Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ce débat est important, car il concerne 1 million de salariés en situation de détachement, c’est-à-dire travaillant temporairement dans un autre État membre. Il nous permet de relayer l’inquiétude de la Confédération européenne des syndicats à la suite de l’interprétation par la Cour de justice des communautés européennes de la directive du 16 décembre 1996 sur le détachement des travailleurs.
Comme l’ont souligné M. le rapporteur et M. le rapporteur pour avis, la jurisprudence récente de la Cour a pu susciter des interrogations auxquelles il est intéressant de répondre aujourd’hui.
En lui-même, le texte de la directive de 1996 est protecteur. Répondant à la question de savoir quel droit est applicable à la situation de détachement, la directive définit un noyau dur des règles du pays d’accueil s’appliquant impérativement aux travailleurs détachés.
Ces règles sont notamment celles qui régissent les périodes maximales et minimales de repos, la durée des congés annuels, les taux de salaires minimum, la sécurité des travailleurs ou l’égalité entre les hommes et les femmes… Elles sont évidemment impératives, à condition que les règles en vigueur dans le pays d’origine ne soient pas plus favorables, auquel cas celles-ci s’appliqueraient.
Les garanties apportées par la directive sont essentielles pour éviter un dumping salarial généralisé en Europe et des distorsions de concurrence inacceptables entre les entreprises. En effet, on comprend l’intérêt que pourraient trouver des entreprises roumaines ou polonaises à entrer sur nos marchés si elles pouvaient octroyer de faibles rémunérations à leurs salariés.
Comme l’a relevé la commission des affaires européennes, la directive offre une grande sécurité juridique. En effet, d’un côté, les entreprises prestataires connaissent les règles du travail du pays d’accueil qu’elles sont tenues d’appliquer et, de l’autre, les salariés peuvent faire valoir leurs droits aisément.
Détail important, les règles doivent être fixées par la législation du pays d’accueil ou par des conventions collectives déclarées d’application générale. Cela assure leur lisibilité pour une entreprise étrangère. Mais cette disposition va créer des difficultés. La jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes l’appliquera strictement, ce qui peut susciter des difficultés pour certains pays, comme la Suède, où l’État est très en retrait et où la négociation collective est décentralisée. Il n’existe pas d’équivalent à nos conventions collectives, car les salaires sont négociés dans chaque entreprise et les négociations se font au cas par cas.
Dès lors, et c’est la conclusion de la Cour dans les arrêts Rüffert et Laval, si les obligations prévues par le pays d’accueil ne sont pas contenues dans des conventions d’application générale s’appliquant sur tout le territoire ou dans un secteur déterminé, elles peuvent être jugées contraires à la liberté de prestation de service.
Dans les deux affaires, les conventions conclues ne s’appliquaient qu’à certaines entreprises du secteur de la construction. La Cour a donc pu constater que les syndicats, qui cherchaient pourtant à faire respecter des règles sociales, avaient tenté d’imposer aux entreprises des obligations allant au-delà des dispositions prévues par la directive, affectant de ce fait la liberté de prestation de services.
Nous le voyons donc, c’est vis-à-vis de certains États que l’application de la directive peut susciter des difficultés. Ce n’est absolument pas le cas pour la France, dont les règles sociales sont très protectrices et figurent dans des textes ayant la dimension juridique nécessaire.
On peut alors se demander pourquoi la France remettrait en cause la directive et signalerait les difficultés d’application de celle-ci dans d’autres États membres, alors que ces derniers n’en font pas la demande. Dans les affaires Viking, Laval et Rüffert, les États concernés, en l’occurrence la Suède et l’Allemagne, n’ont pas réclamé de révision de la directive. Ils ont plutôt choisi d’adapter leurs règles de droit interne pour tirer les conséquences de la jurisprudence communautaire. Il serait donc malvenu que la France intervienne à leur place.
Le droit à l’action collective est reconnu comme un droit fondamental par la Cour. La liberté de prestation de service étant également un principe fondamental, la Cour s’est livrée à une mise en balance de ces droits. On ne peut cependant pas en déduire, comme le font les auteurs de la proposition de résolution, qu’elle ait établi une hiérarchie entre eux.
C’est à bon droit que la Cour relève qu’une restriction à la liberté de prestation de services doit viser un objectif légitime et se justifier par des raisons impérieuses d’intérêt général. Elle doit également être proportionnée. Concrètement, dans l’arrêt Viking, la Cour a pu très logiquement vérifier que les syndicats ne disposaient pas de moyens autres que la grève pour faire aboutir les négociations.
Comme l’a souligné mon collègue et ami Marc Laménie en commission, la Cour de justice des communautés européennes invite à opérer une conciliation entre ces différents droits et libertés, selon une démarche qui n’est pas sans rappeler celle du Conseil constitutionnel. Le droit de grève n’est pas un droit absolu, que ce soit en droit français ou en droit communautaire, et son exercice peut donc être encadré.
À la demande du groupe socialiste, la proposition de résolution a été inscrite à l’ordre du jour réservé aux groupes d’opposition et aux groupes minoritaires. Cette procédure a permis d’avoir un débat au sein de la commission des affaires européennes, au sein de la commission des affaires sociales et au sein de cet hémicycle aujourd’hui. Le groupe UMP n’a pas souhaité rejeter ou modifier la proposition de résolution initiale en commission, afin de lui permettre d’être examinée en l’état en séance publique, et ce conformément aux accords entre les groupes politiques.
Le débat a donc eu lieu et les arguments pour une révision de la directive ont été entendus. Finalement, que peut-on répondre aux auteurs de la proposition de résolution ?