Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à l’occasion de l’examen de la proposition de loi déposée par Annick Billon et plusieurs de nos collègues, le Sénat est de nouveau amené à se prononcer sur la question de la protection des mineurs contre les violences sexuelles dont ils peuvent être victimes de la part d’adultes. Ce débat fait suite aux discussions approfondies que nous avons eues en 2018 lors de l’examen du projet de loi Schiappa.
Notre débat intervient également après que plusieurs travaux de contrôle, auxquels j’ai participé, ont été menés à leur terme, le rapport d’information fait au nom de la mission commune d’information sur les politiques publiques de prévention, de détection, d’organisation des signalements et de répression des infractions sexuelles susceptibles d’être commises par des personnes en contact avec des mineurs dans le cadre de l’exercice de leur métier ou de leurs fonctions étant le plus récent.
Annick Billon souhaite cependant franchir une autre étape en introduisant dans le code pénal une nouvelle infraction de crime sexuel sur mineur, qui serait constituée en cas de pénétration sexuelle commise par un majeur sur un mineur de 13 ans.
À la différence du viol ou de l’agression sexuelle, l’infraction serait constituée sans qu’il soit nécessaire de rechercher s’il y a eu un élément de contrainte, de menace de violence ou de surprise, dont la preuve est souvent difficile à rapporter. Elle serait punie de vingt ans de réclusion criminelle, soit la même peine que celle qui est prévue en cas de viol sur mineur de 15 ans.
En 2018, le Sénat a déjà débattu de l’opportunité de créer une telle infraction ou de modifier la définition du viol, afin d’introduire une présomption de non-consentement au-dessous d’un certain seuil d’âge. À l’époque, la commission des lois n’a pas retenu ces propositions en raison des doutes émis sur leur constitutionnalité, mais aussi du risque que l’introduction d’un nouveau seuil à 13 ans n’affaiblisse la protection due aux jeunes de 13 à 15 ans.
La commission des lois a alors préféré compléter le code pénal par des dispositions immédiatement applicables, qui précisaient le sens des notions de contrainte et de surprise, éléments constitutifs de l’infraction de viol, et ce afin qu’il soit plus facile de les caractériser : celles-ci peuvent résulter de la différence d’âge entre la victime et l’auteur des faits, ou de l’abus de la vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour ces actes.
Je souligne que la proposition de loi que nous examinons tire les leçons des débats de 2018.
À l’époque, le Gouvernement a envisagé de modifier la définition du viol pour introduire une présomption de non-consentement en cas d’acte de pénétration sexuelle commis sur un mineur de moins de 15 ans. Cette solution n’a pas été retenue au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui, en droit pénal, n’admet une éventuelle présomption que dans le domaine contraventionnel et à la condition qu’il s’agisse d’une présomption simple.
La proposition de loi contourne cet obstacle juridique en créant une infraction autonome. La nouvelle infraction de crime sexuel sur mineur serait construite sur le modèle du délit d’atteinte sexuelle, qui figure déjà dans le code pénal et qui punit de sept ans d’emprisonnement et de 100 000 euros d’amende le majeur qui a un contact de nature sexuelle avec un mineur de moins de 15 ans.
Le crime sexuel sur mineur viendrait renforcer la protection des jeunes de moins de 13 ans, le délit d’atteinte sexuelle étant maintenu pour les jeunes de 13 à 15 ans.
Dans son avis du 15 mars 2018 sur le projet de loi Schiappa, le Conseil d’État a par ailleurs estimé que la seule référence à l’âge de la victime pourrait ne pas suffire pour répondre à l’exigence constitutionnelle de l’existence d’un élément intentionnel en matière criminelle. Le fait de retenir un seuil d’âge à 13 ans plutôt qu’à 15 ans réduit cependant ce risque de non-conformité à la Constitution.
Avec un seuil fixé à 13 ans, l’écart d’âge avec un jeune majeur devient plus significatif, ce qui rend beaucoup plus improbable le fait que celui-ci puisse entretenir une relation consentie avec un mineur à peine sorti de l’enfance.
Ces considérations ont conduit la commission à accepter la proposition de loi, celle-ci considérant que le texte pose un interdit plus clair, certes pour les agresseurs potentiels – et c’est très bien –, mais surtout pour les enfants qui doivent savoir que certains actes commis par un adulte ne sont pas autorisés. Il faut le leur dire !
La sauvegarde de l’enfance passe par des interdits. Le mineur, l’enfant devient un acteur : c’est la loi qui interdit d’avoir des rapports sexuels avec un adulte. La loi le protège, la loi dit « non » : c’est cet interdit qui doit s’ancrer dans l’esprit de l’enfant. Dans ce domaine, l’éducation a un rôle majeur à jouer et c’est la société tout entière qui doit s’emparer du sujet de la protection des mineurs pour faire changer les mentalités.
La commission a enrichi le texte, d’abord pour éviter l’écueil qui pourrait résulter de la création d’un nouveau seuil d’âge. Selon moi, l’âge est le clair-obscur de la réalité. Je suis personnellement très soucieuse d’éviter que la fixation d’un seuil d’âge à 13 ans sous-entende qu’un jeune de 13 ans et un jour devienne tout à coup consentant. Cela entraînerait alors un affaiblissement de la protection que nous devons aux jeunes de 13 à 15 ans.
