Intervention de Muriel Jourda

Réunion du 14 décembre 2020 à 15h00
Conseil économique social et environnemental — Rejet en nouvelle lecture d'un projet de loi organique

Photo de Muriel JourdaMuriel Jourda :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous nous retrouvons effectivement pour débattre, en nouvelle lecture, du projet de loi organique relatif au Conseil économique, social et environnemental.

Je crois que nous partageons les raisons pour lesquelles le Gouvernement a déposé ce texte : il s’agit de redonner une place prépondérante à une assemblée consultative constitutionnelle qui, reconnaissons-le, ne remplit pas tout à fait son rôle, puisque dans 80 % des cas le CESE travaille en autosaisine – autrement dit, seuls 20 % des rapports qu’il adopte résultent d’une consultation formelle.

Ce projet de loi organique inclut un certain nombre de mesures ayant justement pour objet, nous dit-on, de redonner une place prépondérante au CESE. Je crois malheureusement que ces mesures n’atteignent pas leur but.

La première série de mesures consiste à pérenniser dans la loi des pratiques qui sont, peu ou prou, déjà en vigueur. Je ne vois pas bien comment le fait d’inscrire dans la loi ce type de mesures pourra répondre à l’objectif que je viens d’indiquer.

La seconde série de mesures comprend des nouveautés.

La première de ces nouveautés est la diminution de 25 % du nombre de membres du CESE. Nous avons là-dessus un désaccord, monsieur le ministre : nous n’avons pas saisi et nous ne saisissons toujours pas comment le fait de diminuer le nombre de membres d’une assemblée peut rendre celle-ci plus efficace et lui permettre de mieux travailler. Encore aujourd’hui, j’avoue que je reste interrogative à ce sujet.

Je le reste d’autant plus que la deuxième mesure nouvelle consiste à remplacer, le cas échéant, une partie des membres du CESE par des personnes tirées au sort, dans des conditions que nous évoquerons tout à l’heure. Alors que le CESE est constitué de membres désignés par la société civile organisée, c’est-à-dire de personnes qui représentent certains intérêts, je ne vois pas comment le fait de tirer au sort d’autres personnes pourrait pallier un manque d’expertise, celle-ci étant précisément symbolisée par la composition actuelle du Conseil. Là encore, le tirage au sort ne paraît pas donner un lustre nouveau au CESE.

Troisième nouveauté, un des articles de ce texte prévoit que le CESE pourra être consulté par le Gouvernement en substitution de consultations prévues par ailleurs, certaines étant obligatoires. De nouveau, on comprend mal comment cela pourrait renforcer le rôle consultatif du CESE : en effet, alors que le Gouvernement peut déjà le consulter comme il l’entend, il ne le fait pas – je le répète, 80 % des travaux du CESE résultent d’une autosaisine.

Au total, aucune des mesures inscrites dans ce texte n’est de nature à redonner une place prépondérante au CESE, soit parce qu’elle existe déjà, soit parce qu’elle ne le renforce en aucune façon.

Nous avons évidemment discuté de l’ensemble de ces éléments, mais nous n’avons pas trouvé de compromis. C’est en retournant devant l’Assemblée nationale qu’une nouvelle discussion s’est engagée et que nous avons trouvé quelques points d’accord.

Je suis naturellement satisfaite d’entendre, monsieur le ministre, que ces accords portaient sur des points « d’importance » introduits par le Sénat, mais je ne le crois pas vraiment… En réalité, il s’agissait essentiellement de points de procédure, sur le détail desquels je ne reviens pas, car je n’en vois pas véritablement l’intérêt, et sur des questions liées à la déontologie – nos collègues députés avaient introduit des éléments, auxquels nous avons apporté des modifications qui ont été conservées par l’Assemblée nationale.

Pour le reste, nous sommes toujours clairement en opposition sur les éléments que j’ai indiqués tout à l’heure.

Tout d’abord, la baisse du nombre de membres du CESE. Pourquoi 25 % ? La réponse qui nous a été apportée est que le Président de la République en a décidé ainsi… J’imagine que le Président de la République a une motivation particulière, mais nous ne le saurons jamais, car l’explication ne nous a pas été donnée.

Nous avions proposé un critère objectif : supprimer les places réservées aux personnalités qualifiées, dont la nomination a toujours suscité, quel que soit le gouvernement en place, d’importants débats. Nous n’avons pas été suivis ; la baisse reste de 25 %.

