Intervention de Laurent Duplomb

Commission des affaires économiques — Réunion du 24 novembre 2020 à 15h05
Projet de loi de finances pour 2021 — Mission « agriculture alimentation forêt et affaires rurales » - examen du rapport pour avis

Photo de Laurent DuplombLaurent Duplomb, rapporteur pour avis :

Le budget, après examen par l'Assemblée nationale, est proposé à hauteur de 3 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et en crédits de paiement (CP) pour 2021, soit un recul de 34 millions en AE et une augmentation de 34 millions d'euros en CP par rapport à la loi de finances initiales pour 2020.

Deux évolutions ont un impact à la baisse sur le budget en AE. La première est la baisse des cofinancements des dotations aux mesures agroenvironnementales et climatiques (MAEC) par rapport à l'année dernière, même si c'est un effet d'optique puisque ces dotations avaient été exceptionnellement accrues en 2020 pour engager une nouvelle vague de contrats MAEC. J'en veux pour preuve que nous aurons encore en 2021 des crédits à engager à un niveau deux fois supérieur à celui de 2019. La seconde évolution est la baisse des dotations du plan de compétitivité et d'adaptation des exploitations agricoles (PCAE) de 11 millions en AE et de 23 millions en CP.

J'ajoute, pour information, que les crédits de paiements pour les indemnités compensatoires de handicaps naturels (ICHN) seront en recul de 2 millions d'euros en raison de la fin de la compensation pour les communes sortantes du nouveau zonage.

En parallèle ont été augmentées plusieurs lignes budgétaires. Pour le programme 149, je veux mentionner la dotation pour aléas de provisions, tout d'abord, qui passe de 175 à 190 millions d'euros. Il en va de même pour les crédits de l'action dédiée à la forêt, en hausse de 7 millions d'euros.

Le programme 206, dédié à la sécurité sanitaire, augmente également de 33 millions d'euros en AE et 32 millions d'euros en CP, principalement pour boucler le plan de recrutement des contrôles aux importations dans le cadre du Brexit et pour réformer la base de données nationale d'identification animale (BDNI), conformément à nos engagements européens.

Enfin, le programme 215, dédié aux moyens du ministère, est également en augmentation en raison, principalement, d'investissements immobiliers et informatiques.

On le voit, c'est un budget de gestion. À ce budget finalement assez stable s'ajoutent plusieurs points positifs : le maintien du dispositif d'exonérations de charges patronales pour les employeurs de travailleurs occasionnels et de demandeurs d'emplois en agriculture pour deux années supplémentaires - le Sénat l'a d'ailleurs, et à juste titre, pérennisé dans le PLFSS ; le maintien du budget des chambres d'agriculture et l'abandon, cette année, du projet de baisse de leur budget de 45 millions d'euros envisagé l'année dernière par le Gouvernement ; la mise en place d'un volet agricole dans le plan de relance pour 1,2 milliard d'euros comportant plusieurs mesures favorables à l'investissement, notamment des aides aux investissements favorables à la réduction d'intrants, au bien-être animal et à la réduction des risques liés aux aléas climatiques, ce que nous défendons lors des discussions sur le projet de loi de finances depuis longtemps et que le Gouvernement s'est enfin décidé à reprendre. Avec MM. Franck Montaugé, Bernard Buis et Franck Menonville, nous avions, au nom de la cellule de veille et de contrôle de notre commission sur la crise sanitaire, fait des propositions et appelé le Gouvernement à prendre de telles mesures. Nous ne pouvons donc que nous en féliciter : dans le détail, un milliard sera consacré à l'agriculture et 200 millions à la forêt.

Toutefois, nous constatons trois points négatifs qui nous opposent à ce budget. Le premier, et M. Jean-Claude Tissot y reviendra, concerne la diminution de 10 millions d'euros du compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural » (Casdar).

