Intervention de Ylva Johansson

Commission des affaires européennes — Réunion du 5 novembre 2020 à 8h30
Justice et affaires intérieures — Audition de Mme Ylva Johansson commissaire européenne chargée des affaires intérieures

Ylva Johansson, Commissaire européenne chargée des affaires intérieures :

Merci pour votre invitation à présenter la proposition de la Commission pour un nouveau pacte sur la migration et l'asile. Avant toute chose, je tiens à vous dire combien je suis choquée par les attaques terroristes que la France a subies à Conflans-Sainte-Honorine, Nice et Lyon : l'Union européenne pleure avec vous et reste avec vous dans la lutte contre la violence terroriste. Ce qui affecte la France affecte l'ensemble de l'Union.

Chaque année, 2 à 3 millions de migrants arrivent en Europe et obtiennent un permis de séjour, 1 million pour le travail, la majorité pour des motifs personnels, y compris pour le regroupement familial ; dans le même temps, 1 à 1,5 million d'étrangers quittent notre continent : nous enregistrons donc un solde positif compris entre 1 et 2 millions d'étrangers qui s'établissent chaque année en Europe. C'est une bonne chose car nous en avons besoin, compte tenu de notre population vieillissante. Chaque année aussi, 700 000 étrangers sont naturalisés et l'on peut penser qu'ils resteront toute leur vie sur notre continent. L'an dernier, environ 140 000 étrangers sont arrivés irrégulièrement et quelque 450 000 personnes sont arrivées sans visa et demandent l'asile - le problème se pose alors d'organiser le retour des irréguliers dans leurs pays d'origine. C'est à cette difficulté que nous nous adressons dans le nouveau pacte sur la migration et asile.

En préparant ce pacte, nous avons dialogué avec le Parlement européen, les États membres, les parlements nationaux, les Nations unies, avec des organisations non gouvernementales (ONG), pour mieux comprendre les problèmes à régler et évaluer les solutions utilisées jusqu'à ce jour.

La migration a toujours existé ; c'est un phénomène mondial qui prend ses sources à l'extérieur de notre contient et c'est pourquoi nous avons besoin d'une politique globale, à l'échelle européenne : aucun État membre ne peut le régler seul, ni sans partenariat avec les pays d'origine. Il nous faut travailler avec les pays d'origine pour les aider à maîtriser les flux de population, à mieux contrôler leurs frontières, à lutter contre les réseaux criminels organisés et les trafics d'êtres humains, et nous devons aussi coopérer pour qu'ils reprennent leurs nationaux qui ne sont pas admis à rester en Europe. Nous devons les soutenir dans leur développement économique pour s'attaquer aux causes fondamentales des migrations et des trafics d'êtres humains.

L'Union européenne doit montrer qu'elle prend sa part dans ces politiques migratoires et faire preuve de leadership en matière de droit d'asile, car c'est un droit fondamental correspondant à nos valeurs. Les réfugiés ont un droit à l'accueil et à l'installation sur notre continent. Les conditions dans lesquelles nous faisons appliquer ce droit fondamental nous engagent. Le monde nous regarde, nous devons montrer que nous accueillons et aidons ceux à qui nous reconnaissons le droit à l'asile. Il y a donc un enjeu dans l'application de ce droit fondamental d'accueil et d'intégration des réfugiés et des migrants légaux, pour lesquels nous devons stabiliser nos règles juridiques, pour qu'elles soient claires et effectives et qu'elles facilitent l'entrée des migrants que nous accueillons comme réfugiés ou que nous sommes prêts à accueillir pour d'autres motifs. Il y a ainsi un double mouvement, consistant à conforter, en la garantissant, la protection des étrangers qui entrent sur notre continent par des voies légales, qui se voient reconnaître leur place dans notre économie et dans notre société, et ceux qui entrent par des voies illégales, pour lesquels nous devons adopter des procédures plus rapides et plus effectives.

À cette fin, le nouveau pacte prévoit de soumettre les arrivants à une procédure d'examen approfondie et sérieuse dans un délai de cinq jours à la frontière européenne, destinée à contrôler le profil de l'arrivant, sa situation personnelle, en particulier au regard de la sécurité, et à vérifier également, dans la base de données Eurodac, si la personne adresse une première demande d'accueil ou bien si elle a déjà fait une demande par le passé. Les empreintes digitales seront alors prises et cet examen limité à cinq jours devra déterminer quel pays est responsable de la procédure en cas de demande d'asile. S'il n'y a pas de demande d'asile et si la personne n'a pas le droit de rester sur notre continent, la procédure de cinq jours devra alors déboucher sur un retour immédiat dans le pays d'origine.

Nous voulons une procédure plus courte et plus efficace. Actuellement, un migrant qui demande l'asile en Grèce dispose de dix-huit mois avant d'obtenir une réponse définitive, et il peut ensuite tenter sa chance dans un autre pays de l'Union. Nous voulons changer ce système pour savoir plus rapidement si la personne est susceptible d'être accueillie et agir en conséquence. Nous souhaitons qu'un examen de demande d'asile puisse, à la frontière même, être conduit en douze semaines, de façon que, s'il débouche sur un refus, la personne puisse être reconduite dans son pays d'origine avant qu'elle n'ait eu le temps, comme cela se passe aujourd'hui, de s'installer dans nos sociétés. L'examen actuel de la demande à la frontière est limité à quatre semaines. En passant à douze semaines, le délai donne ses chances à une procédure plus complète, où la personne reçoit une réponse claire, ce qui rend plus crédibles des retours plus massifs dans les pays d'origine.

