Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons est, convenons-en, particulière.
Elle l’est tout d’abord parce que l’accueil des gens du voyage est un sujet sensible dans notre pays, et nous savons tous combien il peut être difficile à traiter pour les élus locaux que nous rencontrons toute l’année.
Elle l’est ensuite parce que son examen intervient un peu plus de deux ans après que nous nous sommes collectivement saisis du sujet, lors de l’examen conjoint des propositions de loi de notre ancien collègue Jean-Claude Carle et de notre collègue Loïc Hervé.
Les débats que nous avons eus en commission ont été l’occasion pour certains de mes collègues de dire leur perplexité face à un texte examiné avant qu’un travail d’évaluation ne permette d’identifier précisément des pistes d’amélioration du cadre juridique, tel qu’il résulte de la loi du 7 novembre 2018 relative à l’accueil des gens du voyage et à la lutte contre les installations illicites. Je comprends pleinement cette inquiétude, et je souhaiterais y répondre en deux points.
D’une part, certaines des propositions formulées par le Sénat à l’occasion de l’examen de divers textes – tels que le projet de loi relatif à l’égalité et la citoyenneté ou les propositions de loi évoquées ci-avant – ne figurent pas dans la loi, faute d’avoir été retenues au cours de la navette parlementaire. Or les difficultés auxquelles ces dispositions entendaient répondre n’ont pas pour autant disparu ! Nous sommes donc contraints de réitérer une réponse législative dont la nécessité n’est pas démentie sur le terrain.
D’autre part, force est de constater que des pistes d’amélioration demeurent, tant la politique territoriale d’accueil semble perfectible sur le terrain. Ainsi, les élus locaux ne sont pas toujours en mesure d’anticiper les déplacements de gens du voyage, ce qui rend leur accueil d’autant plus difficile qu’il est imprévu.
Par ailleurs, les stationnements illicites continuent d’être une source de préoccupation pour les élus locaux, qui constatent un recours trop sporadique à la procédure d’évacuation d’office, pourtant prévue dans la loi.
Mes chers collègues, face à ces difficultés persistantes et quotidiennes dans les territoires, le législateur ne saurait rester passif !
La proposition de loi que nous examinons a trois objectifs distincts : elle vise à mieux anticiper les déplacements de résidences mobiles, à améliorer la gestion des aires d’accueil de gens du voyage, et à renforcer la procédure administrative d’évacuation d’office en cas de stationnement illicite.
Pour cela, elle complète les dispositions déjà votées par notre assemblée, en y mêlant des pistes de solutions originales et innovantes, qui constituent des réponses pragmatiques aux difficultés rencontrées sur le terrain.
Parmi les dispositions déjà votées par le Sénat, deux articles visent à faciliter la gestion des aires d’accueil pour les collectivités territoriales concernées.
L’article 4 tend à comptabiliser les emplacements des aires permanentes d’accueil des gens du voyage dans les quotas de logements sociaux auxquels sont soumises certaines communes.
L’article 5 prévoit de supprimer la procédure de consignation de fonds pour les communes et les EPCI qui ne respectent pas leurs obligations en matière d’accueil.
Ces articles relèvent du bon sens et ont été adoptés par la commission sans modification.
L’article 9, issu d’un amendement présenté par Loïc Hervé et adopté par la commission, reprend également des dispositions déjà adoptées par le Sénat. Il tend à renforcer les sanctions pénales applicables en cas d’occupation en réunion sans titre d’un terrain. Si une interrogation sur l’effectivité de la mesure persiste à ce stade, elle constituera un outil supplémentaire à la main du juge, à qui il reviendra de s’en saisir, dans le respect des droits et libertés fondamentaux.
Par ailleurs, d’autres dispositions du texte développent des pistes de solutions innovantes face aux problèmes régulièrement rencontrés par les élus.
