Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de vous présenter mes meilleurs vœux pour 2021.
Vendredi dernier, le gestionnaire du réseau public de transport d’électricité, dont l’une des missions est d’assurer l’équilibre entre l’offre et la demande d’électricité, a activé « le signal rouge » au niveau national. RTE a incité les Français « à réduire leur consommation d’électricité en appliquant des éco-gestes ».
Cet épisode témoigne de la grande vulnérabilité dans laquelle nous nous trouvons cet hiver. En réalité, il n’a rien d’étonnant ! Il est d’ailleurs probable qu’il se réitère, avec des conséquences peut-être plus graves, d’ici à la fin mars. Pourtant, si le Sénat avait été entendu plus tôt, cet épisode aurait sans doute pu être évité.
Depuis bientôt un an, le secteur de l’énergie, et singulièrement le marché de l’électricité, est entré dans une véritable zone de turbulences. Au-delà de son impact sanitaire, la crise de la covid-19 a de graves répercussions sur notre système énergétique. Cette crise affecte lourdement nos énergéticiens, en particulier EDF, car elle réduit le niveau de la demande et des prix des énergies ainsi que la disponibilité des moyens de production. Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), « la crise de la covid-19 et les mesures de confinement qui en ont résulté ont un impact hors du commun sur le système énergétique ».
Dans ce contexte, dès le 11 juin dernier, RTE a anticipé « une situation de vigilance particulière » pour l’hiver 2020-2021. Cette situation sera d’autant plus critique que les conditions météorologiques seront rigoureuses. Elle s’explique essentiellement par « une disponibilité historiquement basse du parc nucléaire ».
Sur les cinquante-huit réacteurs de ce parc, neuf seront arrêtés en février et cinq le seront en mars prochain. En effet, la crise de la covid a entraîné des reports dans le programme d’arrêts de tranche d’EDF, c’est-à-dire des opérations de maintenance des centrales. Par ailleurs, certains réacteurs sont indisponibles pour des raisons liées à leur sûreté : Flamanville, Paluel et le Bugey. Pis, d’autres réacteurs ont été arrêtés pour des considérations politiques : avec la fermeture des deux réacteurs de la centrale de Fessenheim, en mars et en juin derniers, le Gouvernement a privé la France d’une puissance de production de 1, 8 gigawatt, ce qui représente 1 800 éoliennes de 1 mégawatt ou 15 centrales thermiques de 150 mégawatts. Nous n’avons pas fini d’en payer les conséquences !
Cette situation de « vigilance particulière » sera très sensible aux mois de février et de mars prochains, de même que dans le Grand Ouest. Je pense en particulier à la région Bretagne, véritable « péninsule électrique » : le déploiement de la centrale nucléaire de Flamanville n’a pas succédé à l’extinction de la centrale à charbon de Cordemais.
Cette situation perdurera au moins jusqu’en 2023. Notre parc de production d’électricité est désormais « sans aucune capacité supplémentaire ». En effet, avec les fermetures de centrales nucléaires et thermiques, nos moyens de production se sont réduits, sans être compensés par l’essor des énergies renouvelables (EnR) ou des effacements de consommation.
Cette situation se traduira par un recours accru aux centrales thermiques en France, mais aussi à l’étranger. Nous allons dépendre des imports d’énergie de nos voisins européens, à commencer par l’Allemagne, dont – je le rappelle – 40 % de la production d’électricité est de source fossile. C’est regrettable pour notre indépendance énergétique, lorsqu’on sait que la France fut traditionnellement exportatrice d’électricité. C’est regrettable pour nos engagements climatiques, lorsqu’on sait que les trois quarts de notre production d’électricité sont entièrement décarbonés.
Cette situation ne conduira pas à un complet blackout, c’est-à-dire à une coupure d’électricité à l’échelle nationale, mais elle nécessitera l’activation de mécanismes dits « post-marché », comme l’interruption des consommateurs industriels, la baisse de tension sur le réseau et l’appel aux gestes citoyens. Surtout, RTE n’exclut pas des coupures d’électricité « séquencées et contrôlées ». Les Français n’ont donc pas fini d’être sollicités par des appels aux gestes citoyens.
Madame la secrétaire d’État, ces gestes sont sans doute appréciables, mais ils ne font pas une politique énergétique. Les Français sont en droit d’attendre, de la part de leur gouvernement, un diagnostic lucide, des objectifs réalistes et des mesures fortes.
