Nous sommes, bien entendu, opposés à cet amendement du Gouvernement, car il vise à remettre en cause celui que nous avons adopté en commission la semaine dernière.
Ce n’est pas la première fois que nous essayons de faire passer cette disposition relative à l’état civil des enfants nés sans vie et ce n’est pas la première fois que le Gouvernement s’y oppose. J’avoue d’ailleurs que je ne comprends pas pourquoi. J’aurais éventuellement compris, madame la secrétaire d’État, que vous nous proposiez une autre rédaction de l’article. Et les arguments avancés dans l’objet de l’amendement ne m’aident pas à y voir clair.
Vous dites, d’abord, vouloir éviter tout effet de seuil et faire dépendre la personnalité juridique de critères purement anatomiques. Certes, mais, en l’occurrence, ces seuils et ces critères, reconnus internationalement, sont garants d’une égalité de traitement. Or, aujourd’hui, les droits des familles concernées dépendent uniquement de l’appréciation du médecin : celle-ci n’a même pas besoin d’être justifiée et, le plus souvent, elle se matérialise d’ailleurs par une simple croix sur un formulaire ; d’où l’absence de droit de recours possible pour les familles, alors même que cette appréciation a des conséquences juridiques extrêmement importantes.
Je ne comprends pas non plus pourquoi vous évoquez un risque de remise en cause de l’IVG, à laquelle une loi est consacrée et qui contient des délais précis, indépendants de la notion de viabilité.
À la place, vous privilégiez le critère de l’accouchement, alors que, vous en conviendrez, c’est une notion beaucoup plus floue. Il a fallu une circulaire interministérielle de pas moins de treize pages pour préciser les conditions d’établissement d’un certificat d’accouchement.
Vraiment, je ne comprends pas pourquoi vous refusez cette référence à la viabilité, alors que, dans la plupart des pays européens, la loi fait explicitement référence à des critères de viabilité. Je vous renvoie à l’étude de législation comparée publiée par le Sénat à ce sujet en avril 2008, que la commission des lois a nécessairement eue à sa disposition puisqu’elle en a pris l’initiative.
Depuis l’invalidation des circulaires de 2001 et de 2008, la France est devenue le seul État où ces critères ne sont plus définis dans aucun texte.
J’ajoute que les critères de viabilité définis par l’Organisation mondiale de la santé font l’objet d’un large consensus et qu’ils avaient d’ailleurs été repris par les circulaires interministérielles. Les associations de soutien aux couples confrontés à un deuil périnatal ne remettent elles-mêmes nullement en cause la notion de viabilité ni les critères généralement admis pour la définir.
Si cette notion de viabilité est si importante à nos yeux, c’est qu’elle détermine une importante série de droits d’ordre civil, social et pénal, parmi lesquels la protection pénale du fœtus : vous ne pouvez ignorer que, selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation, la responsabilité pénale d’une personne ayant provoqué le décès d’un enfant à naître ne pourra être engagée qu’à la condition que l’enfant décédé soit né vivant et viable.
Vous évoquez également un décret de 2008 qui aurait résolu le problème. Je ne suis pas d’accord : ce décret n’est absolument pas relatif au premier alinéa de l’article 79-1 du code civil, mais concerne uniquement le deuxième alinéa, portant sur l’acte d’enfant sans vie, que le Gouvernement peut légitimement décider d’accorder sur la base d’autres critères ; il n’en reste pas moins que la notion de viabilité expressément visée au premier alinéa reste sans définition juridique.
Il est un dernier point de votre argumentaire que je ne comprends pas : vous faites référence, pour la détermination de certains droits sociaux, à une circulaire – encore une ! – du directeur de la sécurité sociale précisant les conditions d’octroi de prestations en fonction soit de la durée de la grossesse – on en revient, à mon avis, à la notion de viabilité –, soit de l’existence d’un accouchement.
Si nous en sommes là aujourd’hui, mes chers collègues, c’est précisément parce que la Cour de cassation a invalidé les précédentes circulaires, considérant que, s’agissant d’une question touchant à l’état des personnes, cela relevait du domaine de la loi. Dans ses conclusions, l’avocat général près la Cour, Alain Legoux, avait intentionnellement précisé que « ce n’est pas à [la jurisprudence] de fixer la norme, mais à la loi », ajoutant : « Quelle meilleure façon d’y inciter le législateur [que de casser les trois arrêts ? Cela] permettra au législateur de faire œuvre d’harmonisation. » On ne peut mieux dire !