Le second concerne les aides de crise. Vous le savez, certaines filières agricoles n'ont pas été épargnées par le premier confinement, notamment en l'absence de débouchés à l'export ou en restauration hors foyer (RHF) et en raison de la fermeture de certains canaux de distribution. Je pense à la viticulture, à l'horticulture, aux brasseurs, aux producteurs de cidre, aux petites filières de la volaille ou aux producteurs de pommes de terre. Nous avons obtenu l'engagement du précédent ministre de l'agriculture d'obtenir des aides ciblées pour les viticulteurs, l'horticulture, la pomme de terre, les brasseurs et producteurs de cidre, ainsi que des aides européennes pour les pisciculteurs et conchyliculteurs.

Mais nous avons découvert trois anomalies. À ce stade, aucune aide nationale n'a été versée ! Seules les aides européennes ont été décaissées pour les viticulteurs pour la distillation de crise. Aucune aide française n'a été versée depuis le début du confinement au mois de mars : le Gouvernement répond-il ainsi à l'urgence dans ces conditions en attendant plusieurs mois avant d'agir ?

Le ministre a aussi annoncé une baisse de certaines enveloppes, c'est le cas pour les pommes de terre, les montants étant réduits à 4 au lieu de 10 millions d'euros. Et les viticulteurs craignent que les services du ministère ne reviennent sur leurs promesses de fonds pour compenser les sanctions américaines en considérant que la distillation de crise valait solde de tout compte. C'est une remise en doute de la parole de l'État qui pose des difficultés.

Enfin, tout occupé à assurer le versement, on l'a compris tardif et réduit, des aides du premier confinement, le ministère n'a pas envisagé, encore aujourd'hui, un plan d'aides liées au second confinement. Or les problèmes sont les mêmes et les mêmes filières sont en difficulté : volailles à l'approche de Noël, pommes de terre et brasseurs sans débouchés avec la fermeture des restaurants, horticulteur en l'absence de fleuristes, etc.

Nous aurons encore un retard qui mettra en péril certaines filières. Avec MM. Franck Montaugé, Bernard Buis et Franck Menonville, nous craignions cet été qu'à défaut d'aides, le potentiel productif ne soit réduit, notamment dans les plus petites filières. Nous y voici ! Pour la pintade, par exemple, 15 % du matériel génétique a été détruit depuis mars. C'est une perte pour la France. Il en va de même pour les pigeons ou les cailles. En ajoutant une saison de Noël potentiellement catastrophique et un risque d'influenza aviaire, la filière pourrait ne pas s'en remettre. Il faut les aider et vite ! Nous appelons le ministre à réagir sur ce sujet rapidement, avant qu'il ne soit trop tard.

Le troisième point négatif concerne enfin la sincérité du budget. Il est étonnant de constater que des mesures nouvelles annoncées, ici même, par le ministre de l'agriculture et de l'alimentation ne figurent pas dans le budget, par exemple les 7 millions d'euros afin d'accélérer la recherche sur les alternatives au glyphosate ou les 7 millions d'euros destinés à financer le plan de recherche d'alternatives aux néonicotinoïdes pour la betterave sucrière. Enfin, aucune mention du plan d'indemnisation des planteurs betteraviers touchés par l'épidémie de jaunisse en 2020 ne figure dans les documents budgétaires, alors que cette mesure a été annoncée par le ministère, sans être à ce stade chiffrée.

Lors de son audition, le ministre a assuré que ces crédits seraient financés par des « redéploiements » en cours de gestion à la fois sur le Casdar et les crédits de la mission, c'est-à-dire en imposant des économies sur d'autres dispositifs, notamment en mobilisant la réserve, et sans informer préalablement le Parlement de ces mesures. Cela n'est pas conforme à l'esprit de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), et nous prive d'un débat sur ces sujets.

Au fond, il me semble que nous ne pouvons pas accepter le budget présenté cette année. Il commet une erreur stratégique sur le Casdar, une erreur tactique sur les aides d'urgence liées à la covid-19 et suscite des inquiétudes en ne prenant pas en compte certains risques évidents. Comment comprendre que les Pays-Bas soutiennent massivement leurs horticulteurs dans la crise, alors que le Gouvernement français qui leur avait promis 25 millions d'aides n'a toujours pas versé un centime...

C'est pour ces raisons que nous vous proposons d'adopter un avis défavorable sur les crédits de la mission et sur le Casdar.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion