Intervention de Muriel Jourda

Commission spéciale sur la bioéthique — Réunion du 19 janvier 2021 à 13h35
Projet de loi relatif à la bioéthique — Examen en deuxième lecture du rapport et du texte de la commission spéciale

Photo de Muriel JourdaMuriel Jourda, rapporteur :

Le texte adopté par l'Assemblée nationale en deuxième lecture est sensiblement différent du texte voté par le Sénat, qui lui-même différait du texte de notre commission, lequel n'était pas non plus conforme à ma position... Le texte de l'Assemblée nationale a aussi évolué par rapport à la première lecture.

L'extension de l'assistance médicale à la procréation (AMP) aux couples de femmes et aux femmes seules soulève bien des débats, tant dans l'opinion qu'au Parlement. Cette extension n'est pas fondée sur l'égalité de traitement entre des personnes en situation identique : la jurisprudence du Conseil d'État est claire, les couples de femmes et les femmes seules ne sont pas, à cet égard, dans la même situation que les couples hétérosexuels. Il s'agit donc bien d'un choix de société. Cette extension de l'AMP, qui vise à répondre au désir d'enfant des femmes, n'est pas conforme à l'intérêt de l'enfant : les psychiatres le disent, nous manquons de recul, car aucune étude scientifique sérieuse n'a été menée. L'intérêt de l'enfant n'est pas garanti lorsqu'il est privé de père, ou lorsqu'il ne peut se figurer la scène originelle de sa naissance. C'est pourquoi je vous proposerai à nouveau de supprimer cette mesure ou, si vous le refusez, de ne la conserver que pour les couples de femmes, car on connaît les difficultés des familles monoparentales.

En ce qui concerne la filiation, nous avons là encore des divergences avec l'Assemblée nationale, qui en avait elle-même avec le Gouvernement. Si la filiation ne pose pas de problème dans le cas des femmes seules, il faut l'établir pour les couples de femmes pour garantir une certaine égalité avec les couples hétérosexuels. Notre droit distingue la filiation de droit commun, fondée sur la procréation charnelle, et l'adoption. La filiation de droit commun est fondée à la fois sur le fait et sur le droit. La femme qui accouche est la mère, c'est un fait incontestable. L'Assemblée nationale l'a reconnu en deuxième lecture. Pour les pères, en revanche, la filiation dépend de leur situation de droit. L'homme marié devient le père de l'enfant en vertu d'une présomption de paternité, car le mariage est censé reposer sur la fidélité et la communauté de vie. La présomption est donc logique. Si le couple n'est pas marié, l'homme peut reconnaître l'enfant, ce qui signifie l'aveu de la participation à la procréation. Reste aussi la possession d'état, qui est reconnue si suffisamment d'éléments sont réunis, conformément à la trilogie nomen, tractatus, fama : la parenté peut être définie lorsque l'enfant a toujours porté le nom du père, lorsqu'il est traité par l'homme comme son enfant et lorsque les tiers le considèrent comme tel. L'apparence vaut alors droit.

Ainsi la filiation repose-t-elle d'abord sur des éléments de vraisemblance - au premier rang desquels figure l'hétérosexualité, car un couple de femmes ne peut pas avoir d'enfants naturellement -, puis sur des rapports de droit entre les parents, comme le mariage, la reconnaissance de paternité, etc. Or ces modes de filiation ne fonctionnent pas pour les couples homosexuels. Je rappelle aussi que le mode selon lequel la filiation est reconnue n'emporte aucune différence de droit : un père légitime en fonction d'une présomption de paternité n'est pas plus père qu'un père naturel ! Il n'y a pas non plus de jugement de valeur en la matière.

Enfin, outre la filiation, il faut aussi mentionner l'adoption, filiation élective, qui confère les mêmes droits.

Selon le texte de l'Assemblée nationale, la mère est la femme qui accouche, tandis que la seconde femme devient mère, par reconnaissance conjointe. Mais ce dispositif ne peut fonctionner, car, en droit, la reconnaissance de la filiation repose sur la reconnaissance de la participation à la procréation, ce qui est évidemment impossible dans un couple de femmes. Finalement, le dispositif prévu fait reposer la filiation sur une déclaration de volonté ; c'est dangereux, car tout acte discrétionnaire peut être défait. Au Canada, il est possible de reconnaître trois parents. On risque ainsi de déstabiliser le droit de la filiation dans son ensemble. C'est pourquoi je vous proposerai de conserver le droit de la filiation intact et d'utiliser les techniques existantes pour les couples de femmes. Peu importe, au fond, la technique, car les droits seront les mêmes : la mère qui accouche serait la mère, tandis que sa partenaire pourrait adopter l'enfant. Il sera aussi nécessaire de prévoir la possibilité de faire reconnaître judiciairement l'adoption, dès la déclaration d'AMP, afin de protéger la mère d'intention contre les refus éventuels de la mère ayant accouché, ou cette dernière face aux refus d'adopter de sa conjointe, car il ne faudrait pas qu'une dispute puisse bouleverser ce projet conçu à deux.

Certaines associations souhaitent que l'enfant né d'un don de gamètes - de sperme dans la très grande majorité des cas - puisse avoir accès, à ses 18 ans, à l'identité du donneur. C'est possible dans le texte de l'Assemblée nationale, et l'enfant devra faire sa demande à une commission ad hoc. Nous avions prévu un autre système. En effet, lorsqu'un homme fait un don de sperme, il ne peut pas savoir quelle sera sa situation dix-huit ans plus tard. Nous proposions donc que l'enfant majeur qui souhaite connaître l'identité son père fasse une demande au Conseil national d'accès aux origines personnelles (CNAOP), qui existe déjà et fonctionne très bien : ce dispositif respecte à la fois la volonté de l'enfant, le droit à la vie privée du donneur, et l'intérêt général, car la disparition de l'anonymat pourrait entraîner une baisse des dons de gamètes, à un moment où les besoins vont augmenter. Je vous propose donc de rétablir notre rédaction.

L'autoconservation des gamètes est possible pour les femmes qui font un don d'ovocytes. Cela me semble quelque peu pervers, car le don devrait être gratuit, sans contrepartie. Toutefois, il faut reconnaître que la société a changé et que les femmes font des enfants de plus en plus tard ; je n'étais donc pas opposée à l'autoconservation. Mais cette question a été très débattue en séance et la mesure n'a pas été adoptée. Je vous demande de la rétablir.

J'en viens enfin à la transcription dans l'état civil français de l'acte de naissance d'un enfant né à l'étranger d'une gestation pour autrui (GPA). La GPA est interdite en France. Toutefois, la Cour de cassation a contourné cette interdiction en invoquant une décision de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), qui demande aux États de transcrire dans leur droit les actes d'état civil établis à l'étranger. Mais cette décision ne concernait que la filiation biologique, la Cour laissant aux États la liberté de mettre en place la procédure qu'ils jugeaient adaptée pour la filiation d'intention, ce qui est le cas de la procédure d'adoption. Or, la Cour de cassation a estimé que la France devait transcrire l'intégralité de l'acte d'état civil d'un enfant né de GPA, dans la mesure où il est conforme au droit du pays où il a été établi. Aussi, comme en première lecture, je vous proposerai d'interdire cette transcription intégrale.

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