Actuellement, les deux tiers des migrants irréguliers qui demandent l'asile se voient refuser le statut de réfugié. Cependant, les flux sont encouragés par les trafiquants qui font croire que la simple arrivée en Europe autorise à y rester. Nous voulons inverser les choses, en montrant que, sans besoin reconnu de protection internationale, le retour est organisé dans le pays d'origine. Il y a aussi beaucoup de progrès à faire dans les politiques de retour : en moyenne, environ 30 % des décisions de retour sont exécutées, et environ 14 % seulement en France. Nous pouvons faire mieux ! Les procédures sont aujourd'hui si longues que les migrants ont le temps de s'ancrer dans les sociétés européennes avant de recevoir la décision définitive ; cet ancrage rend le retour plus difficile. En prenant des décisions plus rapides, nous éviterons ces difficultés en nous assurant plus rapidement que seuls les éligibles à notre droit d'asile peuvent rester.

Nous devons travailler sur les retours, établir un meilleur système sur les réadmissions, négocier pour parler d'une seule voix avec les pays d'origine. Nous avons besoin d'être plus efficaces. C'est le rôle d'un coordonnateur européen qui travaille en lien avec les responsables nationaux sur les retours. Nous ne devons pas perdre de vue que, si nous avons une responsabilité collective, avec le droit d'asile, et des devoirs liés à nos engagements internationaux aussi bien que des devoirs moraux, comme le sauvetage des gens en mer, il nous faut aussi assurer une solidarité au sein de l'Union européenne. Certains États membres sont en effet en première ligne, plus exposés à l'arrivée de migrants. Ce principe de solidarité entre les États membres doit jouer sur l'ensemble de la politique migratoire - cela inclut l'aide au retour aussi bien que le sauvetage des vies humaines en mer.

Quand un État membre est sous pression, comme Malte en ce moment, alors nous avons besoin d'un mécanisme obligatoire d'aide, car nous constatons que les contributions volontaires ne suffisent pas. Le nouveau mécanisme laisserait le choix aux États membres entre une aide à la relocalisation et une aide au retour, ou encore à la combinaison des deux, la Commission étant chargée d'établir dans quelle mesure le pays soumis à la pression doit être aidé. Un pays refusant la relocalisation devra prendre la responsabilité de conduire la procédure de retour. Il lui reviendra d'instruire le dossier individuellement, Frontex intervenant ensuite pour l'aider dans les modalités pratiques du retour - l'instruction des procédures individuelles ne peut revenir à la Commission.

Cette répartition des tâches, avec des responsabilités clairement établies, nous aidera à être collectivement plus efficaces dans la politique de retour et apportera une aide concrète aux pays qui sont en première ligne et qui n'ont pas toujours les ressources, en particulier diplomatiques, pour négocier avec les pays d'origine. Le pays qui refuse la relocalisation, dans cette répartition, ne pourra donc se contenter d'une aide monétaire pour assumer sa responsabilité : il recevra un mandat plus précis et ciblé sur des dossiers individuels.

J'ai le sentiment que les citoyens européens sont d'accord pour accueillir les migrants qui ont besoin de protection individuelle et ceux qui sont utiles à notre économie, mais qu'ils veulent que notre droit assure le retour des migrants qui n'entrent pas dans les critères d'accueil. En tout état de cause, nous devons garantir un traitement digne à tous ceux qui se présentent sur notre continent, une dignité à laquelle ils ont droit en tant qu'êtres humains.

J'espère que ces règles seront acceptées par l'ensemble des États membres et que nous parviendrons rapidement à un plan d'action. Il faut établir un dialogue rapproché entre les États membres - leur réaction a d'ores et déjà été très constructive. Je suis optimiste, nous avons besoin de dédramatiser le débat sur les migrations. La situation des migrants peut être dramatique, mais, comme législateur, nous devons être pragmatiques et parvenir, comme pour d'autres secteurs, à avancer pas à pas vers un compromis satisfaisant. Je ne crois pas aux systèmes parfaits ; notre objectif est de parvenir à des règles acceptées par tous les États membres. Je n'ignore pas les difficultés, mais j'espère que nous parviendrons à un accord. Le diable est dans les détails, c'est vrai, mais les possibilités aussi, et il y a de la place pour la négociation ; notre projet peut être amendé. L'accueil très favorable que j'ai reçu me rend optimiste.

Le calendrier est difficile à prévoir. La crise sanitaire y ajoute des contraintes, les négociations nécessaires devant se faire en présentiel plutôt qu'à distance. Mais la plus grande difficulté reste la situation de blocage à laquelle nous sommes parvenus - s'il y a la volonté politique d'en sortir, nous pourrions aboutir rapidement. Le travail a commencé et il se déroule bien jusqu'à présent.

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