Séance en hémicycle du 4 février 2021 à 14h30

Résumé de la séance

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La séance

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La séance, suspendue à treize heures, est reprise à quatorze heures trente-cinq, sous la présidence de Mme Pascale Gruny.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Madame la présidente, je souhaite rectifier un vote ayant eu lieu le 3 février dernier, lors de l’examen, en deuxième lecture, du projet de loi relatif à la bioéthique.

Lors du scrutin n° 72, portant sur les amendements identiques n° 31 du Gouvernement et 91 rectifié de Mme Laurence Cohen, à l’article 4 bis du projet de loi, notre collègue Marie-Noëlle Lienemann a été enregistrée comme ayant voté pour, alors qu’elle souhaitait ne pas prendre part au vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascale Gruny

Acte vous est donné de cette mise au point, ma chère collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascale Gruny

L’ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture du projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire (projet n° 327, résultat des travaux de la commission n° 337, rapport n° 336).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d’État.

Debut de section - Permalien
Adrien Taquet

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement regrette que l’Assemblée nationale et le Sénat ne soient pas parvenus à un accord en commission mixte paritaire sur ce projet de loi.

Les deux chambres ont pourtant jugé, l’une comme l’autre, que la dégradation de la situation sanitaire justifiait de prolonger les pouvoirs exceptionnels accordés au Gouvernement pour lutter contre l’épidémie de covid-19.

La divergence entre elles réside principalement, d’une part, dans le choix des échéances à fixer pour la prorogation de l’état d’urgence en cours d’application et, d’autre part, dans les modifications de fond à apporter au régime de l’état d’urgence sanitaire, qui nous paraissent davantage relever du projet de loi instituant un régime pérenne de gestion des urgences sanitaires.

Je m’efforcerai de ne pas être trop long dans la mesure où votre commission des lois a déposé une motion tendant à opposer la question préalable au projet de loi, dont le vote aura pour effet de mettre fin à nos débats. Permettez-moi néanmoins de dire quelques mots sur le texte et sur son importance pour la lutte contre l’épidémie.

Grâce à ce texte, nous disposerons, jusqu’au début du mois de juin, des outils indispensables pour freiner l’épidémie – maintien du couvre-feu, obligation du port du masque et limitation des rassemblements –, dans le seul but d’éviter la saturation des services de réanimation. Oui, lutter contre l’épidémie suppose de bouleverser nos habitudes et de restreindre nos libertés. Nous nous en serions évidemment bien passés et ce n’est pas de gaîté de cœur – vous vous en doutez – que l’on demande à ses concitoyens de renoncer, au quotidien, à tout un ensemble d’activités.

J’ai conscience de l’extraordinaire effort que cela demande aux Français depuis maintenant plusieurs mois. Comme secrétaire d’État à la famille, je ne connais que trop la souffrance des jeunes, des parents, des étudiants dans cette période d’incertitudes, face à ces contraintes majeures dans la vie quotidienne, et le souhait de chacun de retrouver sa vie d’avant.

Toutefois, vous le savez, le virus circule toujours activement en France, comme d’ailleurs chez nos voisins européens et ailleurs dans le monde.

Au regard de la dynamique actuelle et de la diffusion progressive des variants sur le territoire national, dont la contagiosité serait plus importante, nous n’avons pas d’autre option que de proroger le régime d’état d’urgence sanitaire.

Au-delà des mesures de police sanitaire, nous renforçons également la stratégie « tester, alerter, protéger », que j’évoquerai en quelques mots.

Les efforts fournis par l’ensemble des professionnels ont permis de faire du système de dépistage français l’un des plus efficaces en Europe.

Ce système repose d’abord sur la gratuité : depuis le 31 janvier 2020, les tests sont totalement gratuits en France, pour tout le monde.

Debut de section - Permalien
Adrien Taquet

C’est unique en Europe, il faut le rappeler. Vous le savez probablement, une personne asymptomatique souhaitant se faire tester doit débourser près de 120 euros en Allemagne et jusqu’à 350 euros au Royaume-Uni.

