Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il est des lois subtilement utiles ou utilement subtiles. C’est le cas de ce texte, ni anecdotique, ni folklorique, mais symbolique : symbolique du sens que nous souhaitons donner à ce fameux vivre-ensemble, symbolique de l’attention que nous souhaitons porter à la ruralité, cette ruralité souvent oubliée, méprisée, que certains voudraient voir transformée en musée.
Il y a là 15 millions de Français et 28 000 communes qui n’incarnent pas que le passé et veulent avoir un avenir. Dans ces campagnes résonnent des moteurs de tracteurs, mais aussi certains bruits immémoriaux et souvent animaux ; quelques effluves peu raffinés y viennent parfois perturber des odorats délicats.
C’est ainsi que, régulièrement, des néoruraux, ou des touristes mal embouchés, viennent user de leurs droits devant les tribunaux ou faire le siège d’une mairie pour dénoncer des troubles anormaux de voisinage. Entre quelques grenouilles indisciplinées, des coqs ténors, des cloches trop matinales et des cigales craquetant trop fort, les exemples de plaintes et démarches ubuesques, mais bien réelles, ne sont pas si rares.
Cependant, au-delà de la loi, c’est une vision de notre société, une philosophie de notre vivre-ensemble qui sont en jeu.
Que veut-on donc ? Une ruralité de carte postale, sans saveurs ni odeurs, une ruralité policée, où le coq sait se tenir, où l’âne a perdu sa voix, où les cloches sont de marbre et muettes, où le claquement des sabots sur le bitume s’est évanoui, où la transhumance ne carillonne pas et n’inonde plus les routes d’écumes de toisons ?
Que veut-on donc ? Une société où l’individualisme exacerbé et l’isolationnisme aveugle triomphent, où l’on ne vit plus ensemble, mais côte à côte, hermétiquement séparés, où les relations sociales se judiciarisent toujours plus, où l’on veut faire tabula rasa de nos héritages millénaires, naturels et civilisationnels, au nom d’une modernité égoïste et intolérante ?
Le patrimoine, c’est ce que nous ont légué, transmis, offert, nos pères. C’est une part profonde, ancestrale, authentique, de notre identité. Ce patrimoine est naturel, minéral, monumental, peut-être aussi sensoriel – Proust et sa madeleine nous l’ont appris. Souhaitons-nous donc devenir des mannequins robotisés, déracinés, calfeutrés dans un environnement aseptisé de science-fiction ?
Comme la campagne, l’État de droit a ses charmes et ses méfaits. Probablement est-il regrettable de devoir passer par la loi pour protéger notre patrimoine sensoriel, mais c’est ainsi. Et si nous parachevons le travail commencé par l’Assemblée nationale, les grincheux verront désormais leur accès aux tribunaux limité, et nos maires y gagneront un bouclier de sagesse et de tranquillité.
Les membres du groupe Les Républicains voteront donc ce texte conforme, sans se boucher ni le nez ni les oreilles !