Intervention de Dominique Estrosi Sassone

Commission des affaires économiques — Réunion du 24 novembre 2020 à 15h05
Projet de loi de finances pour 2021 — Mission « cohésion des territoires » - crédits « logement » - examen du rapport pour avis

Photo de Dominique Estrosi SassoneDominique Estrosi Sassone, rapporteur pour avis :

« Le logis, c'est le temple de la famille. Il est permis d'y vouer toute sa ferveur, toutes les ferveurs. » Il m'a semblé qu'après l'examen de deux avis budgétaires, cette phrase de l'architecte Le Corbusier, datant de 1956, était de circonstance au moment d'examiner le troisième, sur le budget du logement ! Plus sérieusement, elle me paraît parfaitement illustrer les enjeux du moment pour le logement, dont le caractère de bien de première nécessité pour les Français est une nouvelle fois mis en exergue, que ce soit par la crise du secteur de la construction, qui est dans l'angle mort du plan de relance, à travers les questions que soulèvent le financement des aides personnelles au logement (APL), ou la nécessaire amplification de l'effort en faveur de l'hébergement d'urgence dans un contexte de crise économique, de paupérisation et de précarisation.

Ce qu'on appelle le budget du logement comprend, au sein de la mission « Cohésion des territoires », trois programmes : le Programme 109, d'aide à l'accès au logement, le Programme 135, consacré à l'urbanisme, aux territoires et à l'amélioration de l'habitat, et le Programme 177, consacré à l'hébergement, aux parcours vers le logement et à l'insertion des personnes vulnérables.

Ces trois programmes forment une enveloppe de 15,2 milliards d'euros en crédits de paiement, en augmentation de 5,6 % par rapport à 2020. Dans cet ensemble, les APL pèsent à elles seules pour près de 12,5 milliards d'euros de crédits budgétaires. S'y ajoutent de très importantes dépenses fiscales, qui s'élèvent à plus de 10 milliards d'euros.

Sans vous noyer sous les chiffres, je vais aborder chacun de ces programmes à travers une question : la crise du secteur de la construction, le financement des APL et l'hébergement après la crise, après l'urgence.

Tout d'abord, le secteur de la construction neuve apparaît bien comme un angle mort du plan de relance. Je voudrais en premier lieu souligner la gravité de la situation.

Malgré le rebond observé après le premier confinement, qui a permis de retrouver en septembre le niveau d'activité de l'année passée, le retour à la normale n'a pas comblé le déficit accumulé. Selon les chiffres transmis par le ministère du logement, sur les neuf premiers mois de l'année, 53 000 logements ont été perdus, sur un total de 400 000 environ. Nous ne disposons pas encore de données sur l'impact du second confinement, mais il est certain que nous serons sous les 400 000 en fin d'année. Mme Wargon nous l'a indiqué ici la semaine passée lors de son audition. Les professionnels estiment que l'on finira l'année avec moins de 350 000 permis de construire, ce qui aura des effets de contagion sur 2021, où l'on devrait aussi constater une perte non négligeable.

Au total, entre 2020 et 2021, il n'est pas exclu que l'on déplore 100 000 logements de moins, comme pronostiqué au printemps. Vous vous souviendrez que, dans le rapport que nous avions rendu, avec Mme Annie Guillemot, sur les conséquences de la crise et les mesures de relance, nous avions très clairement alerté sur ce point, en indiquant que « la crise du logement allait succéder à la crise sanitaire ». Malheureusement, nous y sommes.

Face à cette situation, les solutions mises en oeuvre par le Gouvernement sont insuffisantes. Vous le savez, car cela a été détaillé par notre collègue Anne Chain-Larché dans son avis sur la mission « Relance », le plan du Gouvernement comprend près de 7 milliards d'euros pour le bâtiment. C'est une très bonne chose mais, à l'exception du Fonds friches de 300 millions d'euros et de l'aide de 350 millions d'euros aux maires densificateurs, l'ensemble de ces sommes sera consacré à la rénovation thermique des logements. Aucune mesure ne vient soutenir la construction neuve, alors que l'on considère que 100 000 logements construits équivalent à 200 000 emplois préservés ou créés.