Notre système repose ensuite sur la proximité. Chacun, qu’il présente des symptômes ou non, qu’il soit cas contact ou non, peut, au moindre doute, se faire tester près de chez lui, dans un laboratoire, chez son pharmacien, chez son médecin, dans un cabinet infirmier ou chez son dentiste. On compte ainsi plus de 12 000 points de test en France, sans compter les entreprises, les écoles et les collectivités territoriales, qui peuvent également mettre en place des opérations de dépistage, ou encore les aéroports, où ont été déployés des centres de test aux départs et aux arrivées. Cette stratégie distingue la France d’autres pays européens, où la question de l’accès aux tests n’est toujours pas réglée.

Notre système de dépistage repose également sur une exigence de rapidité : 94 % des résultats sont désormais transmis en moins de vingt-quatre heures. C’est un résultat très élevé par rapport à nos voisins ; seule l’Espagne s’approche de ce taux. En outre, près d’un tiers de nos tests sont des tests antigéniques, le résultat étant disponible en moins de 30 minutes.

Ce dispositif repose enfin sur la traçabilité, grâce au système d’information national de dépistage populationnel, ou Sidep.

Depuis le début de l’épidémie, les équipes de l’assurance maladie et des agences régionales de santé s’évertuent à retracer les cas contacts dans des délais toujours plus courts et à accompagner les personnes concernées, grâce aux systèmes d’information dont vous avez fixé le cadre en mai dernier, et qui seront prolongés à l’article 4 du présent projet de loi.

Notre plus grand défi consiste désormais à renforcer la compréhension et le respect de l’isolement.

Après un débat transparent, nous avons fait le choix de la confiance, en ne nous orientant pas vers un système d’obligation et de contrôle, préférant renforcer significativement l’accompagnement des personnes isolées.

Pour ce faire, nous supprimons tout obstacle financier à un isolement effectif et immédiat. Depuis le 10 janvier dernier, toute personne étant testée positive, ayant des symptômes ou étant cas contact peut se déclarer, éventuellement avant même d’avoir fait un test, sur le site de l’assurance maladie pour obtenir un arrêt de travail immédiat et être indemnisée dès le premier jour, sans jour de carence.

Nous avons également renforcé le télésuivi à domicile : depuis fin janvier, toute personne isolée est appelée au minimum deux fois par l’assurance maladie et davantage encore pour les personnes vulnérables.

Enfin, chaque personne isolée se verra proposer la visite à domicile d’un infirmier, via les cellules territoriales d’appui à l’isolement mises en place par les préfectures, en lien avec les collectivités territoriales. Près de 20 000 visites d’infirmières ont déjà eu lieu.

Nous avons ainsi significativement renforcé le dispositif de suivi, de prise en charge et d’accompagnement des personnes touchées par la covid-19. Les questions de police sanitaire, sur lesquelles, dans cet hémicycle, nos débats se concentrent à chaque nouveau projet de loi, ne doivent donc pas masquer l’ensemble des mesures d’accompagnement de la situation sanitaire prises en faveur des Français au quotidien, afin d’assurer leur santé dans les meilleures conditions.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie des travaux conduits depuis bientôt un an sur ce sujet ; le Gouvernement comprend tant la lassitude qui peut naître de la prorogation fréquente de l’état d’urgence sanitaire que le souci qui vous guide de mieux encadrer ce régime, lequel doit rester un régime d’exception.

J’en entends certains déplorer un déficit démocratique dans la gestion de la crise sanitaire. Pourtant, dans le respect des missions qui incombent à chacune de nos institutions, le Sénat et l’Assemblée nationale participent très régulièrement et très activement au contrôle de l’action du Gouvernement, pour gérer l’urgence sanitaire depuis le début de l’épidémie. Ainsi, je le rappelle, depuis fin mars 2020 – autrement dit, en seulement dix mois –, nous avons débattu de six projets de loi, qui ont fait l’objet de plus de 3 400 amendements, discutés un par un, pendant plus de 160 heures de débats en séance, réparties en une vingtaine de lectures différentes.