Tout d’abord, le Gouvernement doit poser un diagnostic lucide sur la situation que nous traversons.
Lors de son audition devant la commission des affaires économiques, en novembre dernier, Mme la ministre Barbara Pompili avait indiqué que notre vulnérabilité en matière de sécurité d’approvisionnement était liée à la prépondérance de l’énergie nucléaire dans notre mix électrique. Elle avait affirmé que « 75 % de notre électricité est produite à partir du nucléaire », avant d’ajouter : « Quand il y a un raté sur le nucléaire, on en subit les conséquences. C’est la raison pour laquelle il faut diversifier notre mix électrique, afin d’être moins à la merci de ce genre d’aléas en pouvant faire appel à d’autres types de production d’énergie. »
Pour ma part, je fais le constat exactement inverse : c’est bien plutôt parce que nous n’avons pas suffisamment investi dans l’énergie nucléaire que nous en sommes arrivés à cette situation.
Si les énergies renouvelables doivent être promues – j’en suis le premier convaincu –, elles ne sont pas d’un grand secours pour faire face à la pointe de consommation hivernale, compte tenu de leur intermittence.
Faute d’un soutien suffisant à la filière nucléaire, ce sont aujourd’hui des centrales thermiques, de surcroît étrangères, qui tournent à plein régime, non des panneaux solaires ou des éoliennes, soumis aux aléas climatiques.
Ensuite, le Gouvernement doit fixer des objectifs réalistes pour sécuriser notre approvisionnement.
Dès l’examen du projet de loi Énergie-climat, dont je fus le rapporteur, j’avais regretté le manque d’« anticipation des conséquences de la politique énergétique menée ». Je continue de penser que la fermeture de quatre centrales à charbon, d’ici à 2022, et de quatorze réacteurs nucléaires, d’ici à 2035, aurait dû être davantage évaluée par le Gouvernement, au regard notamment de son impact sur la sécurité d’approvisionnement. En outre, sur l’initiative de la commission des affaires économiques du Sénat, le législateur a adopté un objectif d’au moins 6, 8 gigawatts de capacité d’effacement d’ici à 2028, mais le compte n’y est pas : aujourd’hui, cet objectif n’est atteint qu’à un tiers et les capacités ouvertes par les derniers appels d’offres n’ont été remplies qu’au quart.
Ce même souci d’anticipation, pour lequel je plaide, devra présider à l’examen du projet de loi issu des travaux de la Convention citoyenne pour le climat : il faut se défier des mesures n’ayant pas fait l’objet d’une complète étude d’impact. Ce sujet nous en donne la preuve, et il est essentiel de garder cette réalité à l’esprit. À cet égard, l’interdiction de facto des chaudières à gaz dans les logements neufs, à compter du 1er juillet prochain, issue de la réglementation environnementale 2020, me semble tout à fait prématurée, car insuffisamment évaluée.
Enfin, le Gouvernement doit prendre des mesures fortes en faveur de la sécurité d’approvisionnement.
La commission des affaires économiques n’a cessé d’avancer des solutions, afin que nous puissions maîtriser la consommation d’énergie : l’intensification des appels d’offres en matière d’effacement, le rehaussement du chèque énergie pour les ménages en situation de précarité énergétique, ou encore le renforcement des dispositifs de soutien à la rénovation énergétique, notamment en matière de régulation et de programmation.
Nous avons fait adopter des amendements en ce sens dès le premier collectif budgétaire en mars 2020, mais le Gouvernement n’a conservé aucune de ces solutions de bon sens. Nous avons aussi demandé que le Parlement soit associé aux travaux stratégiques de l’exécutif s’agissant des réformes du marché de l’électricité – je pense en particulier à celles de l’Arenh et du groupe EDF –, mais le Gouvernement nous a opposé une fin de non-recevoir.
Au total, je suis convaincu que l’énergie est un domaine trop important pour être laissé à des décisions hasardeuses et mal calibrées, car mal évaluées : le risque de blackout que nous subissons nous le rappelle aujourd’hui cruellement.
La production d’énergie nucléaire est, en France, un service public, une mission régalienne. En dépendent tout à la fois notre vie sociale, notre vie économique et notre transition écologique. Sans elle, il est illusoire d’espérer atteindre la neutralité carbone à l’horizon de 2050.
Madame la secrétaire d’État, que compte faire le Gouvernement pour garantir la sécurité d’approvisionnement cet hiver et, au-delà, l’avenir d’EDF et du nucléaire dans notre pays ?