Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la gravité s’impose face à un conflit meurtrier dont nous voyons désormais les conséquences : des milliers de morts, combattants et civils, des atrocités commises dans et autour des combats et des suspicions profondes de crimes de guerre.
La population arménienne du Haut-Karabagh est déplacée en masse sous la menace. L’Arménie elle-même est déstabilisée.
Cette nouvelle épreuve se place dans une histoire dramatique de l’Arménie, faite d’une succession de guerres, d’échanges forcés de territoires, d’exodes, d’attaques contre son existence même, avec le génocide de 1915. La réorganisation des frontières dont nous héritons aujourd’hui résulte de la domination soviétique.
C’est l’ensemble de ces épreuves qui a forgé l’amitié de la France avec l’Arménie, et les actions que nous avons menées en commun lors de multiples épisodes historiques nous créent aujourd’hui des devoirs.
Le Haut-Karabagh, depuis la renaissance de l’Arménie indépendante, est un territoire restreint, enclavé dans l’Azerbaïdjan, où se regroupent environ 150 000 Arméniens. Son existence n’a été garantie depuis trente ans que par la présence de forces armées arméniennes occupant aussi des zones à peuplement azéri, et sans aucun règlement politique.
Cet historique menaçant nous dit ce que doit et ce que peut faire la France. Le Haut-Karabagh a été attaqué par l’Azerbaïdjan. Il doit bénéficier d’une protection internationale.
Toutefois, regardons les faits. Cette protection part d’une base imparfaite, mais réelle : l’action de la Russie pour faire cesser les combats et pour faire appliquer un cessez-le-feu. Cette protection doit devenir stable, juridique et effective, pour assurer aux Arméniens de vivre au Haut-Karabagh dans le respect de leur culture, de leur vie démocratique et de leur foi.
Soyons tous conscients du rôle maléfique de la Turquie dans cette campagne meurtrière. Ses forces sont en cause dans les exactions criminelles qui ont été relevées. Nous devrons nous tourner vers la Cour pénale internationale pour qu’une enquête approfondie soit menée et dévoile la vérité sur l’ensemble de ces agissements.
L’attitude agressive de la Turquie d’Erdogan, sur ce terrain et sur bien d’autres, est une atteinte aggravée à la paix et aux règles internationales. Elle coïncide avec un grave échec économique et social, qui met ce dirigeant sous pression. C’est un défi majeur pour l’Union européenne, qui, par sa puissance économique et commerciale, peut contribuer à le faire rentrer dans le rang.
Gardons-nous cependant d’assimiler toute la nation turque avec ce dirigeant dévoyé. Ne nous fermons pas aux contacts avec la société turque, où les défenseurs de la liberté et des droits humains agissent pour un autre avenir.
Cette situation dramatique ne peut encourager la France à agir unilatéralement. Nous n’interviendrons pas sur la base d’un rapport de force. Notre rôle se situe dans la légalité et dans l’ordre international. Nos outils s’appellent l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), l’ONU et son conseil de sécurité, la Cour pénale internationale, l’Unesco, le groupe de Minsk. Notons que le dialogue que le Président de la République a voulu entreprendre avec la Russie, choix difficile et critiqué, trouve là son sens. Cette réalité s’impose à nous et cadre avec notre vocation internationale, qui est d’agir dans le multilatéralisme, à un moment, d’ailleurs, où celui-ci va voir son horizon s’éclaircir quelque peu à Washington.
Rappelons-nous l’épisode du conflit de Géorgie : voilà douze ans, la Géorgie attaque une enclave séparatiste protégée par la Russie, laquelle la vainc en quelques jours. Le Président de la République Nicolas Sarkozy joue alors un rôle actif et méritoire de bons offices et facilite un règlement politique. Il l’a fait en respectant le rapport de force et la réalité. §Il n’a pas pu inverser la domination russe. Il n’empêche que le peuple géorgien lui en garde une profonde reconnaissance.
J’en viens à ce qui nous sépare de la proposition de résolution de M. Retailleau : déclarer unilatéralement une reconnaissance du Haut-Karabagh comme État indépendant, c’est-à-dire la création d’un État souverain, …