Face à l'inquiétude du secteur, d'autant plus vive que les dispositifs d'investissement locatif intermédiaire « Pinel » et d'aide à l'accession sociale à travers le prêt à taux zéro, le PTZ, arrivaient à leur terme, le Gouvernement a finalement accepté de les prolonger jusqu'en 2022. Au-delà, jusqu'en 2024, le dispositif Pinel sera réservé aux opérations les plus vertueuses d'un point de vue énergétique et environnemental et aux quartiers prioritaires de la politique de la ville. Ces décisions, et surtout cette visibilité, étaient très attendues par les professionnels. C'est donc une bonne chose. Mais il faut remarquer qu'elles ont été obtenues sur le fil, grâce un arbitrage du Premier ministre et des amendements que le Gouvernement a rectifiés sous la pression. Je voudrais aussi souligner que ces prolongations ne sont pas des mesures nouvelles pour la construction neuve. Elles ne permettent donc pas de la relancer.

Pour relancer la construction, d'autres mesures étaient possibles, dans le plan de relance, d'une part, et de manière structurelle, d'autre part.

Dans le budget 2021 et le plan de relance, il était possible de prendre des mesures à effet immédiat pour relancer la construction. J'ai déposé en ce sens plusieurs amendements sur la première partie du budget. Je voudrais citer notamment le retour à une TVA de 5,5 %, au lieu de 10 %, pour les logements les plus sociaux financés par des prêts locatifs aidés d'intégration (PLAI) et des prêts locatifs à usage social (PLUS). Ce taux réduit, c'est 5 000 euros de moins par logement. On comprend bien l'effet massif que l'on peut obtenir en l'appliquant à plusieurs dizaines de milliers de logements par an. J'ai également proposé de faciliter les opérations de reconversion de locaux en logements en ne limitant plus à certains locaux - les bureaux notamment - le bénéfice des avantages fiscaux.

Dans le même ordre d'idées, je vous proposerai d'adopter tout à l'heure un amendement rétablissant l'APL-Accession, dispositif peu coûteux - environ 50 millions d'euros - et essentiel pour faciliter l'accession à la propriété et les parcours résidentiels. Elle permet aussi de solvabiliser la demande de logements.

Je crois ensuite que le plan de relance était une occasion assez unique de remettre en cause ou de s'attaquer à des sujets financièrement lourds. Je voudrais en donner deux exemples : la réduction de loyer de solidarité, la RLS, et le statut du bailleur privé.

La RLS pèse 1,3 milliard d'euros par an sur les comptes des bailleurs sociaux. Elle les a durablement fragilisés en réduisant leurs capacités d'investissement et donc de construction et de rénovation. Le Gouvernement nous dit avoir répondu au problème en allouant 500 millions d'euros sur deux ans à la rénovation des logements sociaux. Pour moi, cela ne répond absolument pas à l'enjeu. C'est une occasion manquée.

Il en est de même du statut du bailleur privé. Là aussi à force de considérer l'investisseur immobilier comme un rentier improductif et non comme un entrepreneur en logement, on a obéré durablement le logement locatif. Pourtant, en juin 2018, le rapport du Comité d'Action publique 2022 invitait clairement à changer de pied. Là aussi, c'est une occasion manquée, alors que cela aurait eu un impact durable et structurel pour relancer la construction. Pour lancer ce débat, j'ai déposé un amendement qui double le déficit foncier imputable par le particulier bailleur lorsqu'il réalise des travaux d'économie d'énergie au bénéfice du locataire. Pour mémoire, le déficit foncier n'a pas été réévalué depuis 1995.

Dans le second volet de cet avis, je voudrais m'interroger sur le financement des aides personnelles au logement, les APL. Jusqu'où le Gouvernement fera-t-il des économies ?

Je rappellerai tout d'abord que, comme je l'avais montré dans mon rapport sur la proposition de loi du groupe CRCE sur les APL, depuis le début du quinquennat, les différentes mesures prises ont conduit à une économie cumulée, d'environ 7 milliards d'euros. Or, cette économie a été réalisée au détriment des plus démunis qu'elle a fragilisés, comme l'a relevé la Cour des comptes, et à la seule fin de faire sortir la France de la procédure européenne de déficit excessif. Au regard de la situation actuelle et de la grande fragilité de bon nombre de nos concitoyens, que révèle la forte hausse des demandes de RSA, il y a de quoi s'interroger.