Par ailleurs, douze débats thématiques ont été organisés en séance, afin de discuter de points précis de la gestion de la crise sanitaire, notamment les masques, le déconfinement ou encore l’application StopCovid, et cela ne concerne que le travail du Parlement strictement lié à l’épidémie de covid-19 ; cela n’inclut donc pas les très nombreux travaux des deux chambres concernant les différentes dimensions de la crise, afin de contrôler l’action du Gouvernement et de formuler des propositions.

Le Sénat y a pris pleinement sa part, dès le début et jusqu’à ce jour, et, même si nous avons eu et avons toujours quelques divergences, vous avez directement contribué à l’édifice juridique qui guide notre action et vous participez, par votre vigilance, au bon fonctionnement de nos institutions en ces temps difficiles.

Je rappelle également que l’action du Gouvernement demeure directement soumise au contrôle du juge et que des centaines de référés d’urgence ont été formés et examinés par le Conseil d’État depuis le début de la crise ; ces référés ont conduit, chaque fois que le juge l’avait demandé, à faire évoluer notre réponse pour faire en sorte qu’elle soit le plus proportionnée possible aux risques sanitaires encourus.

Au total, malgré des circonstances exceptionnelles, nous avons contribué ensemble à assurer un fonctionnement plein et entier de notre démocratie en ces temps de crise. Même si un désaccord, de l’ordre de quelques semaines, subsiste entre nous sur l’échéance appropriée pour la nouvelle prorogation de l’état d’urgence sanitaire, il demeure que vous aurez à nouveau à vous prononcer dans les trois prochains mois sur ce sujet, si la crise devait appeler des mesures de prévention au-delà du 1er juin prochain.

En tout cas, soyez-en assurés, le Gouvernement souhaite tout comme vous sortir de ce régime d’état d’urgence ; simplement, aujourd’hui, nous ne pouvons pas nous priver d’outils pour lutter contre le virus ; je pense qu’il s’agit là d’un principe général que nous partageons.

Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, une motion tendant à opposer la question préalable a été déposée sur ce texte. J’aurai l’occasion d’y revenir, mais je veux d’ores et déjà vous dire pourquoi.

D’abord, vous l’avez dit, monsieur le secrétaire d’État, nous pensons, comme vous, que la situation sanitaire justifie malheureusement la prolongation de l’état d’urgence sanitaire. La loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, qui a créé temporairement ce régime, exige un vote du Parlement si l’on le veut prolonger.

Comme cette prolongation a de fortes probabilités de devoir courir au-delà de l’échéance de la loi précitée, qui n’autorise le régime exceptionnel de l’état d’urgence sanitaire que pendant un an, il va falloir aussi prolonger ce régime temporaire lui-même.

Il y a en effet un double système : des pouvoirs exceptionnels rendus disponibles par la loi du 23 mars 2020, mais seulement pendant un an, et l’activation de ces pouvoirs, si l’on en a besoin durant cette période. Vous l’avez vu, ces pouvoirs ont été utilisés de mars à mai 2020 ; puis on est entré dans une période de sortie de l’état d’urgence sanitaire ; puis, à la fin de l’été, on est sorti complètement de l’activation du régime d’état d’urgence sanitaire ; puis ce dernier a été rétabli par décret ; puis, au-delà des premières mesures, il a fallu, de l’avis du Gouvernement, mettre en œuvre, le 29 octobre dernier, un confinement, suivi d’un couvre-feu.

Nous avons donc à agir sur les deux volets : la prolongation du régime et la prolongation de l’état d’urgence sanitaire, qui permet le couvre-feu actuel.

Je n’ai pas de doute, en ce qui me concerne : la situation sanitaire interdit de baisser la garde aujourd’hui ; il faut donc prolonger l’état d’urgence sanitaire.