L’article 2, qui prévoit principalement la possibilité pour les communes et les EPCI concernés de subordonner à une réservation préalable l’accès aux aires d’accueil, constitue à cet égard une réelle avancée dans la gestion des aires d’accueil des gens du voyage. Dans la mesure où l’examen en commission a permis de garantir la solidité juridique du dispositif, je me réjouis qu’il puisse désormais être adopté par notre assemblée, car il facilitera la vie des collectivités territoriales concernées.
L’article 1er vise à éviter les risques de saturation des aires d’accueil par l’anticipation des déplacements de résidences mobiles. Il prévoit, dans la rédaction issue de l’examen en commission, une stratégie régionale de gestion de ces déplacements. Ce dispositif permettra d’impliquer le préfet de région et de s’assurer de la coordination, à l’échelle pertinente, de l’action de l’État et des collectivités en matière d’accueil des gens du voyage.
Enfin, l’article 8 tend à répondre au troisième et dernier objectif de la présente proposition de loi, à savoir le renforcement de la procédure administrative d’évacuation d’office en cas de stationnement illicite.
Consolidée, d’une part, via le doublement de la période pendant laquelle la mise en demeure du préfet court et, d’autre part, par l’obligation du préfet de procéder à l’évacuation d’office dès lors qu’à son échéance la mise en demeure n’a pas été suivie d’effet, cette procédure constituera la réponse efficace aux stationnements illicites que les maires et les présidents d’EPCI attendent depuis si longtemps.
En la matière, seule une action forte de l’État, se tenant aux côtés des collectivités concernées, est à même de rassurer ces dernières, qui se trouvent trop souvent démunies, car délaissées, face à un problème qui les dépasse.
Je souhaiterais saisir l’occasion qui m’est donnée de m’exprimer pour m’adresser à vous, madame la ministre : les collectivités ont besoin que l’État prenne ses responsabilités en ce qui concerne l’accueil des gens du voyage.
Nous savons parfaitement que les schémas départementaux d’accueil sont insuffisamment mis en œuvre, et nous le déplorons. Cependant, nous avons tous aussi, dans cette assemblée, des exemples de communes ou d’EPCI qui se retrouvent dans une situation inacceptable lorsque, respectueux de leurs obligations et confrontés à une occupation illicite, ils voient le préfet opposer une fin de non-recevoir à leurs demandes légitimes d’évacuation.
Par ailleurs, depuis 2009, l’État ne prévoit plus de soutien spécifique à la réalisation ou à l’aménagement d’aires d’accueil et de terrains familiaux locatifs, sauf dans le cas de communes nouvellement inscrites au schéma départemental.
Madame la ministre, face à la sous-exécution des schémas départementaux, pourquoi ne pas restaurer un tel soutien financier, au lieu de procéder à des consignations de fonds contraires aux principes d’autonomie financière et de libre administration des collectivités territoriales ?
Une telle disposition ne saurait être introduite dans un amendement d’initiative parlementaire, en raison des règles de recevabilité financière, mais nous sommes prêts à travailler avec vous pour penser les voies et les moyens d’un soutien réel de l’État aux collectivités en la matière.
En un mot, madame la ministre, les collectivités territoriales sont bien au fait des obligations qui s’imposent à elles, et elles font leur possible pour s’y plier. Elles ont néanmoins besoin des marques de soutien qui leur font défaut dans la situation actuelle. Elles doivent pouvoir compter sur l’État bien davantage qu’elles ne le font. L’ensemble des acteurs du système y gagnerait, à commencer par les gens du voyage, dont l’accueil se trouverait significativement amélioré.
En conclusion, la présente proposition de loi ne réglera pas toutes les difficultés qui se posent aux élus locaux quant à l’accueil des gens du voyage. Le cadre juridique existant souffre, nous le savons, d’un défaut d’application, aux niveaux central et déconcentré, auquel il convient de remédier urgemment.
Elle permettra néanmoins de consolider ce cadre juridique et de donner davantage d’outils aux collectivités pour gérer avec efficacité des situations souvent difficiles. Elle me semble de ce seul fait, mes chers collègues, utile et nécessaire.