Madame la Présidente, mes chers collègues, le projet de loi de finances pour 2021 intervient dans un contexte très particulier : un an après l'entrée en vigueur de la loi « Énergie-Climat », qui a fixé nos objectifs énergétiques et climatiques ; huit mois après le début d'une pandémie dont les effets n'ont pas fini d'être ressentis sur notre économie, et singulièrement sur le secteur de l'énergie.
Ce contexte génère beaucoup d'inquiétudes quant à la capacité des États parties à l'Accord de Paris, dont la France fut l'hôte, à maintenir le cap de la « neutralité carbone ». Pire, dans nos territoires, les collectivités territoriales, les acteurs économiques mais aussi les ménages, ne disposent plus toujours des ressources concrètes à la hauteur de cette ardente ambition.
Notre politique de transition énergétique est donc entrée dans une véritable zone de turbulences.
Pour autant, je veux le dire très clairement ici : oui, en matière de transition énergétique, les résultats obtenus sont en-deçà des discours affichés ; non, l'ambition fixée par la loi « Énergie-Climat », ainsi que la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) qui en découle, n'est pas devenue inatteignable ou caduque.
Pour la réaliser, le Gouvernement doit mettre des moyens financiers et administratifs en regard des objectifs énergétiques et climatiques adoptés par le législateur : il doit faire mieux en faveur de la transition énergétique ! Je dis mieux et pas forcément plus car les crédits « Énergie » sont bien là cette année, même si leur réévaluation est bien tardive et mal calibrée.
Les crédits « Énergie » de la mission Écologie dont nous sommes saisis s'élèvent à 12,1 milliards d'euros pour 2021.
Ils sont complétés par la mission Relance : sur 110 milliards d'euros, un dixième, sont, dans ce cadre, alloués à la transition énergétique.
Si cet effort mérite d'être salué, il doit d'emblée être relativisé.
En effet, la moitié des crédits « Énergie » ne présentent une apparence haussière que grâce à des redéploiements de crédits ; à périmètre constant, ils sont en baisse de plus d'un milliard d'euros !
Plus spécifiquement, ces crédits sont caractérisés par :
- la suppression du compte d'affectation spéciale Transition énergétique (CAS TE) ;
- une forte diminution du programme 174 Énergie, climat, après-mines (- 15 %) et du programme 345 Service public de l'énergie (- 5 %) ;
- la stabilité du compte d'affectation spéciale Financement des aides aux collectivités pour l'électrification rurale (CAS FACÉ).
Plus substantiellement, ces crédits présentent trois difficultés.
Premier domaine : le soutien aux énergies renouvelables (EnR).
Sur ce sujet, je déplore vivement la suppression du CAS TE, dès le 1er janvier prochain, car ce compte constitue de très loin le premier dispositif de financement des EnR : ce sont en effet 6,3 Mds d'euros, financés par des taxes énergétiques affectées, qui leur sont ainsi attribués.
À l'évidence, ce compte apporte de la visibilité et de la sécurité aux porteurs de projets d'EnR, en sanctuarisant les moyens dont ils disposent. Il favorise, de surcroît, l'acceptation de la fiscalité énergétique, en identifiant clairement son utilisation aux yeux des contribuables.
Une autre difficulté tient à la révision des contrats d'achat conclus par certaines installations photovoltaïques de plus de 250 kilowatts, qui a été introduite par un amendement du Gouvernement n'ayant fait l'objet d'aucune évaluation ou concertation : 800 installations seraient concernées !
Cette disposition soulève de très lourdes difficultés :
- en intervenant à titre rétroactif, elle érode la confiance des acteurs économiques en la parole de l'État et remet en cause les hypothèses sur lesquelles ils se sont fondés pour développer leurs activités et contracter des emprunts : disons-le tout net, plus personne ne se risquera à lancer de tels projets, en faveur de la transition énergétique dans nos territoires, si le soutien qui leur est apporté par l'État fluctue désormais au gré des projets de loi de finances ;
- en induisant une différence de traitement selon la date de conclusion du contrat, la puissance de l'installation mais aussi entre les différentes filières d'EnR, cette disposition sera assurément l'objet de contentieux ;
- on ne voit pas bien ce qui pousse le Gouvernement à réviser aussi tardivement des contrats d'achat qui ont été conclus il y a maintenant 10 ans ;
- enfin, si la ministre a indiqué espérer 2 Mds d'euros d'économies, cette somme renvoie en réalité, non au coût des installations concernées, mais à celui de l'ensemble de la filière photovoltaïque avant 2011 !
