Intervention de Philippe Bas

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 26 janvier 2021 à 9h00
Projet de loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Philippe BasPhilippe Bas, rapporteur :

C'est le sixième texte législatif que nous étudions depuis le début de la crise sanitaire sur le sujet. Parmi eux, un projet de loi de prolongation du régime de sortie de l'état d'urgence, déposé à l'automne dernier, a été balayé par l'aggravation de la crise. Quant au projet de loi instituant un régime pérenne de gestion des urgences sanitaires, adopté en conseil des ministres à la fin de l'année, il a immédiatement été retiré de l'ordre du jour. M. Olivier Véran, ministre rapporteur, a annoncé de lui-même que le texte n'était pas encore mûr... Voici un nouvel art de gouverner : on présente un texte en conseil des ministres, on le laisse de côté mûrir quelque temps, et quinze jours plus tard, le conseil des ministres adopte un autre texte - en l'espèce, le projet de loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire dont nous avons à débattre aujourd'hui...

Le Sénat et l'Assemblée nationale sont parvenus à s'entendre sur deux des projets de loi relatifs à la lutte contre la covid-19.

La loi du 23 mars 2020 a créé le régime de l'état d'urgence sanitaire pour un an. Le Gouvernement voulait un régime permanent, pour pouvoir l'activer en 2030 de la même manière qu'il peut activer le régime de l'état d'urgence issu de la loi de 1955 en cas d'attaque terroriste. Au Sénat, nous avons demandé que ce régime de l'état d'urgence sanitaire soit temporaire, et qu'il prenne fin au 1er avril 2021. Cette durée d'un an a été choisie après mûre réflexion, car le Gouvernement nous avait alertés sur le risque d'une nouvelle flambée épidémique à l'automne, en raison du comportement des coronavirus - il avait raison. Conscients du risque, nous avions donc accepté cette possibilité d'activer ce régime pendant un an. Ce risque s'est réalisé.

En mai dernier, nous avons également adopté un texte prorogeant une première fois l'état d'urgence sanitaire, pour une courte durée.

En revanche, nous nous sommes opposés au Gouvernement et à la majorité de l'Assemblée nationale par deux fois. En juillet, le Gouvernement voulait créer un régime de sortie de l'état d'urgence sanitaire, équivalent au régime de l'état d'urgence sanitaire à ceci près qu'il n'autorise pas de confinement ni de couvre-feu généralisé. S'il y avait besoin de restreindre les libertés malgré l'atténuation du risque sanitaire, nous avions plutôt préconisé de maintenir l'état d'urgence sanitaire sans faire usage de tous les pouvoirs qu'il prévoit. Nous n'avons donc pas pu nous entendre.

À l'automne dernier, nous étions également en désaccord, car le Gouvernement voulait continuer à user de pouvoirs spéciaux sans vote du Parlement pendant une durée trop longue : il souhaitait que l'état d'urgence sanitaire se poursuive jusqu'au 16 février et laisse place jusqu'à la fin avril au régime de sortie de l'état d'urgence sanitaire. Or ce n'est pas parce qu'il n'autorise pas le confinement que le régime de sortie n'implique pas des restrictions aux libertés très importantes : le Gouvernement peut continuer à fermer les cafés, les restaurants et les commerces, limiter les déplacements, etc.

Nous avons toujours pris nos responsabilités et accepté de donner à l'exécutif les moyens d'agir contre la crise. Mais n'oublions pas que le régime de l'état d'urgence sanitaire est plus sévère que celui de l'état d'urgence classique, il permet de restreindre les libertés de toute la population française. On ne peut s'habituer à une telle situation. Le Parlement doit avoir son mot à dire régulièrement, aux côtés du juge qui vérifie la proportionnalité des mesures prises aux exigences de la politique sanitaire.

Le projet de loi dont nous débattons aujourd'hui est assez simple : il comporte seulement quelques articles, et a été amélioré par l'Assemblée nationale, dans le sens des attentes du Sénat. Le Gouvernement avait initialement proposé de prolonger non seulement l'état d'urgence sanitaire, mais aussi le régime de sortie de celui-ci, afin de pouvoir enchaîner d'un régime à l'autre sans repasser devant le Parlement. L'Assemblée nationale a heureusement supprimé cet article, ce qui évite la coexistence de deux régimes se recouvrant à quatre-vingt-dix pour cent. Le texte est donc expurgé d'une partie de son vice, et j'en suis satisfait.

Il nous est également proposé de reconduire jusqu'en décembre le régime général de l'état d'urgence sanitaire, défini par la loi du 23 mars 2020. Ce régime pourra ne pas être activé jusque-là, mais il sera disponible en cas de besoin.

