Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous avons tous eu au téléphone des maires désemparés par une installation sauvage de gens du voyage arrivés à l’improviste le matin même dans la commune.
Chaque année, la France compte 350 000 à 400 000 personnes appartenant à cette communauté, dont un tiers sédentaire, un tiers semi-sédentaire et un tiers itinérant.
Mercredi dernier, la commission des lois du Sénat a adopté la proposition de loi visant à consolider les outils des collectivités permettant d’assurer un meilleur accueil des gens du voyage. Cette proposition, présentée par mes collègues Patrick Chaize, Sylviane Noël et Alain Chatillon, a trois objectifs principaux : mieux anticiper les déplacements de résidences mobiles, améliorer la gestion des aires d’accueil de gens du voyage et renforcer la procédure administrative d’évacuation d’office en cas de stationnement illicite.
C’est l’occasion aujourd’hui d’avoir une pensée émue pour notre regretté collègue Jean-Claude Carle. Ce texte vient d’abord rétablir les dispositions votées par le groupe majoritaire au Sénat et tombées lors de l’examen de sa proposition de loi par l’Assemblée nationale en 2018.
L’article 1er crée un cadre législatif pour les stratégies régionales de gestion de flux. Le deuxième instaure des systèmes de réservation des aires. Le dernier détaille les dispositifs de lutte contre les occupations illégales.
La commission les a complétés, en créant une stratégie régionale de gestion des déplacements et en retravaillant la réservation de places sur les aires. L’enjeu est aussi de répartir équitablement la charge de l’accueil entre communes et EPCI.
Dans mon département, l’Eure, cette concertation entre le préfet, le président du conseil départemental et les présidents des trois communautés d’agglomération est en cours. L’objectif est de mettre à disposition des gens du voyage trois aires de grands passages sur chacun de ces territoires alors qu’il n’en existe aucune aujourd’hui.
Cette volonté de se mettre en règle rendra aussi chaque élu plus légitime à exiger demain l’intervention de la force publique lorsque des installations sauvages ont lieu. Il faut appuyer les maires dans leur lutte contre toutes les illégalités.
Le renforcement des procédures d’évacuation est, dans ce même esprit, proposé par la commission. Un amendement a en effet été adopté pour autoriser la saisie et le déplacement des véhicules, y compris lorsqu’ils sont destinés à l’habitation. Un renforcement des mesures effectives est très attendu à la fois par les élus locaux, qui ont souvent un sentiment d’impuissance, mais aussi par leurs habitants, qui s’agacent de voir ponctuellement des gens du voyage s’installer sans autorisation.
En 2020, la crise sanitaire a touché très durement les gens du voyage. C’est pourquoi le Gouvernement a appelé dès la fin du mois de mars les maires à se montrer à l’écoute et compréhensifs, notamment sur le recouvrement des redevances et charges. L’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF) et les représentants des gens du voyage ont instauré un dialogue constructif, et des reports d’échéances ont déjà été votés par certaines collectivités partout sur notre territoire.
D’une manière générale, ce mode de vie rend difficiles l’accès à certains droits et l’accomplissement de certains devoirs qu’implique une domiciliation. Un régime juridique ad hoc a donc été créé pour répondre à cette situation au fil du temps.
Le livret de circulation, créé en 1969, a été censuré par le Conseil constitutionnel en 2012, puis aboli par la loi du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté. Aujourd’hui, toutes les actions institutionnelles vont dans le sens d’une « normalisation », c’est-à-dire de la fin du statut dérogatoire. Mais des difficultés perdurent quant au stationnement des véhicules et à la scolarisation des enfants. La loi du 31 mai 1990 visant à la mise en œuvre du droit au logement prévoyait en son article 28 la création de schémas départementaux.
La loi Besson du 5 juillet 2000 a prévu que les communes de 5 000 habitants sont obligées de disposer d’un terrain d’accueil dédié. Elles peuvent également transférer cette compétence à un EPCI. En contrepartie de cette obligation, l’État prend en charge les investissements nécessaires à l’aménagement et à la réhabilitation des aires dans la proportion de 70 %, en plus d’une aide forfaitaire. Plusieurs textes réglementaires sont venus détailler les conditions de cet accueil par les collectivités : neuf décrets, sept circulaires et trois arrêtés. Entre 2003 et 2010, les maires ont ainsi déjà vu leur pouvoir renforcé en la matière.
Au mois de novembre 2018, la loi Carle a clarifié les compétences des communes et de leurs groupements en matière d’accueil des gens du voyage au regard de la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, ou loi Maptam, et de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, ou loi NOTRe.
La présente proposition de loi contient des dispositions utiles, comme le raccourcissement du délai qu’a le juge administratif pour statuer sur les recours ou le fait que la mise en demeure reste active en cas de retour des véhicules dans les quatorze jours pour éviter les « feintes de départ ». De même, le dispositif d’astreinte solidaire de 100 euros par jour et par résidence mobile, payable directement à la commune ou à l’EPCI, semble judicieux.
Cependant, François-Noël Buffet, le président de la commission des lois, dans un communiqué de presse du 13 janvier 2021, a déclaré : « Les collectivités territoriales pâtissent de l’absence de mise en œuvre – au niveau central, comme au niveau local – des mesures législatives déjà votées en la matière, les privant ainsi d’efficacité sur le terrain. » Si l’on veut rajouter une surcouche de législation à cette matière, qui est déjà complexe, il faut le faire avec précaution. À l’échelon national, la Commission nationale consultative des gens du voyage émet des recommandations pour mieux mettre en œuvre la loi. C’est avec tous les acteurs qu’il faut désormais travailler, dans un esprit de conciliation.
Considérant que l’arsenal des lois est déjà assez important sur le sujet, le groupe RDPI se positionne sur une abstention, mais laisse toute latitude à ses membres qui souhaitent voter en faveur de la présente proposition de loi, texte qui renforce la législation existante. Pour ma part, j’émettrai un vote favorable.