Monsieur le rapporteur, je vous remercie pour votre travail, dans lequel vous avez mis beaucoup du coeur, d'énergie et de réflexion. Nos échanges ont été très constructifs.
Évidemment, nous restons au milieu du gué, puisque vous demandez à la commission de rejeter ce texte, ce dont nous ne pouvons nous satisfaire. Cependant, inciter la commission à se pencher sur la notion de « biens communs » est, pour nous, une première victoire. Je ne doute pas que vous irez plus loin dans vos propositions.
J'ai noté que certains collègues avaient haussé les épaules lors de l'énoncé de l'intitulé du texte, notamment des termes « le monde d'après ». L'emphase, la grandiloquence du propos peut effrayer, mais le sujet est loin d'être exotique, et Nicole Bonnefoy ne prend pas de substances hallucinogènes... Au contraire, notre collègue est extrêmement opiniâtre, sérieuse et travaille dans le concret. D'ailleurs, un certain nombre de ses propositions de loi ont été adoptées, parce qu'elles sont ancrées dans la réalité.
La thématique des biens communs est tout à fait documentée, elle a donné lieu à un travail intellectuel et juridique solide. Les auditions que nous avons menées attestent qu'il s'agit d'une thématique émergente. Or le Sénat a été, ces dernières années, à la pointe des conquêtes juridiques les plus importantes. À titre d'exemples, je mentionnerai le travail de notre collègue Retailleau sur le préjudice écologique, celui de notre collègue Bonnefoy sur l'indemnisation des victimes de produits phytosanitaires, ou encore le texte relatif à l'écocide, même s'il a été rejeté. Le Sénat joue un rôle prospectif très particulier.
Je vous rappelle également la loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre. Notre collègue Christophe-André Frassa, rapporteur, avait fracassé ce texte avec toute la rondeur que nous lui connaissons, puisque ses trois articles avaient été supprimés. À l'autre bout de la planète, au Bangladesh, où je suis allé visiter une usine textile, j'ai pourtant pu constater que le petit bout de droit que nous avions modifié produisait des effets au quotidien. Nous ne sommes donc pas dans un débat philosophique, nous agissons concrètement sur la vie des personnes. S'agissant de la notion de « biens communs », c'est bien cet objectif qui est poursuivi.
Nous ne devons toucher à la Constitution qu'avec une main tremblante, mais l'implication de Nicole Bonnefoy est justifiée par l'expérience. Nous constatons qu'ont été censurées, ces dernières années, au nom de la liberté d'entreprendre, des dispositions importantes relatives au reporting fiscal, ou encore à la protection et au partage du sol face à la spéculation foncière. Aucun d'entre nous ne conteste la liberté d'entreprendre, mais elle peut et doit s'articuler avec d'autres principes.
La notion de « biens communs » nous permettrait, sans doute, de contourner ce type d'écueil. Il s'agit d'une réflexion qui n'est pas franco-française, puisqu'en Italie la commission Rodotà, chargée d'introduire dans le code civil italien la notion de « biens communs », a permis d'engager un débat juridique.
Après les travaux pionniers de Stefano Rodotà, une définition des « biens communs », qui seraient ceux qui contribuent aux droits fondamentaux et au libre développement de la personne, qui doivent être soustraits à la logique destructive du court terme, y compris au bénéfice des générations futures, n'est pas quelque chose de fantasque. Le constat de la finitude des ressources, la nécessité d'effectuer un travail collectif supranational nous paraissent déterminants. Ce débat ne concerne pas qu'un pays ni qu'un parti.
Je terminerai mon propos par une citation. « Ce que révèle cette pandémie, c'est qu'il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. Déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner notre cadre de vie au fond à d'autres est une folie. » Ces mots sont ceux du Président de la République. Vous constatez donc que la notion est partout présente, et nous pouvons espérer que, durant le débat en séance, nos arguments finiront par convaincre certains d'entre vous.