Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je partage totalement l’avis de notre rapporteure.
Si la disposition de l’article 7 de l’ordonnance du 20 mai 2020 ne mérite pas tant d’indignité, il est tout de même légitime de la pointer du doigt. Vous avez donc bien fait, madame Sophie Taillé-Polian, de déposer cette proposition de loi, même si la disposition que vous évoquez s’éteindra dans quelques jours. Votre texte aura eu au moins l’intérêt de nous permettre de discuter de certaines difficultés.
Vous avez ainsi évoqué le problème que posent les ordonnances. Je partage votre point de vue : ces dispositifs dessaisissent complètement le Parlement. Des séries d’ordonnances sont prises, mais jamais ratifiées. Le Sénat a organisé le suivi des nombreuses ordonnances qui ont été prises, et on comprend qu’elles aient été nombreuses compte tenu de la situation totalement inédite, mais il n’en demeure pas moins qu’elles posent problème.
Mes chers collègues, je souhaite attirer votre attention sur la situation des tribunaux de commerce. Madame la ministre, vous avez annoncé qu’une réflexion serait menée : j’estime que c’est la bonne solution. En effet, cette crise doit constituer une réelle occasion de revoir les règles des procédures collectives et de donner les moyens aux tribunaux de commerce de prévoir des procédures spéciales pour les entreprises qui ont chuté à cause non pas de fautes de gestion, mais de la crise tout à fait inédite que nous traversons.
Dans son deuxième rapport d’étape sur la mise en œuvre de l’urgence sanitaire, le Sénat a relevé : « Du côté de la Chancellerie, l’on a pu observer un certain flottement dans la gestion de la crise en ce qui concerne ces juridictions. Les présidents des tribunaux de commerce n’ont pas été destinataires de la circulaire du 14 mars 2020 relative à l’adaptation de l’activité pénale et civile des juridictions. De premières directives leur ont été adressées par la dépêche du 19 mars 2020 du directeur des affaires civiles et du sceau, qui invitait les tribunaux de commerce à limiter leur activité aux “affaires urgentes” dans le cadre du contentieux général et à la désignation de mandataires ad hoc en ce qui concerne le traitement des difficultés des entreprises ; les tribunaux étaient en revanche invités à surseoir à statuer sur les demandes d’ouverture de procédures de conciliation, de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire, considérées comme non urgentes – ce qui ne manquait pas de surprendre. Cette dépêche a été abrogée par la circulaire du 30 mars 2020 […].
« Selon les informations fournies aux rapporteurs avant la survenue de l’épidémie, aucun plan de continuité d’activité n’avait été élaboré au sein des tribunaux de commerce, la Chancellerie n’ayant jamais donné d’instructions en ce sens. Cela n’a pas empêché les chefs de juridiction et les greffes d’organiser dans l’urgence les modalités de travail des magistrats […]. »
Madame la ministre, vous avez indiqué que le nombre de dépôts de bilan était le plus faible depuis des années. Certes, mais je ne fais pas exactement la même analyse que vous. Ce sont toutes les mesures d’accompagnement décidées par le Gouvernement, les efforts considérables faits pour l’économie, qui ont conduit à cette baisse : le fonds de solidarité, le dispositif d’activité partielle, les exonérations et les reports de charges sociales, les exonérations et les reports d’impôts, les prêts garantis par l’État, les crédits d’impôt sur les loyers, le soutien à l’emploi, aux projets industriels…
Selon l’Insee, 15 108 défaillances d’entreprises ont été enregistrées en France entre janvier et juin 2020, soit le niveau le plus bas depuis vingt ans, madame la ministre. Le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce a indiqué qu’il n’y avait eu, durant les neuf premiers mois de l’année, que 19 220 ouvertures de procédures collectives. C’est un nombre très étonnant. Il considère toutefois qu’il s’agit d’une bombe à retardement, l’ensemble des aides constituant une sorte d’anesthésique pour l’économie française. Quand celle-ci se réveillera, il est probable que ce sera dans la douleur, parce que c’est alors que le nombre de procédures éclatera. La réflexion que vous menez, madame Taillé-Polian, et les amendements bien modestes que je présenterai dans un instant permettront peut-être d’amortir ce choc.
Toutes ces aides ont pour effet de retarder les procédures collectives, mais à un moment ou à un autre, face à la réalité, ou à la suite d’autres confinements si la crise sanitaire devait se prolonger, ce que ni vous ni moi ne pouvons prévoir aujourd’hui, il y aura forcément des réveils douloureux. Ce sont évidemment les tribunaux de commerce et les mandataires qui seront alors les premiers saisis. Seule la réflexion que vous menez et dans laquelle le Sénat se propose de vous accompagner, madame la ministre, permettra de limiter la casse.
Une attention particulière doit être portée aux mesures de sauvegarde, mais également aux mesures de prévention et d’accompagnement par les mandataires judiciaires ou les administrateurs. Dans le projet de loi de finances que nous venons de voter, aucune mesure particulière n’est prévue pour les 134 tribunaux de commerce. Or des moyens sont nécessaires pour améliorer l’organisation de ces mesures et donc la protection offerte aux entreprises.
Je tiens également à souligner le rôle des associations, madame la ministre. Des commerçants, des TPE se sont organisés au sein d’associations, à l’instar de l’association 60 000 rebonds, qui s’est constituée pour aider les entrepreneurs. Je pense qu’une phase de réforme et d’information est tout à fait essentielle.
Pour conclure, permettez-moi de vous transmettre un message de la part des tribunaux de commerce, madame la ministre. Les magistrats, les juges et les greffiers de ces tribunaux souhaiteraient avoir une adresse au format : nom.prénom@justice.fr. Pour l’instant, ils travaillent avec leur adresse personnelle, ce qui pose, entre autres, des problèmes de confidentialité.
Le groupe Union Centriste suivra notre rapporteure. Les amendements que je présenterai tout à l’heure n’ont que peu de chance d’être adoptés compte tenu de la situation et du fait que la présente proposition de loi émane du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. J’espère toutefois parvenir à attirer votre attention sur les dispositions proposées, madame la ministre. Du reste, celles-ci devraient s’inscrire dans le droit fil de celles que vous formulerez à l’issue de la réflexion qui sera menée en janvier.