Intervention de Nadine Bellurot

Réunion du 28 janvier 2021 à 10h30
Accord de coopération avec l'union monétaire ouest-africaine — Discussion générale

Photo de Nadine BellurotNadine Bellurot :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le franc CFA a été créé par Charles de Gaulle en 1945, dans le contexte de la conférence de Brazzaville de 1944.

Jusqu’en 1958 et au début de la décolonisation, « CFA » signifiait « colonies françaises d’Afrique », puis, jusqu’en 1960, « communauté française d’Afrique », enfin, depuis lors, « communauté financière africaine » dans l’Afrique de l’Ouest et « coopération financière en Afrique » dans l’Afrique centrale.

Actuellement, quatorze pays africains – quinze si l’on y ajoute les Comores – utilisent cette monnaie. Ils sont répartis en deux unions monétaires distinctes : six pays d’Afrique centrale, la Cémac ; huit autres, en Afrique de l’Ouest, l’UMOA. Chacune de ces deux unions monétaires distinctes possède son propre franc CFA et est dotée d’une banque centrale commune aux pays membres : la Banque des États d’Afrique centrale (BEAC) pour la Cémac et la BCEAO pour l’UMOA.

La création de cette monnaie commune à plusieurs pays visait à contribuer à la stabilisation monétaire et au développement des économies de ces pays. Cela devait se faire, notamment, via une parité fixe du franc CFA avec le franc français, puis l’euro – 1 euro vaut 655 francs CFA – et un renforcement des échanges économiques avec la France, notamment, et l’Union européenne, mais aussi au sein même de l’Union monétaire.

Ainsi, depuis octobre 2017, il existe une libre circulation des biens, des services, des capitaux et des personnes au sein des six pays de la Cémac. Des progrès ont également été réalisés au sein de l’UMOA en matière de libre circulation des personnes et des biens : on peut citer l’adoption de directives relatives à la mobilité des étudiants et à la circulation et au libre établissement des professionnels, ainsi que, pour les passeports, l’institutionnalisation d’un visa unique à la zone.

Les pays concernés demeurent souverains et n’ont pas l’obligation d’utiliser le franc CFA : certains pays l’ont d’ailleurs abandonné. De surcroît, des pays qui n’étaient pas des colonies françaises ont pu l’adopter.

Néanmoins, certaines critiques ont porté sur l’obligation pour ces pays de placer la moitié de leurs réserves de change sur un compte rémunéré de la Banque de France, même si ces réserves demeurent la propriété des États africains et si ces placements sont rémunérés.

Il est vrai, toutefois, que l’accord de coopération monétaire date de 1973 et qu’il n’a jamais évolué. L’ensemble des États membres de l’UMOA ont souhaité réformer leurs relations de coopération monétaire avec la France, pour aller vers plus d’intégration régionale et la création, à terme, d’une monnaie unique dans un ensemble plus large.

Cette démarche a abouti à un accord, conclu le 21 décembre 2019 entre le Président de la République française et le président de l’UMOA ; cet accord va de facto remplacer l’accord de coopération monétaire de 1973.

La mesure la plus symbolique en est la suppression du franc CFA, soixante-quinze ans après sa création, et son remplacement par l’eco.

Cet accord a donc une forte valeur symbolique et une charge historique, a fortiori dans le contexte de la présence militaire française dans la région.

Même si cet accord n’est pas présenté comme tel, il s’inscrit de facto dans l’approche « 3D » prônée par le Gouvernement dans cette région du monde : il s’agit de combiner défense, développement et diplomatie. La disparition du mot « franc » dans la dénomination de cette devise participe indéniablement de cette approche.

Le présent projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale le 10 décembre dernier, autorise l’approbation de ce nouvel accord de coopération entre la France et les huit États membres de l’UMOA. Cette nouvelle monnaie, l’eco, ne concerne donc que l’Afrique de l’Ouest ; le franc CFA de la Cémac n’est pas concerné à ce stade.

L’eco a cependant vocation à s’étendre au-delà des huit États membres actuels de l’UMOA, ceux-ci souhaitant l’extension progressive de cette union à d’autres pays de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest. Ladite communauté, créée en 1975, comprend sept autres États. La question de l’intégration du Nigéria à l’union monétaire est évidemment essentielle, ce pays pesant à lui seul 70 % du PIB de la sous-région ouest-africaine.

L’eco demeurera indexé sur le cours de l’euro, de manière à éviter toute spéculation sur la monnaie, ou encore une fuite des capitaux. La parité fixe et la garantie de convertibilité de la monnaie demeurent donc.

En revanche – il s’agit de la première évolution importante –, la BCEAO n’aura plus pour obligation de déposer la moitié de ses réserves de change auprès de la Banque de France ; elle sera donc désormais souveraine pour placer ses avoirs dans les actifs de son choix.

La seconde évolution majeure est que la France se retirera des instances de gouvernance de l’UMOA. Toutefois, ce retrait s’accompagnera de la mise en place de mécanismes ad hoc de dialogue et de surveillance des risques, la France demeurant le garant financier.

Pour limiter le risque d’appel de la garantie, la BCEAO devra envoyer régulièrement des informations techniques au gouvernement français et des réunions pourront être organisées en tant que de besoin.

De surcroît, en cas de crise, les autorités françaises devront être immédiatement associées aux mesures qui devront être prises ; si la situation le justifie, un représentant français pourra alors faire son retour au sein du comité de politique monétaire de la BCEAO, comme l’a rappelé notre rapporteur.

Le risque que cette dernière manque de disponibilités pour couvrir ses engagements en devises est cependant faible : en plus de soixante années d’existence, cette situation ne s’est présentée qu’une seule fois ; au cours des vingt-cinq dernières années, elle ne s’est jamais produite.

Pour toutes ces raisons, notre groupe ne s’opposera pas à cette évolution, souhaitée par toutes les parties prenantes, et suivra la position de sa commission des finances en votant ce projet de loi.

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