Intervention de Françoise Férat

Commission des affaires économiques — Réunion du 24 novembre 2020 à 15h05
Projet de loi de finances pour 2021 — Mission « agriculture alimentation forêt et affaires rurales » - examen du rapport pour avis

Photo de Françoise FératFrançoise Férat, rapporteur pour avis :

Nos auditions nous ont conduits également à étudier certains facteurs de risque que le budget ne prend pas en compte à ce stade. Ce sont des défis. Ils sont source d'inquiétude. J'en prendrai trois : l'adaptation au changement climatique, la sécurité sanitaire et la forêt.

Les crédits dédiés à compenser les pertes agricoles liées au changement climatique sont avant tout tracés, dans le budget, par le biais de la provision pour aléas. Créée en 2018, à hauteur de 300 millions, cette provision avait pour mission de couvrir les effets des crises agricoles selon le Gouvernement. Notre commission avait, de son côté, relevé l'intérêt manifeste de cette réserve, à savoir masquer un budget pour l'agriculture en forte baisse en 2018, compte tenu de la fin de la compensation à la Mutualité sociale agricole (MSA) de l'exonération de cotisation maladie des exploitants agricoles. Elle avait craint que cette provision ne serve, au fur et à mesure, de variable d'ajustement budgétaire.

Depuis, force est de constater que cette provision est devenue cette variable d'ajustement utilisée par le ministère de l'agriculture pour donner des économies à Bercy lors de la construction du budget. Elle a été réduite de 100 millions d'euros en 2019 et de 25 millions en 2020. Il faut le regretter dans la mesure où ces crédits sont censés couvrir les frais engagés en cas de crise agricole, qu'elle provienne d'un aléa climatique ou sanitaire, mais aussi les frais engagés pour régler les apurements communautaires.

Or nous constatons, chaque année, sur l'ensemble du territoire français, que la nature et la fréquence de ces crises augmentent. J'en veux pour preuve les sécheresses à répétition connues depuis 2016 ou, plus spécifiquement cette année, les impacts très forts sur les rendements de l'épidémie de jaunisse sur les betteraves.

Et chaque année nous constatons que la provision pour aléa a été sous-dotée. Cette année par exemple, l'État avait prévu une provision de 175 millions d'euros - il en dépensera finalement 230 pour compenser les effets de la sécheresse 2019 au Fonds national de gestion des risques en agriculture (FNGRA) et payer les apurements communautaires.

En 2020, compte tenu de la sécheresse de cet été, les indemnisations à payer aux producteurs de betterave en raison de la jaunisse et les aides de crise à payer aux filières en difficulté en raison du confinement l'année prochaine, notre boule de cristal nous fait voir que la réévaluation de 15 millions d'euros de la provision ne sera pas suffisante.

J'ajoute à ces craintes les risques importants liés aux épidémies cette année, et c'est le second défi que le budget ne semble pas vouloir relever.

Depuis octobre 2020, plusieurs virus d'influenza aviaire hautement pathogènes sévissent partout au nord de l'Europe. Et la France n'est pas en reste : nous avons eu confirmation, hier, de la détection d'un troisième foyer d'influenza aviaire en France. Les trois cas sont situés dans des animaleries ou des basses-cours et les élevages ne sont pas, à ce stade, touchés. Des zones de protection et de surveillance sont imposées autour de ces foyers. Un premier zonage de trois et dix kilomètres va être effectué autour de ces sites. En parallèle, l'ensemble du territoire national a été placé sous surveillance avec un renforcement des mesures de biosécurité et une surveillance événementielle de l'avifaune plus musclée. Toutefois, la sanction est tombée : la France n'a plus le statut indemne et les exportations de produits en seront altérées.

À cet égard, la tuberculose bovine doit également nous inquiéter. Le nombre de foyers en France est en continuelle augmentation et atteint près de 150 foyers prévalents aujourd'hui, principalement en Nouvelle-Aquitaine, en Normandie et en Côte-d'Or. Au regard de cette augmentation des cas, les mesures de gestion font l'objet d'une dotation supplémentaire de crédits cette année. Enfin, demeurent également les risques d'épidémie de peste porcine africaine, moins élevés désormais depuis la Belgique, mais qui se rapproche lentement depuis l'Allemagne. Et c'est sans parler des impacts des abattages de visons en raison de la covid-19.

Tous ces risques épidémiques font peser un risque fort sur le budget. Pour mémoire, le coût budgétaire de l'épisode H5N8 de 2017 a été estimé à plus de 64 millions d'euros pour le seul programme 206. Il va de soi que, dans ces conditions, le budget qui nous est présenté ne prend pas suffisamment en compte ces éléments en matière de prévention et d'indemnisation.

Enfin, venons-en au défi posé par la forêt. La crise sanitaire que subit notre forêt n'est pas due à l'apparition soudaine de nouveaux insectes. C'est une crise d'affaiblissement des défenses naturelles de nos arbres, qui n'ont pas bien supporté les variations climatiques et les épisodes de sécheresse. Il en résulte une baisse des prix du bois qui met en péril le modèle de notre Office national des forêts (ONF), dont les déficits et l'endettement sont désormais très inquiétants. Nos communes forestières et les propriétaires privées sont également touchés, et ce, au pire moment, à savoir celui où il faudrait investir pour massivement replanter.

Le plan de relance propose d'avancer sur ce sujet en mettant 150 millions d'euros sur la table pour replanter. Mais rappelons que l'Allemagne consacre un effort de près de 800 millions d'euros pour sa forêt. Nous risquons de n'être pas au rendez-vous.

Finalement, le budget de gestion détaillé par M. Laurent Duplomb, ne répond pas aux principaux défis posés à notre monde agricole et forestier. C'est pourquoi je rejoins mon collègue en vous proposant de lui donner un avis défavorable.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion