Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le bonheur des uns fait le malheur des autres : en période de crise sanitaire, l’adage populaire semble dramatiquement s’appliquer dans les relations problématiques des assurés avec leur assureur…
Contrairement à ce que j’ai entendu en commission des finances, le mécanisme que vient de présenter mon collègue Jacquin n’est pas confiscatoire. Il vise à taxer les sur-profits réalisés durant une période de crise. Plus précisément, la présente proposition de loi instaure une contribution exceptionnelle sur le résultat d’exploitation des entreprises d’assurance non-vie, dès lors que l’état d’urgence sanitaire s’est appliqué au cours d’un exercice comptable.
Nous ne nions pas que ce dispositif viendrait en complément d’autres dispositifs, qu’ils soient d’initiative sénatoriale – la taxe à 2 % dite Husson, du nom de notre rapporteur général – ou gouvernementale – l’augmentation de la TSA couplée au récent accord avec les assureurs. Reste que, au regard des lacunes que comportent tous ces dispositifs, le mécanisme proposé par les auteurs du texte paraît plus opportun.
Je ne reviendrai pas en détail sur la technique du dispositif ; Olivier Jacquin l’a fort bien présentée. En revanche, mes chers collègues, j’insiste, car il n’y a pas pire sourd que celui qui ne veut pas entendre : la proposition de loi a trait à la taxation des sur-profits des assureurs, non de leurs profits !
Cette distinction posée, parlons-en, de ces sur-profits… Durant le premier confinement, ils se sont montés à plus de 2 milliards d’euros selon le Gouvernement – estimation confirmée par l’UFC-Que Choisir. Cette proposition de loi présente donc un intérêt tout particulier, loin d’être superflue ou obsolète.
D’abord, elle n’est pas un outil législatif superfétatoire, car les pertes indemnisables que créent les pandémies ne sauraient être laissées à la simple appréciation des assureurs. L’interminable bras de fer – du moins celui qui semble être mis en scène – entre le Gouvernement et les assureurs est symptomatique de la discorde qui nous traverse sur ce sujet.
De ce point de vue, nous ne sommes pas dupes de l’accord récemment obtenu par le ministre de l’économie et des finances avec les assureurs : un simple gel des tarifs d’assurance en 2021 dans le secteur de l’hôtellerie, des cafés et de la restauration et les mondes de la culture, de l’événementiel et du sport ne nous paraît pas satisfaisant au regard des intérêts en présence.
Avec cet accord, je suis rassuré de voir que la majorité sénatoriale et le Gouvernement s’entendent sur un point : il faut faire participer les assurances, mais pas trop quand même, au risque de brusquer la « poule aux œufs d’or », pour reprendre l’expression employée par le rapporteur devant la commission des finances… D’autres n’ont pas ces pudeurs de gazelle : qui mieux qu’un ancien assureur, président de la région des Hauts-de-France, pour nous rappeler qu’il est urgent d’agir en matière de taxation des assureurs en temps de crise ?
Comment pourrions-nous nous en remettre à la seule confiance et au bon vouloir des assureurs, quand on sait que, avant le début de la crise sanitaire, seuls 7 % des contrats de restaurateur prévoyaient, plus ou moins explicitement, l’indemnisation du risque pandémique ?
Malgré ces stipulations, les assureurs ont refusé de couvrir les pertes liées à la pandémie, arguant de circonstances particulières : la fermeture ayant touché plusieurs établissements, il s’agit d’un risque de grande ampleur, non assurable, qui ne peut être porté par une compagnie privée ; c’est donc à l’État de gérer le sinistre. Alors que certains contrats comportaient le terme « pandémie », ce postulat, calqué sur le régime des catastrophes naturelles, revient à nier l’essence même de leur engagement !
Des actions en justice voient le jour par centaines, mais il n’appartient pas au juge de régler cette problématique a posteriori : c’est au législateur de s’en saisir a priori.
Certains assureurs ont tenu à informer leurs assurés que, à compter de l’année prochaine, ils ne seraient plus couverts pour les risques pandémiques. De fait, s’ils ne le sont plus, c’est qu’ils l’étaient… Pourquoi alors ne pas payer ? Au regard de l’imbroglio juridique que font naître ces conflits, un mécanisme aussi clair et précis que celui défendu par mon collègue Jacquin s’impose.
Malheur à celui qui voudrait faire respecter les termes du contrat, à l’image du grand chef gastronomique qui en a fait l’amère expérience : après avoir refusé de l’indemniser, son assureur a prétendu lui faire signer un avenant diminuant ses garanties ; quand le chef a refusé, il s’est vu signifier la résiliation de son contrat…
Non superfétatoire, le mécanisme proposé n’est pas non plus obsolète, car, malheureusement la pandémie de la covid-19 risque fort de n’être que la première d’une longue série. En ce sens, un rapport du groupe d’experts de l’ONU sur la biodiversité, publié en octobre dernier, nous met en garde : « Les pandémies futures seront plus fréquentes, se propageront plus vite, feront plus de mal à l’économie et tueront plus de personnes, si l’on ne fait rien. » On est bien loin du caractère exceptionnel des circonstances invoqué il y a quelques instants par Michel Canevet…
Ce groupe d’experts a chargé vingt-deux scientifiques d’éplucher des centaines d’études sur les liens entre les humains et la nature pour mieux comprendre le risque sanitaire posé par l’empiètement croissant de l’activité humaine sur l’habitat animal. Leurs conclusions sont sans appel : la coexistence de plus en plus étroite entre êtres humains et animaux sauvages revient à ouvrir une boîte de Pandore sanitaire ; jusqu’à 850 000 virus présents chez les animaux seraient capables d’infecter les humains.
Face à ces chiffres, comment pouvez-vous raisonnablement taxer cette proposition de loi d’obsolète ?
« Gouverner, c’est prévoir ; et ne rien prévoir, c’est courir à sa perte », disait Émile de Girardin. En ne prévoyant aucun mécanisme concret et actionnable en temps de crise sanitaire, vous faites courir à leur perte des millions d’assurés !
Les pertes économiques, pourtant bien réelles, sont considérées par le rapporteur comme « très variables selon l’ampleur et la durée des mesures administratives prises ». Il y a pourtant une variable qui ne varie pas : c’est l’engrangement de profits colossaux par les assureurs lorsque la sinistralité baisse de façon colossale.
« Je crains le pire, qui est probable, mais j’espère en l’improbable » : ce trait d’esprit d’Edgar Morin traduit plutôt bien le sentiment du groupe SER sur cette proposition de loi. Nous espérons qu’elle n’aura jamais à servir, mais, si la situation l’impose, nous pensons qu’il est vital que son mécanisme puisse être actionné. C’est pourquoi il est urgent de l’adopter !