Je sais que certains auraient souhaité reprendre plusieurs dispositions de cette proposition de loi, qui a été votée à l'unanimité par le Sénat, à l'occasion du projet de loi de finances, mais il s'agirait d'un accroissement des dépenses et c'est donc impossible du fait de l'article 40.

Je voudrais en revanche pointer que, dans ce projet de loi de finances, le Gouvernement empoche deux nouvelles économies : la réforme de la contemporanéisation et le doublement de la contribution d'Action Logement.

La réforme du calcul des APL consiste à ne plus calculer le montant des aides sur les revenus de l'année n-2 mais sur les douze derniers mois glissants, avec une révision tous les trois mois. Difficile techniquement, nécessitant d'en maîtriser tous les effets de bord, la réforme a été reportée plusieurs fois. Elle sera appliquée à partir du 1er janvier 2021. Selon les informations disponibles, il ne devrait pas y avoir d'effets indésirables sur les jeunes ou sur les allocataires qui doivent eux-mêmes déclarer leurs revenus. Des précautions importantes ont été prises. C'est une réforme juste, sans changement du mode calcul et, comme l'an passé, j'en approuve le principe. Cependant, d'un point de vue budgétaire, elle entraîne mécaniquement une économie puisque, normalement, les ressources plus récentes prises en compte sont plus élevées que les revenus de l'année n-2. À l'origine, l'économie espérée par le Gouvernement était de l'ordre de 1,2 milliard d'euros. Compte tenu de la dégradation très forte de la conjoncture, elle sera vraisemblablement moins importante de moitié, soit d'environ 600 millions d'euros.

La seconde économie est le doublement du prélèvement décrété sur les fonds d'Action logement au profit du Fonds national d'aide au logement (FNAL), qui finance les APL. De 500 millions d'euros l'an passé, le prélèvement passerait à 1 milliard d'euros cette année.

Ainsi, au total, dans le projet de loi de finances pour 2022, en l'absence de nouvelles économies structurelles sur les APL ou de nouveaux prélèvements sur Action Logement, c'est un montant de l'ordre 1,5 milliard d'euros que le Gouvernement devra trouver pour « une politique publique pour laquelle la France dépense plus que ses voisins et dont l'efficience est insuffisante », selon les mots de M. Gérald Darmanin en réponse au rapport déjà cité de la Cour des comptes. Cette situation fait donc courir un vrai danger. Lors des auditions, un interlocuteur a d'ailleurs comparé ces prélèvements sur Action Logement en faveur du FNAL à de la drogue dure, tant le risque d'addiction des finances publiques est élevé.

C'est la raison pour laquelle, avec mes collègues Valérie Létard, Viviane Artigalas et Marie-Noëlle Lienemann, nous vous avons proposé un amendement supprimant ce prélèvement prévu à l'article 47, non rattaché à la mission.

Nous devons être d'autant plus vigilants que le Premier ministre a annoncé la reprise des travaux sur le Revenu universel d'activité (RUA), devant théoriquement fusionner tous les minima sociaux et dans lequel la préservation de la spécificité des APL n'est pas encore complètement garantie dans ses modes de calcul comme de versement, et notamment le tiers payant du loyer.

Le troisième volet de cet avis est relatif à l'hébergement d'urgence. Là aussi, je voudrais regarder non pas tant dans le rétroviseur que vers l'avenir en posant la question de l'après-crise.

Si l'on commence par regarder, à travers ce programme, l'action du Gouvernement pendant la crise sanitaire, je crois vraiment qu'il nous faut saluer l'action menée. Le ministre Julien Denormandie a fait montre d'une grande volonté. Pendant tout le premier confinement, il est resté tout au long des événements à l'écoute des associations, avec lesquelles il tenait des réunions très régulières. Sans entrer dans tous les détails, retenons que le Gouvernement a organisé la mise à l'abri de plus de 180 000 personnes et assuré l'isolement des malades dans des structures spécifiques. Quelque 61 400 places de nuitées hôtelières ont été financées, soit 12 000 de plus qu'en 2019, en augmentation de 24 %. Budgétairement parlant, pour un programme qui pèse environ 2 milliards d'euros, 450 millions de crédits ont été ouverts dans les lois de finances rectificatives de juillet et novembre, soit une hausse de 22,5 %. Des consignes ont été données aux préfets pour qu'à la fin de la trêve hivernale, qui a été reportée à l'été, aucune personne ne soit remise à la rue sans solution de logement. Aujourd'hui, selon les informations qui m'ont été données, plus de 28 000 personnes sont sans solution.