La dernière difficulté concerne l'évolution des charges de service public de l'énergie (CSPE), qui sont au fondement des dispositifs de soutien public aux EnR, si la crise du Covid-19 devait perdurer et les prix des énergies diminuer.
En effet, plus le prix de l'électricité est faible, plus le niveau de ces charges est élevé ; selon la Commission de régulation de l'énergie (CRE), la baisse de ce prix liée à la crise du Covid-19 a ainsi renchéri ces charges d'un milliard d'euros pour 2020 !
Pour le reste, les dépenses de soutien aux EnR, désormais intégrées au budget général, connaissent des évolutions contrastées : + 120 % pour le biogaz, ce dont je me réjouis car cette filière est utile aux agriculteurs dès lors que l'on concilie bien tous les usages, mais - 85 % pour les effacements de consommation - ce qui m'inquiète car nous en aurons vraiment besoin pour garantir la sécurité d'approvisionnement cet hiver !
Enfin, si les dépenses de soutien du Fonds chaleur sont maintenues à 350 millions d'euros, elles se heurtent à des difficultés de mise en oeuvre dues aux effectifs de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe).
Deuxième domaine : la rénovation énergétique.
Le 1er janvier 2021, le crédit d'impôt pour la transition énergétique sera supprimé au profit de « MaPrimeRénov' », dont je salue l'ouverture à tous les ménages et aux propriétaires bailleurs - notre commission a suffisamment bataillé lors des derniers exercices budgétaires pour s'en féliciter aujourd'hui !
Seuls deux crédits d'impôt très spécifiques subsistent à la suppression du CITE : pour les bornes de recharge électriques et pour la rénovation énergétique des PME.
Cette situation n'est pas satisfaisante : en effet, les crédits alloués à « MaPrimeRenov' » pour 2021 sont inférieurs de 15 % à ceux du CITE pour 2018 !
Surtout, « MaPrimeRénov' » connaît des difficultés de gestion par l'Agence nationale de l'habitat (Anah) : 65 000 dispositifs ont en effet été attribués en 2020, contre un objectif de 200 000.
Il en est de même du chèque énergie, qui n'est utilisé que dans 0,02 % des cas pour le financement des travaux de rénovation énergétique !
Troisième domaine : la mobilité propre.
Là aussi, le constat est mitigé : si la prime à la conversion et le bonus automobile ont été réévalués en 2020, leur niveau diminue de 17 % dès 2021 !
Cela s'explique par l'instabilité normative de ces dispositifs, la prime à la conversion n'ayant été prolongée que jusqu'au 1er juillet prochain.
Cela nuit à leur déploiement : seules 50 000 primes à la conversion ont ainsi été attribuées en 2020, contre un objectif de 250 000.
Les crédits « Énergie » de la mission Relance sont-ils plus satisfaisants ? Pas vraiment.
Tout d'abord, les financements croisés entre la mission Écologie et la mission Relance, ainsi que la juxtaposition de deux ministres responsables, rendent l'ensemble totalement illisible et augurent de lourdes difficultés de gestion.
Les objectifs et indicateurs de performance ne sont parfois pas les mêmes !
Sur le fond, plusieurs problèmes m'ont été signalés :
- les crédits attribuées à la rénovation énergétique manquent de visibilité car ils ne sont programmés que jusqu'en 2022 ;
- par ailleurs, il existe une ambiguïté quant aux projets d'hydrogène susceptibles de faire l'objet d'un soutien selon leur source d'énergie - nucléaire ou renouvelable - ; la CRE a appelé à n'effectuer aucune distinction : je partage totalement ce point de vue ;
- de son côté, l'énergie nucléaire ne bénéficie que de 200 millions d'euros sur un total de 110 milliards, alors qu'elle représente les trois quarts de notre mix ;
- enfin, les EnR sont les grandes oubliées du Plan de relance, à commencer par l'hydroélectricité, les biocarburants et le biogaz.
Si les crédits « Énergie » des missions Écologie et Relance sont en définitive décevants, y a-t-il des progrès cette année en matière de fiscalité énergétique ? Assurément, non.
En premier lieu, ces prélèvements augmentent de 5,1 Mds d'euros.
Loin du gel annoncé en 2018, les taxes intérieures de consommation sur les produits énergétiques, le gaz naturel et l'électricité progressent à un niveau bien supérieur à leur croissance spontanée.