Cela fait, le Gouvernement nous demande de prolonger l'état d'urgence sanitaire aujourd'hui en vigueur jusqu'au 1er juin 2021.

Je n'ai pas besoin d'entrer dans les détails de l'évolution sanitaire, que vous connaissez. À la date du 23 janvier, on comptait quelque 24 000 contaminations par jour, soit un niveau cinq fois plus élevé que l'objectif qui avait justifié le reconfinement de l'automne dernier. L'indicateur de reproduction effectif du virus, de 1,1, est trop élevé. Il devrait être largement inférieur à 1 pour être rassurant. Plus de 57 % des lits de réanimation sont occupés. La situation épidémique est d'autant plus préoccupante que le nombre de personnes vaccinées dépasse à peine 1 million. Si en fin de semaine dernière, le rythme des vaccinations était soutenu, avec 130 000 vaccinations vendredi dernier, ce nombre est tombé à 66 000 hier. Les problèmes de disponibilité du vaccin, la complexité logistique, les goulets d'étranglement pour obtenir un rendez-vous vaccinal, et les difficultés de mise au point de vaccins en cours d'évaluation font que les objectifs du Gouvernement seront extrêmement difficiles à tenir.

Au rythme actuel, l'objectif de vacciner 20 millions de personnes - soit le nombre de personnes âgées et à risque - au début de l'été est pratiquement hors d'atteinte, à moins d'une dynamique beaucoup plus favorable. Les promesses stupéfiantes faites par le ministre de la santé jeudi dernier, selon lesquelles tous les Français seraient vaccinés en août, n'ont a priori pas la moindre chance de se réaliser, surtout si le vaccin d'AstraZeneca n'est produit qu'à hauteur de 30 % des objectifs affichés initialement.

La vaccination permettra d'éloigner le spectre de l'épidémie, mais prendra du temps. Dans l'immédiat, quoi de mieux que de suivre la demande du Gouvernement de prolonger l'utilisation de pouvoirs qui sont, hélas, le seul moyen de franchir l'obstacle des prochains mois ?

Le Sénat doit être cohérent dans sa doctrine. Point important, l'Assemblée nationale s'est ralliée à notre position sur le régime de sortie de l'état d'urgence sanitaire qui a créé beaucoup de confusion et était parfaitement inutile juridiquement.

Mais s'agissant du calendrier, le Gouvernement demande encore les pleins pouvoirs pour lutter contre la crise sur une durée plus longue que ce qui a jamais été consenti. Par cohérence, je vous propose de ramener ce délai à deux mois et demi, même si nous resterons prêts à prolonger ces pouvoirs aussi longtemps que cela sera justifié et que les mesures prises seront efficaces. Adoptons la date du lundi 3 mai, pour laisser au Gouvernement la possibilité de gérer le week-end de vacances scolaires qui précède et les manifestations du 1er mai.

Je vous propose également d'accepter la prolongation jusqu'au 31 décembre du régime général de l'état d'urgence sanitaire, pour être prudents. Si en septembre 2021, il s'avérait nécessaire de prendre des mesures exceptionnelles, il serait bon que ce régime existe encore et qu'un décret puisse l'activer, une autorisation législative étant nécessaire au-delà d'un mois.

Nous ferons ainsi prévaloir l'esprit de responsabilité pour lutter contre la crise sanitaire. Les aménagements que je vous propose ne sont pas extravagants, et je ne comprendrais pas que nous n'obtenions pas satisfaction. Les systèmes d'information liés à la lutte contre l'épidémie devront aussi pouvoir être maintenus trois mois après la fin de l'état d'urgence sanitaire.

Hier, la presse annonçait un reconfinement imminent. Ce matin, l'exécutif semble faire machine arrière. Le Président de la République, dit-on, est en colère contre le Premier ministre : les Français auraient été trop préparés à un reconfinement, alors qu'il n'est pas temps de le faire. L'hypothèse rode, se rapproche puis s'éloigne... Je vous proposerai un amendement pour que le Gouvernement ne puisse reconfiner sans un vote du Parlement dans un délai d'un mois. Sinon, ce serait la seule question que nous ne pourrions aborder, en pleine discussion parlementaire ? Reconfiner est la restriction maximale à nos libertés. Le régime de l'état d'urgence sanitaire permet de le mettre en oeuvre ; c'est normal et nous l'avons accepté en mars dernier. Pour autant, un verrou supplémentaire par un contrôle parlementaire dans les trente jours est dans l'ordre des choses. La représentation nationale doit veiller à ce que les libertés ne soient pas exagérément restreintes.

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