Néanmoins, nous ne sommes pas dans la même situation qu’en octobre dernier, quand un reconfinement avait été décidé par le Gouvernement. J’ai examiné avec soin les chiffres. Certes, le niveau des contaminations est élevé – on dénombre plus de 100 000 tests positifs par semaine – ; certes, le nombre d’hospitalisations est élevé ; certes, le nombre d’entrées en réanimation est élevé ; certes, le nombre de décès est, hélas, élevé ; mais il y a tout de même une grande différence par rapport à la fin du mois d’octobre dernier : d’une semaine à l’autre, si l’on considère les deux dernières semaines de janvier, il n’y a pas eu une explosion du nombre de contaminations, alors qu’il y en avait eu une – un quasi-doublement – à la fin du mois d’octobre dernier.

Ainsi, aujourd’hui, nous affirmons que, si nous acceptons de reconduire l’état d’urgence sanitaire et de prolonger jusqu’au 31 décembre le régime de l’état d’urgence sanitaire, qui devait prendre fin le 1er avril prochain, afin qu’il puisse être activé en cas de besoin tout au long de cette année, nous ne sommes pas d’accord pour consentir par avance à un troisième confinement.

Le confinement fait bien partie des pouvoirs d’action que la loi du 23 mars 2020 attribue au Gouvernement. Toutefois, ce que nous souhaitons, si par malheur un jour ce troisième confinement devait avoir lieu, c’est que le Gouvernement puisse bien évidemment le déclencher – c’est sa responsabilité –, mais qu’il ne puisse pas l’imposer pour une durée de plus de trente jours sans que le Parlement l’y autorise par la loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

En effet, le confinement a un effet exorbitant sur la vie sociale et affecte profondément le psychisme de nombreux Français, mettant de ce fait en péril la vie de nombre de nos compatriotes. Ce n’est donc pas à la légère qu’il peut être prolongé s’il est un jour décidé de l’instaurer.

En mars dernier, le confinement avait été accepté par défaut, souvenons-nous-en bien. Il n’y avait alors pas de masque ni même, d’ailleurs, de doctrine d’emploi des masques ; pas de tests de dépistage ; pas de système national d’information permettant de remonter les filières de contamination et de prévenir les personnes ayant été exposées à un risque de contamination ; pas de diffusion dans la société des gestes barrières, qui nous sont malheureusement devenus si naturels. Par conséquent, le confinement a été décidé par défaut. C’était le moyen le plus brutal, le plus rustique, de couper toutes les contaminations, en interdisant toute interaction entre les Français.

Ce qui a été accepté en mars, dans ces circonstances, ne peut plus l’être de la même manière dans la période que nous connaissons : nous avons des masques, des tests, un système national d’information, des gestes barrières relativement bien appliqués et des disciplines individuelles et collectives. Si tous ces moyens combinés ne sont pas mis en œuvre de manière efficace, alors il y a lieu de s’interroger sur l’efficience de la politique de santé de ce pays. En tout cas, les Français n’ont pas à en faire les frais par un confinement qui comporte trop d’inconvénients.

C’est exactement la raison pour laquelle, alors que ce n’était pas prévu pour le premier reconfinement, nous avons indiqué au Gouvernement dès octobre dernier, et nous le refaisons maintenant, monsieur le secrétaire d’État, que, si le Président de la République décidait d’un nouveau confinement, nous demanderions – je dirai même plus : nous exigerons – que ce confinement ne puisse se poursuivre au-delà de trente jours sans l’autorisation du Parlement.

Qu’est-ce qui vous gêne, monsieur le secrétaire d’État ? Le Parlement s’est-il montré une seule fois irresponsable dans la gestion de cette crise sanitaire ? N’a-t-il pas accompagné, pas à pas, les efforts, parfois chaotiques, du Gouvernement pour protéger les Français ? Nous l’avons toujours fait ! Le Sénat, le premier, sait prendre ses responsabilités.