Parmi ces évolutions, celle relative de l'électricité est la plus inquiétante ; en effet, le PLF pour 2021 prévoit que la TICFE intègre les taxes sur l'électricité communale et départementale.
Cette évolution pose un risque de hausse de la taxation de l'électricité et d'érosion de l'autonomie fiscale des collectivités territoriales.
En second lieu, les incitations fiscales diminuent de 1,7 milliard d'euros, avec notamment la suppression : depuis cette année, du remboursement de TICPE pour les transporteurs routiers ; au 1er janvier, de l'exonération de TICGN sur le bio-méthane injecté dans les réseaux ; au 1er juillet, du tarif réduit de TICPE sur les carburants « sous conditions d'emploi ».
Au total, la fiscalité énergétique bénéficie toujours plus à l'État, dont les recettes issues de la TICPE doublent, sous l'effet de la suppression du CAS TE.
Dans ce contexte, il me paraît crucial que notre commission modifie substantiellement les dispositions du PLF pour 2021 relatives à l'énergie.
Pour ce qui concerne la première partie, j'ai présenté plusieurs amendements, à titre personnel, largement cosignés par les membres de notre commission : je suis heureux que nous ayons obtenu satisfaction sur la fiscalité, notamment énergétique, appliquée aux carburants « sous conditions d'emploi », aux transporteurs routiers, aux biocarburants, au biogaz, aux batteries ou encore aux bornes de recharge électriques.
S'agissant de la seconde partie, je veux soumettre à notre commission plusieurs propositions d'amendement.
Le premier (AFFECO.1) tend à supprimer la révision des contrats d'achat des installations photovoltaïques pour les raisons que j'ai indiquées.
Le deuxième amendement (AFFECO.2) vise à abonder de 100 millions d'euros les crédits attribués au chèque énergie, pour permettre aux ménages de financer leurs dépenses de rénovation énergétique ; il est d'autant plus justifié que la crise du Covid-19 augmente le risque de précarité énergétique et rend urgente une régulation de la consommation d'énergie, pour surmonter la « pointe » de consommation à venir.
Le troisième amendement (AFFECO.3) tend à porter à 50 millions d'euros les crédits attribués à la revitalisation des territoires touchés par les fermetures de certaines centrales, qui ont baissé de 83 % cette année.
Cette évolution est incompréhensible, alors que nos territoires vont être très durement affectés par la fermeture de 4 centrales à charbon d'ici 2022 et de 14 réacteurs nucléaires d'ici 2035. Je vous rappelle que ces territoires n'ont pas demandé ces fermetures et vont en subir les conséquences ! Il est donc nécessaire d'anticiper ces fermetures et d'accompagner ces territoires.
Les derniers amendements (AFFECO. 4 et AFFECO.5) tendent à créer deux fonds d'urgence pour soutenir, dans la crise du Covid-19, les fournisseurs d'énergie - pour 20 millions d'euros - et les stations-service - pour 10 millions d'euros.
Les premiers sont confrontés à une hausse des impayés de facturation, due au report du paiement des factures des micro-entreprises et de la « trêve hivernale », en application de la loi d'urgence du 27 juin 2020.
Les seconds sont affectés par la baisse des ventes de carburants, liée aux mesures successives de confinement.
Ces amendements permettraient d'aider les plus petits fournisseurs d'énergie, tels que les entreprises locales de distribution (ELD), ainsi que les stations-service rurales du réseau routier secondaire. Ils sont également utiles en termes d'aménagement du territoire.
En définitive, même si les crédits « Énergie » qui nous sont soumis ne sont pas pleinement satisfaisants, je propose à notre commission d'émettre un avis favorable, sous réserve de l'adoption des amendements précités.
Certaines priorités de ce budget sont bonnes et j'observe que notre commission les a portées depuis longtemps : je pense à la rénovation énergétique, à l'hydrogène, à la mobilité propre !
Sur la rénovation énergétique, je veux rappeler tout le travail conduit au Sénat, lors de l'examen de la loi « Énergie-Climat », ou encore avec nos anciens collègues Roland Courteau et Daniel Dubois, dans le cadre de notre plan de relance en juin.
Pour ce qui est de l'hydrogène, c'est un dossier hautement stratégique pour l'indépendance énergétique de notre pays.
Je crois, au total, que l'urgence générée par la relance économique et les changements climatiques impose de modifier, de compléter, ces dispositifs fiscaux et budgétaires, plutôt que de les rejeter d'un bloc.
C'est tout l'enjeu des amendements de première et de seconde partie que j'ai proposés.