Monsieur le garde des sceaux, lors de votre audition, vous déclariez : « Je ne connais pas de réforme qui ne suscite pas de larges oppositions. » Pour qui s’amuse des joutes oratoires, nous pourrions répondre que c’est logique au regard du proverbe chinois : « Qui réforme souvent déforme. »
Plutôt que de balayer d’un revers de main les oppositions, nous nous sommes attachés à déterminer qui dit quoi, pourquoi, comment, à quel moment et au nom de quelles réalités ou de quels principes. Nous l’avons fait pour répondre à une question simple : « Pourquoi une réforme ? » Nous avons tenté d’y trouver le sens et la légitimité. Prendre une réforme comme seule réponse à un problème posé, c’est se réformer de toute autre action possible.
Nous retenons de ce travail une certaine unanimité sur la nécessité d’une réforme et, pourtant, des blocages importants.
Pour notre part, nous souscrivons au principe de la réforme. Il s’agit de permettre – plusieurs orateurs l’ont indiqué – une meilleure lisibilité d’un corpus législatif amendé près de quarante fois depuis 1945, avec des modifications qui, au fil des années, ont fait perdre en cohérence et en clarté le texte d’origine.
Nous sommes également favorables à une réaffirmation des trois principes de l’ordonnance de 1945 : primauté de l’éducatif sur le répressif, ce qui ne signifie pas pour autant absence de sanction ; spécialisation de la justice des mineurs ; atténuation de la responsabilité en fonction de l’âge.
De même, nous souscrivons aux trois attendus de la réforme : instauration d’une présomption d’irresponsabilité avant 13 ans, qui permet au droit français de se mettre en conformité avec les conventions internationales ; accélération du jugement via une procédure en deux temps, audience de culpabilité, puis audience de sanction avec mise à l’épreuve entre les deux ; volonté de remettre la victime au centre.
Au-delà de ces attendus louables, une analyse plus fine montre que la réforme acte en fait la remise en cause progressive de la philosophie de l’ordonnance de 1945. En effet, peu à peu, du fait des mutations sociales et de la perception du jeune dans la société, l’impératif de la prise en compte de la personnalité des auteurs d’infractions et de leur contexte de vie a été abandonné, en particulier pour les mineurs les plus âgés, et ce au profit de la notion de « trouble de l’ordre public », qui, lui, doit être rétribué par une sanction pénale, avec un abandon progressif de la référence à l’enfant et à son intérêt. La question était à l’origine : « Pourquoi punir ? » Elle devient : « Comment punir ? » La perception est importante sur ce plan.
Cette évolution est particulièrement marquée dans les années 2000. Entre 2001 et 2008, pas moins de huit textes, dont sept de nature législative, se sont traduits par trois tendances lourdes, que l’on retrouve dans votre texte : un renforcement du volet répression ; un alignement progressif sur les textes concernant les adultes ; un renforcement du pouvoir du parquet et de la police en liaison directe avec les autorités politiques locales.
Cette évolution est interrogée par les chiffres. En effet, 93 % des affaires connaissent une réponse pénale s’agissant des mineurs, contre 88 % pour les majeurs. En revanche, 82 % des mineurs incarcérés ne sont pas jugés et relèvent de la détention provisoire. D’où une interrogation sur le renforcement du volet pénal : ne fallait-il pas plutôt se poser la question des moyens consacrés à la justice des mineurs et éviter ces fameux 82 % ?
Cette analyse nous conduit à mettre l’accent sur trois divergences de fond qui justifient nos amendements.
La première est sur la méthode, mais c’est bien une divergence de fond. Ainsi que Mme la rapporteure l’a rappelé, avoir procédé par ordonnance pour un texte aussi important est largement contestable. Si l’on peut comprendre le recours à l’ordonnance dans le contexte de 1945, l’enjeu de ce code pouvait mériter mieux, avec une réflexion beaucoup plus large.
La deuxième divergence tient au fait que, contrairement à ce que vous affirmez, ce texte privilégie – ce n’est peut-être pas le cas dans les attendus, mais cela le sera en pratique – la répression au détriment du temps éducatif, du fait de trois insuffisances. D’abord, si l’objectif est, certes, de raccourcir les délais, ceux qui sont inscrits dans le texte sont des délais indicatifs qui ne sont pas encadrés. Faut-il rappeler que, dans l’ordonnance de 1945, il y avait une obligation que les mesures éducatives soient mises en œuvre dans les cinq jours ? Par conséquent, si le délai n’est pas respecté, c’est qu’il y a des problèmes ailleurs. Ensuite, une place trop large est laissée aux procédures d’exception ne respectant pas la phase éducative, ce qui conduira immanquablement à un durcissement des mesures prononcées et, de fait, à un rapprochement de la justice des mineurs avec celle des majeurs. Enfin, la question des moyens est une vraie question de fond, car elle détermine la crédibilité même de la réforme.
La troisième divergence – elle a été largement soulignée par Mme la rapporteure – concerne la faisabilité matérielle en amont et en aval d’une crise sanitaire qui est venue aggraver les difficultés de la justice des mineurs. Sur ce point, la quasi-totalité des acteurs soulignent les difficultés. Quand la quasi-totalité des acteurs soulignent des difficultés, c’est bien qu’il y a un problème ! Dire que tout sera prêt relève pour nous de la méthode Coué.