Ensuite, le tirage au sort, qui est vraiment, je le dirai ainsi, la grande affaire de ce projet de loi organique. La majorité de cet hémicycle n’est pas d’accord sur ce sujet.

Le tirage au sort, ce n’est pas la démocratie. La démocratie, c’est soit la population qui s’exprime directement, soit la population qui choisit des représentants. Une fois élus, ces derniers ont le pouvoir de décider, mais ils doivent surtout répondre de leurs actes. Le pouvoir ne peut pas être dissocié de la responsabilité – telle est la caractéristique essentielle de la démocratie –, ce qui n’est pas le cas à la suite d’un tirage au sort.

De surcroît, on nous propose en fait un faux tirage au sort : tout d’abord, il y aura un redressement comme on le fait pour assurer la représentativité dans les sondages ; ensuite, les personnes tirées au sort devront accepter de siéger, il s’agit donc plutôt de volontariat ; enfin, leur nombre sera si faible que, pour reprendre les propos de Philippe Bas, la commission des sondages invaliderait à coup sûr un sondage réalisé ainsi, car il reposerait sur une proportion trop faible de la population.

Vous me direz que ces personnes n’auront pas de pouvoir de décision – elles seront consultées. Pour autant, nous savons bien, car la démocratie participative se pratique beaucoup au niveau local, qu’il est toujours assez difficile de faire comprendre aux gens qu’ils vont être consultés, mais que leur avis ne sera pas suivi d’effet. Dans la réalité, ces personnes demandent à avoir du pouvoir, sans jamais avoir de responsabilités.

Il suffit d’ailleurs de regarder l’actualité : aujourd’hui, le Président de la République doit, une fois encore, justifier ses choix de retenir ou non telle ou telle proposition de la Convention citoyenne pour le climat.

Soyons clairs, nous ne nous sentons pas menacés par le tirage au sort. Lorsque nous étions en poste en collectivité locale, nous avons consulté nos concitoyens à de nombreuses reprises. Il s’agit juste pour nous de rappeler que le pouvoir ne peut pas être dissocié de la responsabilité et que seuls les élus ont un pouvoir, dont ils répondent devant leurs électeurs.

Enfin, il y a ce fameux article 6, qui permet de substituer la consultation du CESE à celle d’organismes spécialisés prévue par la loi.

Nous avons fait valoir que cette disposition ne mettait pas fin au millefeuille administratif des organismes consultatifs, puisqu’ils perdurent. De surcroît, nous estimons que cette mesure pourrait aboutir, dans certains cas, à nous priver de l’avis d’organismes dont l’expertise très pointue est utile pour éclairer le travail du Gouvernement. Se passer de ces organismes spécialisés au profit d’un autre plus généraliste n’a pas beaucoup d’intérêt pour le travail gouvernemental, et donc pour le pays.

Nous avons été entendus, si je puis dire, par l’Assemblée nationale, puisqu’elle a prévu que dans de telles circonstances le CESE pourrait à son tour consulter d’autres organismes. « Pourquoi faire simple, quand on peut faire compliqué ? », diraient les Shadoks… Nous aurons donc une double consultation : celle du CESE et celle des organismes spécialisés dont nous parlons ! Pourquoi ajouter de la complexité, là où les choses n’étaient déjà pas particulièrement simples ? C’est bien un autre élément, sur lequel nous ne sommes pas d’accord.

Vous l’aurez compris, les désaccords qui existaient persistent à ce stade de nos travaux.

J’ajoute un autre point, auquel M. le ministre a fait allusion : la composition du CESE.

À l’initiative de notre collègue Leconte et après avoir modifié le dispositif initialement proposé, nous avions prévu, au sein de l’un des collèges du CESE, la présence de onze représentants des outre-mer. Nous avions voulu fixer assez précisément la composition de ce collègue qui devait aussi réunir des représentants de fondations ou d’associations œuvrant notamment en faveur des personnes handicapées. Et vous avez raison, monsieur le ministre, de dire que ce point nous tient à cœur.

Or cette disposition a été modifiée par l’Assemblée nationale et vous estimez, monsieur le ministre, qu’un accord pourrait exister entre nous sur ce point, mais ce n’est pas le cas, parce que cette cote mal taillée ne nous convient pas. La disposition que nous avions adoptée nous semble bien plus pertinente, mais elle n’a pas été conservée.

Au vu de l’ensemble de ces éléments qui touchent les points les plus importants de ce texte, vous comprendrez qu’aucun accord n’est désormais possible. C’est pourquoi je présenterai tout à l’heure une motion tendant à opposer la question préalable.

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