Intervention de Brigitte Micouleau

Commission des affaires sociales — Réunion du 18 novembre 2020 à 9h30
Projet de loi de finances pour 2021 — Mission « direction de l'action du gouvernement » - action « mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives » mildeca - examen du rapport pour avis

Photo de Brigitte MicouleauBrigitte Micouleau, rapporteure pour avis de l'action « Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives » :

La Mildeca, dont il me revient de vous présenter les crédits, est chargée d'assurer auprès du Premier ministre la coordination des politiques publiques en matière de lutte contre les addictions, avec ou sans substances. L'examen de ce budget est l'occasion, pour notre commission, de faire un point sur la question des addictions dans notre pays. La crise sanitaire est source de stress intense et de mal-être pour l'ensemble de la population. Les enquêtes montrent néanmoins des impacts différenciés sur les consommations de produits addictifs.

La crise n'a pas fondamentalement bouleversé les habitudes de consommation de drogues des Français, mais des points d'attention sont à relever. Une part non négligeable de la population a augmenté son niveau de consommation durant le confinement du printemps : ces hausses concernent un quart des fumeurs de tabac et de cannabis et un dixième des consommateurs d'alcool, l'absence de cadre de travail ayant conduit à des usages plus nombreux et plus précoces dans la journée. Certains usagers de cannabis ont pris conscience de leur dépendance à l'occasion de ce confinement strict, faute de pouvoir s'approvisionner aussi aisément qu'à leur habitude. Le temps passé devant les écrans augmente quant à lui significativement en période de confinement.

Notons aussi que ce premier confinement a fragilisé les usagers les plus précaires. Les centres de soins ou de prise en charge des addictions ont maintenu tant bien que mal leur activité ; ils se sont saisis de l'outil de la téléconsultation, mais ont également continué à assurer une présence, notamment pour délivrer du matériel de réduction des risques et des dommages ainsi que des traitements de substitutions aux opiacés. Déplorons que ces structures n'aient pas été immédiatement identifiées comme prioritaires pour la délivrance de matériel de protection (masque, gel, etc). Les modalités du confinement actuel permettent aux personnes dépendantes prises en charge dans ces structures de bénéficier de rendez-vous en présentiel, ce qui est évidemment plus favorable.

Avec la crise sanitaire et économique à laquelle est confronté notre pays, les pouvoirs publics doivent être vigilants face au risque accru d'addiction, caractérisée, rappelons-le, par une perte de contrôle.

J'en viens maintenant à un tableau plus large des addictions en France.

Les addictions à très forte prévalence, c'est-à-dire celles qui concernent les usages de tabac et d'alcool, ont depuis plusieurs décennies tendance à diminuer. Rappelons ainsi qu'un Français consommait en moyenne 26 litres d'alcool pur annuellement au début des années 1960, un chiffre qui a été divisé par deux au début des années 2000 et qui continue à diminuer depuis. Pourtant, l'action des pouvoirs publics pour endiguer les consommations d'alcool semble en deçà des enjeux que représente encore ce fléau, responsable de plus de 40 000 morts par an en France. On estime que 30 à 40 % des crimes et délits sont commis sous l'influence de l'alcool, qui favorise les violences intrafamiliales. L'alcool est en outre la substance psychoactive la plus précocement et fréquemment utilisée chez les 18-24 ans. Les repères de consommation à moindre risque demeurent malheureusement profondément méconnus de nos concitoyens.

La structure de la consommation d'alcool est en pleine mutation, avec le passage de la consommation de vin à chaque repas, lié à une forte propension à « tenir l'alcool « et au rejet de l'ivresse, à une consommation à l'anglo-saxonne, avec des alcoolisations ponctuelles importantes dans la jeune génération. La phase aiguë d'alcoolisation nécessite une prise en charge somatique spécifique assurée aux urgences relevant parfois de soins intensifs en réanimation lorsqu'il s'agit de comas éthyliques. L'écart de consommation entre garçons et filles tend par ailleurs à décroître.

Si les résultats sont encourageants s'agissant de la guerre contre le tabac, la vigilance reste de mise : 75 000 décès sont encore attribuables au tabac chaque année et environ un tiers des Français continuent à fumer, dont 25 quotidiennement. Enfin, malgré six années de baisses consécutives de la consommation de tabac, la trajectoire de 2019 s'avère un peu moins bonne que celle de 2018.

Les tendances baissières des consommations d'alcool et de tabac engendrent un phénomène pernicieux que nous a exposé, lors d'une audition, le Pr Jean-Michel Delile, psychiatre et addictologue. Au fur et à mesure de la diminution de la consommation en population générale, les usages résiduels deviennent le fait de populations à risques. Ainsi, la chute du nombre de fumeurs de tabac a été socialement très marquée. Les traditionnelles campagnes d'informations destinées au grand public perdent donc de leur efficacité. Notre système de soins devra s'y adapter, notamment en améliorant le repérage précoce des usagers.

