Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le débat que nous avons cet après-midi renvoie à des histoires singulières, souvent douloureuses, personnelles, parfois familiales, et il renvoie aussi à l’histoire des femmes et de l’évolution de leurs droits, donc à une histoire universelle.
La loi du 17 janvier 1975 portée par Simone Veil était initialement – souvenons-nous-en – une loi dépénalisant l’avortement avant la fin de la dixième semaine de grossesse. C’était aussi une loi de compromis, proclamant, à l’article 1er, le respect de la vie. La clause de conscience était l’un des deux éléments de ce compromis, l’autre étant la situation de détresse des patientes, supprimée en 2014.
Le délai légal de recours à l’avortement a été allongé, en 2001, à douze semaines de grossesse. Depuis 1975, notre société a évolué sur bien des aspects. Il n’en demeure pas moins que le droit à l’IVG est régulièrement remis en débat, soit pour en circonscrire la portée, soit pour en renforcer l’accès. Aussi, rappelons-nous les mots de Simone de Beauvoir : « N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis ; vous devrez rester vigilantes votre vie durant. »
Dans cet esprit de mesure et de compromis irriguant la loi de 1975, si je suis, à titre personnel, favorable à l’allongement du délai légal d’avortement de douze à quatorze semaines de grossesse, proposé dans l’article 1er de la proposition de loi, je m’oppose à la suppression de la clause de conscience spécifique à l’IVG, prévue à l’article 2.
Par ailleurs, je voterai pour la motion tendant à opposer la question préalable à cette proposition de loi. La suite de mon propos visera à expliquer cette position.
En ce qui concerne l’article 1er, si le Conseil consultatif national d’éthique « considère qu’il n’y a pas d’objection éthique à allonger le délai d’accès à l’IVG de deux semaines », il estime également que cela ne doit pas être un palliatif pour d’éventuelles difficultés d’accès à l’IVG et à la contraception. Je partage en tout point cette analyse, qui a d’ailleurs été exposée par mes collègues.
L’OMS a défini, en 1977, le seuil de viabilité du fœtus à vingt semaines de grossesse et/ou à un poids du fœtus de 500 grammes. Aussi, en se fondant sur des critères médicaux et scientifiques, l’allongement du délai d’accès à l’IVG proposé par ce texte ne suscite pas de remise en cause profonde de l’équilibre trouvé en 1975.
Les IVG dites « tardives », pratiquées entre la dixième et la douzième semaine de grossesse, représentent seulement 5, 3 % des actes pratiqués en France et moins de 2 000 femmes par an – d’autres chiffres ont été évoqués – se rendent à l’étranger pour pratiquer une IVG au-delà des douze semaines de grossesse. Ces situations ne sont pas acceptables, mais je doute que les dispositions de l’article 1er suffisent à les résoudre.
En parallèle, il convient de renforcer l’accompagnement des femmes dans leurs parcours de santé, de l’amont à l’aval. En effet, si l’IVG est un droit essentiel, cet acte n’est jamais anodin. Comme le disait, avec une certaine pudeur, Simone Veil à la tribune de l’Assemblée nationale, « aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l’avortement ».
Par ailleurs, il convient d’informer davantage, cela a été dit, les jeunes – mais pas seulement eux –, filles comme garçons, sur leur fertilité et sur les différents moyens de contraception disponibles, sans tabou. Les femmes ne peuvent être les seules à assumer la responsabilité de la contraception.
Un travail est probablement à mener auprès des professionnels de santé – médecins, infirmières scolaires et sages-femmes –, pour orienter les patients sur la contraception la plus adaptée à leur situation ; le préservatif et la pilule contraceptive ne sont pas les uniques méthodes de contraception.
Enfin, il est primordial d’arrêter l’érosion des moyens octroyés à l’orthogénie et du nombre de centres habilités à pratiquer l’IVG ; je ne reviens pas sur cette question, déjà largement abordée par nos collègues.
J’en viens désormais à l’article 2, qui vise à supprimer la clause de conscience spécifique à l’IVG et qui était l’un des éléments du compromis trouvé lors de l’adoption de la loi du 17 janvier 1975.
Si les arguments médicaux ou scientifiques ne s’opposent pas à l’allongement des délais d’accès à l’IVG, le débat moral sur l’avortement reste, néanmoins, prégnant en France. Aussi, à l’instar du CCNE, j’estime que la pratique d’une IVG ne peut être considérée comme un acte médical ordinaire. Par conséquent, il me semble nécessaire de maintenir cette clause de conscience spécifique pour les médecins et les sages-femmes.
Concernant le reste des articles de cette proposition de loi, je m’attarderai sur l’article 1er bis, qui vise à permettre aux sages-femmes de pratiquer des interruptions volontaires de grossesse par voie chirurgicale, jusqu’à la fin de la dixième semaine de grossesse.
L’article 70 de la dernière loi de financement de la sécurité sociale lance une expérimentation de trois ans sur ce sujet. Adopter cet article démontrerait l’inconstance du Parlement. Donnons du temps à cette expérimentation pour que nous puissions décider en conscience.
Pour conclure, le droit des femmes à disposer de leurs corps est toujours l’endroit de nombreux débats. Le projet de loi de bioéthique examiné en février nous en donnera un autre aperçu.
À mon sens, il aurait été, par ailleurs, plus judicieux de discuter de l’allongement du délai d’accès à l’IVG dans ce cadre. On m’a rappelé que ce n’est pas seulement une question d’éthique. Je le sais, c’est aussi une question de santé publique et une question sociétale, mais je pense que nous aurions eu un débat intéressant dans le cadre de ce projet de loi ; cela aurait donné une légitimité plus forte sur un sujet de cette nature.
Enfin, bien que je sois personnellement favorable à l’article 1er, la remise en cause de la clause de conscience spécifique, la généralisation de la pratique de l’IVG par voie chirurgicale par les sages-femmes, alors même qu’une expérimentation commence, et l’absence de mesures relatives à la contraception m’invitent, tout comme la majorité des membres de mon groupe, à adopter la motion opposant la question préalable.