Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous en venons à présent à un texte que j’avais déposé l’an dernier avec mes collègues Sylviane Noël et Alain Chatillon, et dont l’objectif est de contribuer à consolider l’un des volets les plus délicats de la législation sur l’accueil des gens du voyage : l’équilibre entre, d’une part, la garantie des bonnes conditions d’accueil des personnes choisissant de pratiquer ce mode de vie, et, d’autre part, la lutte contre les installations illicites.
Cet équilibre prend ses racines dans la loi Besson du 5 juillet 2000, qui, en fixant des droits et des devoirs, a jeté les bases de la politique contemporaine de l’accueil des gens du voyage.
Or, comme l’avait déjà diagnostiqué en 2017 notre ancien et regretté collègue Jean-Claude Carle, cet équilibre est de plus en plus fragile.
En effet, vingt ans après la loi Besson, la situation n’est plus exactement la même. Certains groupes de gens du voyage se sont sédentarisés, ou semi sédentarisés. D’autres personnes traditionnellement étrangères à la communauté ont pu adopter des modes de vie itinérants. D’importants flux saisonniers de gens du voyage se poursuivent, et il n’est pas rare qu’ils aboutissent à la saturation des capacités d’accueil des territoires.
De manière plus exceptionnelle, heureusement, la crise du coronavirus a mis à rude épreuve les communautés de gens du voyage, et elle a révélé les dangers que peuvent représenter des aires surchargées.
Enfin, les occupations illicites de terrains demeurent une triste réalité dans les territoires, d’autant plus que la conformité de ceux-ci au schéma départemental ne leur garantit aucunement d’échapper au phénomène.
Là où ils apparaissent, les « campements illicites » entraînent dans leur sillage complications juridiques, tensions locales et dégradations physiques. Ces agissements d’une minorité finissent par porter préjudice non seulement aux propriétaires des terrains, mais aussi à l’ensemble des voyageurs.
Cet état de fait ne doit pas être toléré ni indéfiniment excusé par des circonstances locales : il y va de la crédibilité de la République, garante de l’ordre public.
Les collectivités locales sont au premier rang face à l’ensemble de ces facteurs. Elles sont à la fois les interlocutrices essentielles des voyageurs installés paisiblement, et les victimes plus ou moins directes des occupations illégales, alors même qu’elles poursuivent leurs efforts de création d’espaces d’accueil.
Je ne doute pas que de nombreux collègues, sur ces travées, ont été comme moi sollicités par des maires ou des présidents d’établissement public de coopération intercommunale (EPCI) confrontés à des situations impossibles, auxquelles s’ajoute un appui parfois inadapté des autorités préfectorales et de la justice.
Ce constat avait déjà été dressé en 2017 par Jean-Claude Carle, qui avait déposé une proposition de loi comprenant certaines mesures fortes.
Malheureusement, le texte ambitieux voté à l’époque par notre institution n’avait été que très partiellement repris par l’Assemblée nationale.
Par conséquent, notre décision fut, non sans une certaine circonspection, de privilégier une réponse rapide, pour assister dès que possible les gens du voyage et les collectivités.
Plutôt que de poursuivre une navette au moment où convaincre nos collègues députés semblait difficile, notre choix fut de voter conforme une loi Carle, malheureusement amputée de plusieurs de ses dispositions, en nous promettant néanmoins d’y revenir.
Plus de deux ans après son adoption, c’est avec déception que nous constatons que ce texte d’ampleur limitée n’a pas reçu la mise en œuvre qu’il méritait.
Certes, nous pourrions attendre encore quelques années, pour mieux en évaluer l’impact, comme certains de nos collègues l’ont suggéré.
Cependant, compte tenu de l’urgence de la situation que je vous ai exposée, j’estime que nous sommes dans notre rôle de législateur quand nous proposons et quand nous agissons.
Par conséquent, j’ai travaillé avec mes collègues Sylviane Noël et Alain Chatillon à cette nouvelle proposition de loi.
Elle permettra de restaurer enfin l’équilibre dans les politiques de l’accueil des gens du voyage, et de doter les collectivités des outils nécessaires, en privilégiant l’implication des élus locaux et l’opérationnalité des dispositifs.
Le premier de ces outils vise à renforcer la coopération entre l’État et les collectivités dans l’anticipation et la préparation des flux de gens du voyage.
En développant une stratégie annuelle de gestion des déplacements des résidences mobiles des gens du voyage, le préfet de région contribuera en amont à éviter les surcharges ponctuelles des aires.
Cette nouvelle stratégie permettra de mieux faire circuler l’information, d’anticiper les déplacements et de coordonner l’élaboration des schémas départementaux. Elle impliquera surtout la consultation des élus, car l’écoute est le premier pas pour chasser leur impression d’abandon.
Un deuxième outil que nous prévoyons est l’inscription dans la loi d’un système de réservation préalable des aires. Son application restera facultative afin que les collectivités conservent toute latitude dans leur gestion des aires. Ce système permettra d’harmoniser les démarches des gens du voyage qui souhaitent s’installer, tout en améliorant la maîtrise des collectivités sur les entrées et les sorties des aires.
L’objectif est d’éviter les situations où des arrivées simultanées dépasseraient les capacités d’accueil, et de faciliter l’expulsion des groupes occupant indûment une aire pendant une longue durée.
Enfin, ce système s’articule avec l’approche stratégique d’une coopération entre l’État et les collectivités, telle que nous l’avons précédemment évoquée : le maire ou le président d’EPCI pourra demander au préfet de proposer des aires alternatives.
Grâce à ces deux outils, la liberté d’aller et de venir des voyageurs demeure intacte. L’objectif de ce texte est en effet d’user de dispositifs facultatifs et incitatifs afin de réunir les conditions d’un accueil effectif.
En troisième lieu, nous avons voulu rendre plus robustes les outils de lutte contre les installations illégales.
Il s’agit, très concrètement, de doubler la période durant laquelle la mise en demeure d’expulsion du préfet à l’encontre des occupants illégaux demeure en vigueur. Si les occupants n’ont pas quitté le terrain à l’issue de cette période, l’évacuation par le préfet sera désormais une compétence liée : il n’aura d’autre choix que de l’effectuer.