, il va falloir rembourser cette dette au fil des années, en payant capital et intérêts, alors que, si elle avait été assumée par l’État, elle aurait été amortie sur le très long terme. L’État ne se prive pas par ailleurs de réemprunter du capital, parfois d’ailleurs à des taux négatifs, ce qui est un bon calcul financier.

Vous allez donc priver le budget social d’une dizaine de milliards d’euros chaque année. Ce faisant, vous affaiblissez l’amortisseur social.

C’est un rendez-vous manqué avec les engagements financiers nécessaires pour affronter la crise. Certes, vous provisionnez 4, 3 milliards d’euros pour 2021 pour des tests, des vaccins et des masques, mais le Haut Conseil des finances publiques estime que ce montant sera largement insuffisant.

Vous affichez, monsieur le ministre, des chiffres flatteurs de hausse de l’Ondam, mais, comme vous en aviez fait le choix l’an dernier, vous y avez inclus le budget de l’Agence nationale de santé publique, lequel, avec 4, 8 milliards d’euros sur un an, représente près de la moitié de cette augmentation.

C’est aussi un rendez-vous manqué avec l’hôpital public, qui reste sous-financé pour les missions qui lui sont actuellement confiées.

À cet égard, les 2, 4 milliards d’euros que vous avez ajoutés à l’Assemblée nationale et les 800 millions d’euros que vous allez ajouter au Sénat, par voie d’amendement, sont surtout le marqueur de votre niveau d’impréparation de ce projet de loi de financement de la sécurité sociale.

D’ailleurs, les personnels votent avec leurs pieds. Dès la phase épidémique du printemps passée, ils ont quitté l’hôpital et repris leur mouvement de départ. On ne doit qu’à leur professionnalisme de se mobiliser actuellement.

C’est un rendez-vous manqué avec les soignants de ville, pour lesquels ce texte ne changera pas grand-chose.

Votre mesure la plus significative consiste à vouloir reporter de deux ans une échéance du dialogue social. Il semble que reporter de deux ans les échéances démocratiques devienne une habitude…

C’est un rendez-vous manqué avec l’aide au domicile. Vous en avez d’ailleurs probablement conscience, puisque, lors de l’examen du texte à l’Assemblée nationale, vous avez, là aussi à la dernière minute, proposé d’ajouter une mesure dotée de 250 millions d’euros, laquelle, fondamentalement, ne changera pas la donne.

Enfin, c’est un rendez-vous manqué avec une meilleure territorialisation de la politique de santé.

Nous avions soutenu les intentions relativement justes de Ma santé 2022. N’était-ce donc qu’un catalogue, transformé par votre Gouvernement en une multiplicité de dispositions technocratiques et largement inefficaces ?

Messieurs les ministres, tous ces rendez-vous manqués traduisent, au fond, un défaut d’adaptation structurelle aux enjeux sanitaires et sociaux. Cela nous inquiète particulièrement. Cette crise sanitaire est une épreuve pour notre pays, d’autant qu’elle se double d’une crise sociale profonde. Elle devrait donc être l’occasion de changer ce qui doit l’être : une gouvernance trop verticale, trop cloisonnée et appropriée par quelques-uns dans un État centralisé à l’excès et trop satisfait de lui-même.

Un pays ami proche, l’Allemagne, recommence à recevoir des patients venant de France. Voilà quelques jours, l’éditorialiste d’un grand quotidien allemand, le Südddeutsche Zeitung, résumait ainsi la vision du fonctionnement actuel de notre pays : « On peut parler d’une faillite de l’État […] Nulle part ailleurs, on ne voit un tel fossé entre les ambitions des élites et leur management de crise. »

Oui, le système est inefficient, car la compréhension par l’État de ses citoyens est largement dépassée. Le sommet a toujours raison, même quand il a tort. C’est pourquoi il s’améliore peu et ne tire que beaucoup trop lentement des leçons de ses erreurs, en tout cas pour ce qui concerne ce virus.

Pour combattre celui-ci, le chef de l’État a choisi de recourir à des lois d’urgence et substitue au conseil des ministres le secret-défense. La transparence et la démocratie seraient-elles gênantes ? Messieurs les ministres, je vous le dis très clairement : cette attitude ne favorise pas le soutien de la population.

Je crois que la France a besoin d’un vrai progrès démocratique et d’un État plus moderne pour sa direction. On est loin d’en prendre le chemin avec le présent budget social, qui ne porte aucune inflexion structurelle en la matière.

Votre pilotage n’a pas changé. Il est inadapté. Plutôt que de vous en prendre tantôt aux Français, tantôt aux parlementaires, admettez que votre gouvernance et votre budget social sont de même nature : marqués par l’impréparation. Ils produisent de l’incompréhension, ils produisent de la défiance et, au fond, ils finissent par produire du rejet de la part des Français.

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