C'est sur ce point que je voudrais attirer votre attention : comment gérer l'après-crise ?

Dans le projet de loi de finances pour 2021, le Gouvernement a pris des mesures importantes. Comme ces dernières années, le budget du programme 177 consacré à ces questions a fait l'objet d'un rebasage pour atteindre 2,2 milliards d'euros, soit moins que l'exécution 2020 - 2,4 milliards d'euros - mais 210 millions d'euros de plus que dans le budget 2019. Ces moyens supplémentaires vont servir à pérenniser 14 000 nouvelles places d'hébergement sur deux ans, dont 1 000 pour les femmes victimes de violence, et financer le développement de la politique dite du logement d'abord, avec 64,5 millions d'euros pour favoriser l'intermédiation locative et les pensions de famille. Il consacrera également 12 millions d'euros supplémentaires pour le repérage et l'orientation des personnes hébergées en créant notamment 150 postes dans les Services intégrés d'accueil et d'orientation (SIAO).

Par ailleurs, 1,7 % du plan de relance, soit un peu moins de 200 millions d'euros, est consacré aux personnes précaires. La moitié environ sera dévolue aux associations de lutte contre la précarité et l'autre moitié sera employée à améliorer les structures d'hébergement. 50 millions d'euros iront à la création de places et à l'humanisation des structures et 30 millions d'euros au rachat d'hôtels, à la construction de logements modulaires et à l'accélération du plan de traitement des foyers de travailleurs migrants.

Ce sont des évolutions que nous avions demandées dans notre rapport sur la crise et les moyens de la relance, notant en particulier que les hébergements collectifs sans intimité ni isolement étaient complètement dépassés à l'heure de la Covid-19. Je m'en félicite donc. J'ai en outre l'expérience, dans les Alpes-Maritimes, du pilotage de deux territoires d'accélération de cette politique du logement, d'abord à travers la communauté d'agglomération de Sophia Antipolis et la métropole de Nice-Côte d'Azur et je peux témoigner de son efficacité. De même, je suis très sensibilisée à la nécessité de rénover les foyers de travailleurs migrants (FTM), qui accueillent une population vieillissante et fragile, notamment dans le cadre de l'épidémie actuelle. Les conditions d'hébergement datent souvent, comme à Nice, des années 1970. Leur transformation en résidence sociale contemporaine, moderne et de qualité, est donc très attendue : elle est impérative.

La crise que nous traversons doit être l'occasion d'impulser une vraie évolution structurelle de la manière dont nous abordons le sans-abrisme et le mal-logement.

Dans cet esprit, je vous propose trois amendements qui viendraient conforter cette dynamique.

Le premier porte sur les pensions de famille. Il s'agit de petites structures accueillant, sans limitation de durée, en moyenne 22 personnes en forte exclusion sociale. Il en existe 911. Elles accueillent 19 000 personnes. Or, depuis 2007, le forfait journalier par personne accueillie, qui permet de rémunérer les hôtes et de faire vivre la maison, n'a pas été réévalué, et est resté fixé à 16 euros. Les conséquences en sont graves, puisque c'est devenu un handicap pour leur développement. Les objectifs de création de maisons de famille, fixés à 10 000 pendant le quinquennat, ne sont pas atteints, et leur sous-financement entraînait la dégradation du suivi social. L'équivalent d'un tiers d'emploi à temps plein (ETP) a été perdu dans chaque pension. Seules les plus grandes, accueillant plus de 30 pensionnaires, peuvent s'en sortir. Ce manque de fonds complique le recrutement de personnels qualifiés et accélère leur rotation, puisqu'il est impossible d'augmenter les salaires et que les conditions de travail se dégradent. Comme je l'avais demandé l'année dernière, le Gouvernement revalorisera en 2021 le forfait journalier des pensions de familles de 2 euros en le portant de 16 à 18 euros. Mais une revalorisation complète, suivant l'inflation, exigerait de passer à 19 euros, ce qui coûterait 8,3 millions. C'est l'objet de ce premier amendement.

Le deuxième amendement que je compte proposer est une demande de rapport... Je sais que de telles demandes sont souvent rejetées.

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