Intervention de Laura Kövesi

Commission des affaires européennes — Réunion du 4 novembre 2020 à 13h30
Justice et affaires intérieures — Audition de Mme Laura Kövesi premier chef du parquet européen

Laura Kövesi, Premier chef du Parquet européen :

Merci beaucoup de me donner l'opportunité d'engager un dialogue avec vous. Aux côtés de la Cour européenne de justice, le Parquet européen renforcera le pilier judiciaire communautaire. Lorsqu'il sera opérationnel, le Parquet européen protégera de manière efficace les valeurs, les citoyens et les intérêts financiers de l'Union européenne.

Pour la première fois, un organe européen mènera ses propres enquêtes, poursuivra et fera traduire en justice les atteintes criminelles aux intérêts financiers de l'Union. Contrairement à Eurojust, le Parquet européen n'est pas seulement un instrument pour améliorer la coopération judiciaire entre les États membres. Contrairement à l'OLAF, il n'émettra pas de recommandations aux services judiciaires, sur la base d'enquêtes administratives. En tant que parquet spécialisé, la compétence du Parquet européen sera obligatoire : nous aurons l'obligation légale d'enquêter sur toute fraude impliquant des fonds européens ou toute fraude grave à la TVA transfrontalière commise dans les États participants depuis novembre 2017.

En pratique, le Parquet européen sera composé de 22 procureurs européens basés au Luxembourg, qui superviseront les enquêtes ouvertes par les procureurs européens délégués dans les États membres participants. Les procureurs européens délégués feront pleinement partie du système judiciaire national de chacun de leur État membre et mèneront les poursuites devant les tribunaux nationaux. La mise en place de ce système constitue un défi sans précédent pour un magistrat de ma génération.

Le but de la Commission est que le Parquet européen soit opérationnel à partir de la fin 2020. Pour ma part, j'ai pris mes fonctions le 4 novembre 2019 mais j'ai dû attendre septembre 2020 que le collège des 22 procureurs européens soit composé. Nous nous sommes immédiatement mis au travail.

Tout d'abord, nous avons alerté sur le déficit de financement du Parquet européen prévu dans le projet de budget pour 2021 et dans le prochain cadre financier pluriannuel proposé par la Commission européenne : il manque presque 18 millions d'euros par rapport à ce dont nous avons besoin pour fonctionner, et nous n'avons pas de marge pour des développements ultérieurs de notre activité. Avec cette proposition de budget, il existe un risque de blocage du Parquet européen au niveau central, risque qui ne peut être réduit que par un soutien opérationnel aux procureurs européens.

De plus, en quelques semaines, nous avons arrêté les conditions applicables aux contrats de travail des procureurs européens délégués, pour que les États membres puissent lancer les procédures de sélection ; en effet, en l'absence d'un nombre suffisant de procureurs européens délégués dans tous les États participants, nous ne pourrons pas commencer les opérations. Conformément au règlement établissant le Parquet européen, et même si plusieurs États membres, dont la France, contestaient ce point, le collège a décidé de laisser aux États participants le soin d'assumer les dépenses afférentes au maintien des droits de sécurité sociale et de retraite des procureurs européens délégués. Cette question de principe, soulevée par certains États membres, devra être traitée lorsque le statut des procureurs européens délégués sera redéfini, de même que les responsabilités budgétaires des différentes parties prenantes, dans le cadre de la prochaine révision du règlement fixant le statut des fonctionnaires et autres agents européens, et du règlement établissant le Parquet européen.

Dans ce contexte, je regrette que la France fasse partie des États avec lesquels nous n'avons pas, pour l'instant, d'accord formel sur le nombre de procureurs délégués, et qui n'ont pas encore adapté leur législation interne. Je compte donc sur votre aide pour accélérer ce processus.

Dans l'intervalle, nous continuerons bien entendu à travailler de manière indépendante et déterminée ; nous travaillons d'arrache-pied pour rattraper le temps perdu. Nous prenons notre rôle extrêmement au sérieux et nous avons l'intention de commencer nos opérations le plus rapidement possible.

Mesdames et messieurs, la question que nous devons nous poser aujourd'hui est très simple : voulons-nous un Parquet européen uniquement pour pouvoir dire que nous en avons un ou voulons-nous un Parquet européen qui soit une institution efficace ? En ce qui me concerne, je souhaite que le Parquet européen soit une institution réellement indépendante, efficace et forte, une institution en laquelle les citoyens auront confiance, un centre d'excellence capable d'oeuvrer à la confiscation des avoirs d'origine criminelle et au recouvrement des dommages et intérêts, et qui apporte une vraie plus-value en matière de fraude à la TVA transfrontalière.

Enfin, il est clair, selon moi, que le Parquet européen revêt un sens plus profond pour les citoyens européens : ils le considèrent comme le premier instrument réellement efficace pour défendre l'État de droit dans l'Union européenne. Ils ont, à raison, des attentes élevées concernant le Parquet européen.

J'espère que je pourrai aussi compter sur votre soutien dans ce moment crucial qu'est la mise en place du Parquet européen. Je vous remercie pour votre attention et répondrai volontiers à toutes vos questions.

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