Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, dans sa rédaction actuelle, l’article L. 642-3 du code de commerce relatif à la cession des entreprises en liquidation judiciaire pose un principe d’interdiction, pour un certain nombre de personnes, dont les dirigeants de la personne morale en liquidation judiciaire, de présenter une offre de reprise de cette même entreprise.
Le même texte prévoit également que le tribunal puisse déroger à cette interdiction et autoriser la cession à l’une des personnes visées sur requête du ministère public et par jugement spécialement motivé.
Pour répondre aux difficultés économiques rencontrées par les entreprises durant la crise sanitaire, une ordonnance du 20 mai 2020 portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises et des exploitations agricoles aux conséquences de l’épidémie de covid-19 a été prise en application de la loi du 23 mars 2020. L’article 7 de cette ordonnance prévoit un assouplissement de certaines dispositions de l’article L. 642-3 précité, assouplissement qui nous réunit – ou nous oppose – aujourd’hui.
La présente proposition de loi de notre collègue Sophie Taillé-Polian vise à supprimer l’article 7 de ladite ordonnance au motif qu’elle créerait un effet d’aubaine pour des patrons voyous et leur permettrait ainsi d’organiser un plan social à moindre coût.
Le groupe RDPI partage la position de la commission des lois, qui est défavorable à l’adoption de ce texte. J’en profite pour souligner la qualité du travail de notre rapporteure.
Les raisons de notre opposition sont simples.
Tout d’abord, l’article 7 ne modifie pas la catégorie des personnes autorisées à présenter une offre de reprise. Il ne porte que sur l’auteur de la requête qui, depuis le 20 mai et jusqu’au 31 décembre, peut être formée non plus seulement par le ministère public, mais également par le débiteur ou l’administrateur judiciaire.
Par ailleurs, les garanties prévues pour la mise en œuvre d’une telle procédure restent les mêmes : le tribunal doit statuer sur la cession aux dirigeants de l’entreprise en rendant un jugement spécialement motivé, mais si la requête est formée par le débiteur ou l’administrateur judiciaire – ce que prévoit l’ordonnance –, alors les débats doivent avoir lieu en présence du ministère public, dont le recours éventuel contre le jugement est suspensif.
Vous conviendrez, mes chers collègues, que l’ordonnance assortit cet assouplissement de garanties supplémentaires.
Ensuite, et contrairement à ce que laisse entendre notre collègue, les reprises ne bénéficient pas toujours aux dirigeants de l’entreprise. Je pense notamment à l’entreprise Camaïeu – citée par plusieurs orateurs –, dont l’offre de reprise formée par les dirigeants a été rejetée au profit de celle de la Financière immobilière bordelaise, qui permettait le maintien d’un plus grand nombre d’emplois.
Madame la ministre, afin de nous rassurer, vous avez porté à notre connaissance le nombre d’offres de dirigeants effectuées sous ce régime qui ont été choisies par les tribunaux. Je vous en remercie.
Enfin, mon dernier argument a trait au terme de cette disposition. L’article 10 de l’ordonnance du 20 mai 2020 prévoit qu’elle prenne fin au 31 décembre 2020. S’il est vrai qu’elle entre dans le champ des mesures que le Gouvernement est habilité à prolonger par ordonnance, vous vous êtes engagée, madame la ministre, à ne pas le faire, et ce au moins à deux reprises : lors des questions d’actualité au Gouvernement à l’Assemblée nationale le 6 octobre dernier et devant le Sénat aujourd’hui.
En outre, la procédure accélérée n’ayant pas été engagée, si l’on poursuivait la navette, ce texte ne serait définitivement adopté qu’après le terme de l’application de la disposition qu’il vise à abroger.
L’enjeu majeur qu’est la préservation de l’emploi dans la période actuelle implique des mesures concrètes, dont celle-ci, et une réflexion de fond, plutôt que la mobilisation de l’ordre du jour pour l’examen d’un texte qui sera en tout état de cause caduc avant de connaître le sort qui lui est définitivement réservé.
La mesure contestée, salvatrice pour nombre d’entreprises, est assortie de garanties essentielles et limitée dans le temps. Aussi, le groupe RDPI ne votera pas cette proposition de loi.