Simplement, nous ne voulons pas vous signer un chèque en blanc, de même que nous ne vous donnons pas quitus de la gestion de cette crise sanitaire, compte tenu de toutes les difficultés que vous avez rencontrées, que vous avez, du mieux que vous pouviez, sans doute, essayé de surmonter, mais aussi d’un certain nombre d’erreurs et d’errements que vous avez commis.

Nous aurions pu nous entendre avec l’Assemblée nationale ; nous aurions pu trouver la bonne durée de la prolongation de l’état d’urgence sanitaire, le bon équilibre. Nous étions d’ailleurs tout près d’aboutir et – permettez-moi de vous le dire – j’ai senti que les députés étaient près de le faire, mais ils en ont été empêchés, car le Gouvernement n’a pas voulu se soumettre au vote du Parlement s’il décidait de renouveler le confinement. C’est très décevant, car vous avez perdu l’occasion de rassembler la représentation nationale autour de principes simples, qui sont définis non dans l’intérêt du Parlement, mais dans celui de nos concitoyens, lesquels ne peuvent pas consentir de nouveaux sacrifices s’ils ne sont pas défendus par le Parlement.

Voilà, madame la présidente, ce que je voulais dire. Je m’achemine rapidement vers la conclusion de mon propos : je souhaite exprimer ma déception au Gouvernement et souligner la volonté du Sénat de faire respecter les principes fondamentaux de la séparation des pouvoirs et de la démocratie.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, après l’échec de la commission mixte paritaire, nous voici de nouveau appelés à examiner ce texte. De nombreuses remarques, très critiques, ont déjà été faites à son sujet lors de la précédente lecture. Il est néanmoins important de revenir sur certains points.

Nous contestons fermement l’utilité d’un état d’urgence pour lutter efficacement contre la covid-19 et nous regrettons la gestion solitaire et verticale de cette crise par le Gouvernement. Nous renouvelons ainsi notre souhait d’être mieux associés à la prise de décision et nous demandons au Gouvernement plus de transparence sur sa stratégie, notamment en ce qui concerne un éventuel troisième confinement.

Nous ne pouvons cautionner les coups de canif réguliers donnés par ce gouvernement aux pouvoirs du Parlement, au moyen de ce régime d’exception ; je pense notamment à l’arrêt de la mission d’information sur la covid-19, décidée par la majorité La République En Marche de l’Assemblée nationale.

Au-delà de ces murs, écoutons les Français !

Nous entendons, au quotidien, la détresse des étudiants. Isolés, déprimés et en proie à la précarisation, ils se sentent piégés par cette crise qui semble ne pas prendre fin. Les files d’attente pour recevoir l’aide alimentaire s’allongent au fur et à mesure que la crise se prolonge.

Écoutons nos départements, qui pallient comme ils le peuvent la détresse sociale sournoise qui s’installe plus encore chaque jour dans certains foyers. Écoutons notre personnel de santé, qui demande lui aussi, et depuis des années, des mesures fortes. Ils ont besoin non pas de mesures autoritaires, mais de moyens financiers, matériels et humains. Écoutons nos commerçants, au premier rang desquels les restaurateurs, les cafetiers. Écoutons également les acteurs du monde de la culture. Ces femmes et ces hommes se sentent asphyxiés par l’état de léthargie économique et sociale dans lequel est plongé notre pays depuis bientôt un an.

Ne nous contentons pas de faire ici la loi, sans entendre ce que provoque cette crise sur le plan humain, car si nous souhaitons tous lutter contre la covid-19, nous ne serons entendus par les Français que si nous prenons en compte leur détresse.

Ce projet de loi accroît le risque d’accoutumance à un régime d’exception, symbole d’un Gouvernement qui ne se soucie pas du rôle du Parlement et ne prend pas en compte les attentes de la population.