Du côté des drogues illicites, depuis le 1er septembre, l'usage de stupéfiants est puni d'une amende forfaitaire délictuelle de 200 euros. Cette mesure répressive, qui vise les consommateurs de cannabis, ne s'accompagne malheureusement pas des mesures d'information et de prévention indispensables pour faire prendre conscience des dangers de la consommation de cannabis avant l'âge de 20 ans. Les troubles de la mémoire, les maladies psychiques, les chutes du quotient intellectuel repérés chez les jeunes consommateurs de cannabis tranchent avec l'image positive, voire naturelle ou thérapeutique, du produit. En outre, cette mesure visera en premier lieu les publics les plus précaires, contraints de consommer dans l'espace public.

Autre motif d'inquiétude, la prévalence de l'usage de cocaïne ne cesse de s'accroître sous toutes ses voies d'administration. L'extension du crack, médiatisé depuis quelques années seulement, s'est en réalité déroulée à bas bruit depuis une quinzaine d'années et touche de plus en plus de personnes socialement insérées.

Les surdoses mortelles demeurent toutefois principalement liées à la consommation d'héroïne dont les usages restent globalement stables. Des projets de salles de consommation à moindre risque sont en cours d'élaboration à Marseille, Lyon et Bordeaux et j'espère qu'ils aboutiront d'ici octobre 2021, date limite pour ouvrir une nouvelle structure dans le cadre de l'expérimentation actuelle. Rappelons que seules deux salles de consommation à moindre risque existent en France, l'une à Paris et l'autre à Strasbourg, ce qui paraît notoirement insuffisant eu égard aux besoins recensés. L'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) remettra en 2021 son évaluation de l'expérimentation et il nous faudra, en tant que législateur, pérenniser l'ouverture de ces salles, indispensables à la réduction des risques et des dommages.

Si on relève une augmentation du nombre d'hospitalisations liées à des intoxications, les conditions restreintes de prescriptions et la moindre puissance de l'industrie pharmaceutiques nous protègent d'une crise des opioïdes telle qu'a pu la connaître le continent nord-américain. La vigilance reste de mise, et l'Observatoire français des médicaments antalgiques assure une veille indispensable.

Les acteurs de terrain nous alertent enfin sur la vive augmentation du nombre de personnes s'adonnant à des jeux d'argent en ligne. Les paris sportifs ou le poker en ligne cumulent deux critères particulièrement addictifs : d'une part les écrans et d'autre part les paris d'argents.

Le budget de la Mildeca, de 16,7 millions d'euros, diminue pour la treizième année consécutive, pour atteindre seulement la moitié de ce qu'il était en 2009. La nouvelle baisse annuelle de 2,4 % peut néanmoins être partiellement justifiée par la dissolution du Centre interministériel de formation anti-drogue (Cifad) en février 2020. Située à Fort-de-France, cette structure assurait la coopération relative à la lutte contre le trafic de drogues dans les Antilles, la Guyane et la Caraïbe ; sa mission a été transférée au nouvel Office anti-stupéfiant (Ofast), rattaché au ministère de l'intérieur. Le président de la Mildeca était en total accord avec cette réforme, le Cifad rencontrant d'importantes difficultés organisationnelles. Plus de la moitié des crédits, soit 8,6 millions d'euros, sont destinés à son dispositif territorial, 2,6 millions sont alloués à l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), 2,1 millions à sa masse salariale, le reste du budget étant réparti à parts égales entre la mise en oeuvre du plan 2018-2022, la recherche et l'action internationale.

Second opérateur de la Mildeca, l'OFDT voit sa subvention pour charges de service public stagner à hauteur de 2,6 millions d'euros. En application de la loi Pacte et de l'ordonnance du 2 octobre 2019 réformant la régulation des jeux d'argent et de hasard, les missions de l'Observatoire des jeux ont été transférées à l'OFDT le 1er juillet dernier. Celui-ci rencontre des difficultés pour réaliser les enquêtes en cours et celles prévues l'année prochaine du fait de la crise sanitaire.

Pour 2021, la Mildeca bénéficie en outre d'un dixième du montant du fonds de concours « drogues », soit environ 2 millions d'euros.

Le budget très restreint de la Mildeca est heureusement couplé aux 115 millions du fonds de lutte contre les addictions de la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM). La Mildeca est représentée au sein du comité restreint de ce fonds, qui prépare les décisions ministérielles, mais aussi au sein du comité d'orientation stratégique, chargé de proposer chaque année les priorités de financement et de suivre l'exécution du fonds.

Je vous propose donc d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits de l'action « Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives » du programme « Coordination du travail gouvernemental » de la mission « Direction de l'action du Gouvernement » du projet de loi de finances pour 2021.

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