C’est pourquoi, sur mon initiative, la commission a introduit un article additionnel, accepté par Annick Billon, afin d’inscrire dans le code pénal que la contrainte, élément constitutif du viol, peut résulter du jeune âge du mineur de moins de 15 ans, qui ne disposait pas de la maturité sexuelle suffisante. Une disposition similaire avait été adoptée par le Sénat en 2018, mais n’avait pas été retenue dans la version définitive de la loi Schiappa.
Concernant le dispositif même de la proposition de loi d’Annick Billon, la commission a apporté deux améliorations plus techniques, qui visent notamment à préciser la définition de la notion de pénétration sexuelle en l’alignant sur celle qui est retenue pour le viol.
La commission a aussi procédé à une coordination avec le code de procédure pénale, afin d’appliquer au nouveau crime sexuel sur mineur les règles de procédure dérogatoires prévues pour les affaires qui concernent les mineurs. Je pense par exemple à la possibilité de prononcer une injonction de soins, de sorte que l’auteur des faits soit suivi médicalement.
Par le jeu des renvois, la mesure que nous avons adoptée aura également pour effet d’étendre à la nouvelle infraction la règle de prescription applicable aux autres crimes sur mineurs, soit un délai de trente ans à compter de la majorité de la victime. Il s’agit d’une règle très protectrice, puisque, je vous le rappelle, le délai de prescription de droit commun est de vingt ans à compter de la commission des faits. Il tient compte du temps souvent très long qui s’écoule avant que la victime ne parvienne à briser la loi du silence et trouve la force de porter plainte.
La commission a également introduit un volet préventif dans ce texte en adoptant plusieurs amendements présentés par Michel Savin et Valérie Boyer.
Deux articles additionnels concernent le fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (Fijaisv), outil qui a fait ses preuves dans le cadre des enquêtes judiciaires, mais aussi comme moyen de contrôler les antécédents d’un individu avant son embauche pour un poste où il se trouverait en contact régulier avec des mineurs.
Afin d’exploiter encore mieux les potentialités de ce fichier, la commission vous propose de compléter la liste des infractions entraînant une inscription au Fijaisv et de prévoir une inscription automatique des auteurs d’infractions sur mineurs, quelle que soit la peine encourue.
Par ailleurs, nous avons adopté un amendement qui tend à encourager les juridictions à prononcer la peine complémentaire d’interdiction d’exercer une activité professionnelle ou sociale au contact de mineurs, pour mieux prévenir la récidive.
Je suis persuadée que l’examen du texte en séance publique permettra de l’enrichir encore davantage. Hier, plusieurs amendements de collègues issus de toutes les travées de cette assemblée ont reçu le soutien de la commission : j’espère qu’ils seront adoptés par notre assemblée.
J’ai en outre déposé un amendement, qui a pour objet d’allonger le délai de prescription du délit de non-dénonciation de mauvais traitements, agressions ou atteintes sexuelles infligés à un mineur, prévu par l’article 434-3 du code pénal. Afin que cette infraction devienne plus dissuasive et compte tenu du temps souvent très long qui s’écoule avant la révélation de ces affaires, nous vous proposons de porter ce délai de prescription à dix ans à compter de la majorité de la victime en cas de délit et à vingt ans en cas de crime.
La commission s’est également prononcée en faveur d’un amendement déposé par nos collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain tendant à créer une circonstance aggravante du délit d’atteinte sexuelle sur mineur en cas d’inceste. Nous devons avancer sur un sujet qui préoccupe légitimement nos concitoyens, la grande majorité des violences sexuelles sur mineurs ayant lieu, nous le savons, dans le cercle familial.
Enfin, la commission soutient l’adoption de deux amendements complémentaires, qui visent à préciser la définition du viol et celle du nouveau crime sexuel sur mineur, afin de cibler l’ensemble des actes bucco-génitaux. Actuellement, ces actes sont pris en compte lorsque la victime est un garçon, mais pas quand il s’agit d’une petite fille. Cette différence de traitement est difficilement justifiable et mérite d’être corrigée. C’est pourquoi je salue l’initiative des auteurs de ces amendements.
Au-delà de ces modifications législatives et de la nécessité d’accorder des moyens accrus à la justice et aux tribunaux, je suis convaincue que c’est la mobilisation de la société tout entière qui permettra de faire reculer les violences sexuelles sur mineurs et l’omerta qui, trop souvent, les entoure. L’actualité nous rappelle qu’aucun milieu social n’est épargné et que les agressions se produisent majoritairement dans le cadre familial.
L’examen de cette proposition de loi constitue une étape supplémentaire dans l’indispensable prise de conscience, qui est la clé d’une lutte efficace contre ces violences inacceptables que sont les crimes contre l’enfance.
« Les lois ne sont pas de purs actes de puissance ; ce sont des actes de sagesse, de justice et de raison. » C’est Portalis qui nous le rappelle.