Intervention de Nathalie Goulet

Réunion du 3 décembre 2020 à 21h45
Loi de finances pour 2021 — Administration générale et territoriale de l'état

Photo de Nathalie GouletNathalie Goulet :

Madame le président, madame la ministre, mes chers collègues, je commencerai par un mot sur la gestion de la prévention de la radicalisation.

Comme chaque année, je souhaite vous faire part de mes doutes sur le comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR), qui ne fait pas l’objet d’une évaluation suffisante et dont la stratégie est compliquée. Si l’on y ajoute sa fusion avec la Miviludes et la baisse des crédits, on est en droit de s’inquiéter.

La lutte contre la radicalisation est extrêmement importante. Or, lorsque l’on regarde le « jaune » budgétaire des comités Théodule qui sont associés aux ministères, on constate que le conseil scientifique sur les processus de radicalisation, institué par la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, dite loi SILT, et qui compte 31 membres, s’est réuni zéro fois en 2017, trois fois en 2018, six fois en 2019… Il s’agit, certes, d’une croissance exponentielle, mais cela ne va pas nous aider à beaucoup réfléchir sur la radicalisation !

Je focaliserai mon intervention sur la fraude documentaire, qui fait partie aussi des missions de ce conseil scientifique. Il y aurait beaucoup à dire, madame la ministre, sur ce sujet.

Pour ceux qui, par pudeur ou par dogmatisme, s’évertuent à minimiser la gravité de la fraude documentaire et de ses effets, je souhaite vous raconter une petite histoire. Un individu fiché S, chef d’un réseau sophistiqué de faussaires – faux papiers d’identité, comptes bancaires usurpés, escroquerie aux prêts automobiles – a détourné, au moyen de 73 fausses identités, 193 véhicules alors qu’il était mis en examen depuis 2010 dans le cadre d’une procédure de financement du terrorisme. Les faux documents, cela existe !

Toujours au sujet de la fraude documentaire, je me permets de vous lire un courriel du 25 février 2020, donc assez récent, adressé par le responsable d’un commissariat de l’Orne à l’association des maires de ce département : « Par le biais de ce mail, je souhaite vous sensibiliser sur le point suivant : lors de la demande de carte nationale d’identité en mairie, les usagers présentent un certificat de naissance. Ce certificat de naissance peut être vérifié par les agents de la mairie via le logiciel Comedec, qui est facultatif pour les mairies, car très onéreux. »

Ne croyez-vous pas, madame la ministre, que les mairies pourraient accéder à ce logiciel gratuitement ? Cela permettrait d’éviter un certain nombre de délires…

Le responsable du commissariat poursuit : « Les voyous profitent de cette faille pour se présenter dans les mairies de ces communes avec un faux certificat de naissance et une demande de carte nationale d’identité. Si l’agent de la mairie ne s’assure pas de l’authenticité du certificat de naissance, le demandeur se retrouve avec une vraie carte d’identité, mais avec une identité frauduleuse. » Sécuriser les actes d’état civil, cela relève de cette mission, et c’est absolument déterminant !

Il existe un lien avec la mission précédemment examinée : la majorité des pays d’Afrique subsaharienne accusent un retard absolument gigantesque pour ce qui est de la sécurisation des actes d’état civil. Des personnes n’ayant pas d’état civil sécurisé vont donc voyager, ou éventuellement émigrer, et l’on ne parviendra jamais à garantir leur identité. L’Unicef avait fait part de ses grandes inquiétudes à cet égard l’année dernière et celle qui précédait.

Madame la ministre, allez-vous suivre les préconisations des différents rapports et commissions d’enquête sur la fraude documentaire ? Travaillerez-vous avec les pays étrangers qui sont nos partenaires pour sécuriser les actes d’état civil ?

Il suffirait de compléter l’article 47 du code civil par l’alinéa suivant : « Un décret en Conseil d’État établit une liste de pays pour lesquels la présomption de l’alinéa précédent ne s’applique pas. Ce décret détermine les pays concernés et les modalités d’admission des documents destinés à prouver l’identité de leurs ressortissants. »

C’est un véritable sujet ! Il faut établir – c’est très important – un plan de sécurisation de l’identité auprès des organismes sociaux via le développement des outils de biométrie.

Je souhaite vous demander, madame la ministre, de bien vouloir consulter vos homologues étrangers pour mettre en place une coopération massive de sécurisation des identités et des états civils.

Un programme du Fonds européen pour la sécurité intérieure (FSI), doté de 3, 8 millions d’euros pour la période 2014-2020, va être reconduit. Peut-être est-ce le moment d’utiliser ces fonds européens pour mener des opérations de sécurisation des titres, qu’il s’agisse de titres français ou de titres étrangers de personnes qui viennent en France.

Par ailleurs, il n’existe toujours pas de formulaire Cerfa pour les actes de naissance en France. Si le contenu de l’acte de naissance est partout le même, ce n’est pas le cas pour le document qui le porte : chaque mairie émet les documents sur son propre papier à lettres.

Tous ces éléments sont des causes absolument évidentes de fraude documentaire, que nous retrouvons ensuite tout au long d’un processus.

Je conclurai mon propos en vous remerciant, ainsi que vos services, pour la qualité du document de politique transversale (DPT) Prévention de la délinquance et de la radicalisation.

Je le redis, je demeure très interrogative et perplexe sur le CIPDR, dont j’espère que la nouvelle gouvernance permettra de faire avancer les choses. En effet, nous sommes appelés à parler encore de terrorisme et de sécurité, et à débattre d’un texte sur le séparatisme. Mais il faut d’abord que les dossiers de la fraude documentaire et de la prévention de la radicalisation soient bouclés. Aucune mesure de politique pénale ne vaudra une bonne prévention !

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