Pour ces raisons, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, comme en première lecture, votera contre ce projet de loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Thani Mohamed Soilihi

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la commission mixte paritaire, réunie le 28 janvier, n’est pas parvenue à un accord sur ce texte. Cet échec est regrettable, car nous nous rejoignions pourtant sur de nombreux points - « l’essentiel », aviez-vous alors dit, monsieur le rapporteur -, ce qui laissait légitimement croire à la conclusion d’un compromis acceptable sur l’ensemble de ces travées.

Nous étions d’accord sur la nécessité de proroger l’état d’urgence actuellement en vigueur, compte tenu de la situation sanitaire. La prorogation de son régime jusqu’au 31 décembre 2021, construit, je le rappelle, de manière transpartisane et bicamérale en mars 2020, ne faisait pas non plus débat. La suppression de la mise en place d’un régime transitoire jusqu’au 30 septembre 2021, qui avançait la clause de revoyure au 1er juin, avait également été saluée par le Sénat lors de l’examen en première lecture. Enfin, les deux chambres s’étaient entendues pour ramener le terme de cet état d’urgence au 16 mai.

Notre divergence s’est finalement cristallisée sur un seul point, non des moindres certes, puisqu’il s’agit de la mesure la plus sévère pour les libertés : le confinement. Le Sénat demandait que, en cas de reconfinement généralisé, celui-ci ne puisse être prolongé au-delà d’un mois sans autorisation du Parlement.

Cette inscription dans la loi n’est pas compatible avec le contexte sanitaire, qui nécessite d’ajuster en permanence les mesures nécessaires pour faire face à un virus imprévisible. Elle impliquerait, en effet, la rédaction d’un projet de loi de prolongation d’un confinement deux à trois semaines après le début de ce dernier, alors même que les effets de la mesure et l’évolution de l’épidémie ne seraient pas connus avec certitude.

C’est pourquoi l’Assemblée nationale, dans une réelle volonté d’aboutir, a proposé la tenue d’un débat suivi d’un vote sur le fondement de l’article 50-1 de la Constitution au bout de six semaines de confinement. Le Premier ministre lui-même s’est engagé en ce sens. Cette solution présentait, à mon sens, l’avantage de la souplesse, dont nous avons terriblement besoin dans une période comme celle-ci.

Cette proposition constructive n’a pas recueilli votre assentiment, monsieur le rapporteur, au motif que le Gouvernement resterait constitutionnellement libre d’organiser ou non ce débat, de demander ou non un vote, ou encore que l’objet du vote pourrait être dévoyé. Je ne partage pas cette défiance à l’égard du Gouvernement. La mise en place et la prolongation de ces mesures restrictives de libertés ont toujours été justifiées par la situation sanitaire.

Nous sommes tous très attachés à la démocratie et à son exercice. D’ailleurs, le Parlement dispose de nombreux moyens de contrôle de l’action du Gouvernement et, heureusement, ne se prive pas de les utiliser. Outre la commission d’enquête constituée à l’issue de la première vague, la commission des lois du Sénat a créé, dès le 25 mars 2020, une mission de suivi pluraliste sur les mesures liées à l’épidémie de covid-19, qui a donné lieu à trois rapports d’étape successifs.

Il est, en outre, toujours possible de saisir le juge administratif en référé, si l’on estime que les mesures prises ne sont pas nécessaires et proportionnées, ou appropriées aux circonstances. Certains décrets ont d’ailleurs fait l’objet de nombreux recours devant le Conseil d’État.

Cette occasion manquée a conduit l’Assemblée nationale à rétablir le texte tel qu’elle l’avait voté en première lecture, en ne retenant que deux amendements du Sénat. Le groupe RDPI considère que cette version est équilibrée et qu’elle permettra au Gouvernement d’agir de manière efficace et proportionnée dans cette crise sanitaire sans précédent, et de s’adapter à ses évolutions.

Nous aurions souhaité que le débat se poursuive. C’est la raison pour laquelle nous voterons résolument contre la motion tendant à opposer la question préalable.

Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et SER.

