Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’état d’urgence sanitaire permet au Gouvernement de mettre en œuvre des restrictions de liberté inégalées dans notre démocratie en temps de paix. Ces restrictions ont des conséquences économiques, sociales, mais aussi psychiatriques très importantes.
Le Parlement autorise le Gouvernement à les mettre en œuvre, mais il ne peut plus faire grand-chose dès lors que les habilitations ont été données. Il nous est demandé de voter, début février, la possibilité de déclarer l’état d’urgence sanitaire et les mesures qui vont avec jusqu’au début du mois de juin, soit pendant quatre mois. Nous ne pouvons pas nous contenter de donner au Gouvernement ce type d’habilitation ; ce n’est pas acceptable.
Il est donc heureux, la majorité de l’Assemblée nationale ne souhaitant pas que le Parlement se prononce en amont sur la mise en place d’un confinement et refusant un contrôle parlementaire effectif des dispositions les plus strictes de l’état d’urgence sanitaire, que la CMP n’ait pas abouti.
Le contexte général, avec l’évolution des variants, est effectivement préoccupant, et ce alors que le début de la campagne de vaccination nous permettait d’espérer sortir de ce cauchemar qui dure depuis maintenant un an.
Sommes-nous franchement plus mauvais que nos voisins ? Je décerne un satisfecit au Gouvernement de n’avoir pas fermé les écoles depuis la rentrée ni instauré d’isolement contraint à la suite d’un test positif, ce qui évite les stratégies d’évitement dévastatrices dans certains pays voisins. La manière dont les jeunes et les étudiants sont traités dans cette crise, cela a été dit, est en revanche un point profondément négatif.
Cette crise témoigne également d’un problème de gouvernance. L’exécutif voudrait confiner le Parlement et le Président de la République, on l’a vu la semaine dernière, confine le Gouvernement. Il décide en effet de tout en conseil de défense, directement avec l’administration, laissant le Premier ministre consulter les chefs de partis sur des sujets différents. C’est un réel problème institutionnel et il faudra réfléchir à intégrer l’état d’urgence dans notre Constitution afin de renforcer le contrôle parlementaire.
Force est de constater que le Sidep n’est pas adéquat pour suivre correctement l’évolution des variants et piloter la situation au plus près des risques, ce qui conduit à imposer à l’ensemble des Français des restrictions de liberté qui pourraient être mieux adaptées et territorialisées. C’était l’objet de certains de nos amendements.
Si l’on impose des privations de liberté aux Français, ceux-ci doivent avoir le sentiment qu’elles sont utiles. Sinon, cela développe l’anxiété et suscite des interrogations sur l’efficacité de l’action publique, non seulement dans le cadre de la crise sanitaire, mais aussi pour gérer demain la sortie de crise. Pour cela, il est besoin de collégialité, de responsabilité, et le Parlement est à cet égard essentiel.
Il serait donc paradoxal, puisque nous voulons que le Parlement joue tout son rôle, de ne pas discuter en nouvelle lecture de ce projet de loi. Nous ne désespérons pas du Sénat, malgré ce qu’il s’est passé cette nuit. Il nous faut débattre pour faire évoluer la position de nos collègues députés en faveur de la défense des libertés publiques.
J’en viens, monsieur le secrétaire d’État, à la fermeture des frontières : c’est un principe général depuis le mois de mars dernier, mais qui a été durci la semaine dernière par le Président de la République. Pourtant, le Conseil d’État est intervenu à plusieurs reprises sur le sujet, répondant à la requête de M. Pierre Ciric, en août, que le droit d’entrer sur le territoire français constitue pour un ressortissant français une liberté fondamentale. Les décisions de la semaine dernière la mettent en brèche. Le Conseil d’État s’est aussi positionné contre le gel de la délivrance des visas de regroupement familial. Pourtant, le Gouvernement continue de faire fi de ses avis.
La décision de vendredi dernier n’est pas une décision sanitaire, monsieur le secrétaire d’État, c’est une décision politique. À défaut de confinement, il fallait annoncer quelque chose à ceux qui crient le plus fort dans l’opposition : la fermeture des frontières ! Mais à qui fermer les frontières ? Pas aux frontaliers… À ceux qui font des tests plusieurs fois par semaine ? Nous ne pouvons pas adopter la même stratégie de défense sanitaire qu’une île, de surcroît sans coordination avec les autres pays européens, ce qui limite la crédibilité de l’ensemble de l’opération.
Si les Français qui vivent hors de France avaient le sentiment qu’il s’agit d’une mesure sanitaire, ils l’accepteraient, mais tel n’est pas le cas. Monsieur le secrétaire d’État, aucun territoire représenté au Sénat n’a perdu 90 000 Français en un an, sauf les Français de l’étranger, fortement frappés par la pandémie. Cela relativise les critiques sur la manière dont celle-ci a été traitée en France, puisque nos concitoyens de l’étranger ont probablement plus souffert ailleurs, mais cela nous interroge aussi sur le besoin de solidarité : il est indispensable de prolonger l’absence de délai de carence pour rentrer en France et avoir droit à l’assurance maladie.
Pour conclure, monsieur le secrétaire d’État : quand le Gouvernement en reviendra-t-il au respect des droits fondamentaux en permettant aux Français de l’étranger de rentrer en France ?