Debut de section - PermalienPhoto de Maryse Carrère

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis le rétablissement à la mi-octobre de l’état d’urgence sanitaire et des mesures de restriction qui en découlent, la situation demeure particulièrement fragile et sans amélioration décisive. Cependant, cela ne doit en rien altérer notre détermination, et encore moins notre capacité à agir ensemble.

Pour cette raison, je regrette que nos deux chambres n’aient pas pu s’entendre sur un sujet si grave. L’échec de la CMP est d’autant plus regrettable que nous étions d’accord sur les principales dispositions du texte et sur le principe même de la prorogation de l’état d’urgence sanitaire. C’est encore une fois une occasion manquée d’affirmer une unité nationale, pourtant indispensable dans cette période de crise.

Néanmoins, il semble que l’idée d’un contrôle parlementaire du confinement ait fini par convaincre, dans un sens toutefois inattendu. En effet, le Premier ministre a annoncé la semaine dernière que, dans l’hypothèse où un reconfinement devrait être décidé, le Parlement serait consulté. C’est un premier pas, certes tout en retenue, mais autant s’en réjouir.

Alors que le contrôle parlementaire du confinement que propose le Sénat est systématiquement rejeté, pourquoi lui donner l’apparence artificielle d’une décision consensuelle ? Le modèle républicain a ses principes auxquels le groupe du RDSE est vigoureusement attaché : le Parlement n’est pas un organe consultatif que le Gouvernement pourrait solliciter à sa guise entre deux tirages au sort. Quoi qu’il en soit, espérons que ces désaccords n’écornent pas durablement l’image de nos institutions, alors que la collaboration en toute transparence des pouvoirs est plus que jamais nécessaire en cette période de crise aiguë.

Malgré ces regrets, la multiplication des textes liés à la crise sanitaire doit au moins être l’occasion de mettre la lumière sur les secteurs les plus sinistrés de notre société, dont la liste reste bien trop longue.

Notre attention a ainsi été portée ces dernières semaines à très juste titre sur la précarité étudiante. Par ailleurs, les restaurateurs se mobilisent pour ne pas s’enliser, conjurer leur désespoir parfois et ne pas être oubliés. Nous pourrions en dire autant du secteur des soins à domicile, qui souffre alors que ses acteurs sont essentiels à notre système de santé. Je pense également aux acteurs de la vie culturelle et de l’événementiel, secteurs particulièrement touchés par la propagation du virus. Le spectacle vivant subit des conséquences d’autant plus inédites qu’elles perdurent et que nous peinons à savoir quand ces activités pourront reprendre.

Plus largement, le milieu associatif est frappé de plein fouet par cette mise en sommeil des activités. Nous le voyons bien, les corps intermédiaires de la société, pourtant indispensables pour faire le lien social, sont contraints au silence, ce qui aggrave l’isolement et l’essoufflement mental de nos concitoyens. En ce sens, je citerai Édouard Laboulaye, qui soulignait, voilà un siècle et demi, le caractère essentiel du monde associatif pour la société : « c’est l’association, écrivait-il, qui, dans les pays libres, débarrasse l’État d’une foule de soins qui ne le regardent pas ; c’est elle qui relie les individus isolés et multiplie les forces en les réunissant ».

Certes, la question sanitaire doit évidemment demeurer la priorité, mais rien n’empêche d’élargir le prisme. Comment, pendant cette pandémie, imaginer les moyens de se réunir, de s’associer, de délibérer, de s’entraider et de se cultiver ? S’il est à craindre que la crise ne soit pas seulement un mauvais moment à passer, si elle devait durer, comme cela semble être le cas, il est impératif de trouver des solutions pour pallier cette disparition du lien social et culturel, qui contribue aussi à ce que nous formions une Nation.

Ainsi, dans la tradition du groupe RDSE, comme en première lecture, nous voterons contre la motion tendant à opposer la question préalable, convaincus que nous devrions poursuivre nos débats, ne serait-ce que pour montrer à nos concitoyens que nous sommes là pour continuer à les représenter et à leur offrir des alternatives démocratiques en toute responsabilité.

Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, une nouvelle fois, un état d’exception, dont la mise en œuvre est aux seules mains d’un exécutif de plus en plus restreint, va être prolongé pour une longue période, sans même un contrôle régulier et réel du Parlement.

La répétition de ces lois de prorogation - nous en sommes à la septième - peut banaliser cette atteinte sans précédent du fonctionnement démocratique de nos institutions, cette atteinte à des principes fondateurs de la République, comme le principe d’aller et venir, la liberté de réunion et bien d’autres.

Bien entendu, l’urgence, la violence de la crise que nous vivons sont d’un niveau de gravité considérable, que nous estimons à sa juste mesure, monsieur le secrétaire d’État. Nous sommes parfaitement responsables par notre opposition résolue à l’état d’urgence sanitaire, car nous estimons depuis le début de la crise que la démocratie, la mobilisation des institutions nationales et locales, l’intervention citoyenne sont des leviers irremplaçables pour agir contre la pandémie de la covid-19. Nous sommes responsables, lucides, car nous constatons que la concentration du pouvoir, son exercice volontaire ne conduisent pas à prendre les bonnes décisions.

Je ne reviendrai pas, monsieur le secrétaire d’État, sur le déroulé de la crise, qui met cruellement en lumière mon affirmation. Je dirai tout de même un mot sur les vaccins, car lors de notre débat en première lecture, le ministre Olivier Véran a contesté, de manière péremptoire, le retard que je décrivais. L’aplomb ne suffit pas et, comme il me l’a indiqué, il faut être factuel : combien de personnes sont-elles réellement vaccinées, combien ont-elles reçu leur rappel ? Pourquoi ce retard par rapport à nombre de nos voisins ?

Sur le plan de la démocratie toujours, pourquoi ne pas avoir eu un véritable débat quand il le fallait, au printemps dernier, sur la stratégie vaccinale et les moyens industriels à lui consacrer, afin de ne pas avoir tristement à constater aujourd’hui que notre pays n’a pu créer de vaccin et qu’il doit se résoudre à embouteiller ceux d’autres grandes multinationales de l’industrie pharmaceutique ?

Oui, nous considérons que l’état d’urgence sanitaire, le dessaisissement du Parlement ont un effet contraire à l’objectif affiché. Un an après le démarrage de l’épidémie, il faut passer à l’état d’urgence démocratique. La séquence étrange que nous avons vécue depuis quelques jours nous convainc définitivement de la nécessité de réorganiser l’action en profondeur.

Après de multiples épisodes de communication gouvernementale préfigurant un reconfinement, au motif que le couvre-feu aurait des effets limités, après une réunion avec le Premier ministre jeudi dernier, alors que les chiffres et les commentaires pessimistes ne laissaient guère de doute sur l’issue, le Président de la République a réuni vendredi en fin d’après-midi son officine, le conseil de défense. C’est le Premier ministre qui, de manière précipitée, est apparu pour donner lecture de la décision présidentielle, laquelle a visiblement pris beaucoup de monde à contrepied.

Soyons clairs, monsieur le secrétaire d’État, je ne me prononce pas ici sur le bien-fondé ou non d’un reconfinement. Ce que je conteste, ce sont les conditions de la prise de décision, l’absence de transparence sur les données qui ont conduit à une décision que les chiffres fournis le jeudi ne pouvaient certainement pas justifier.

Pourquoi le Parlement, mes chers collègues, la représentation du peuple, ne retrouve-t-il pas ses pleins pouvoirs ? Allons-nous longtemps subir l’avalanche de décisions dont la cohérence ne s’est toujours pas manifestée ? Allons-nous subir encore longtemps la gouvernance de la crise par un seul homme ?

Je l’ai dit lors de l’examen du texte en première lecture et je le répète, la crise est toujours là, peut-être plus menaçante encore, mais nous ne sommes plus dans l’urgence. Le Parlement peut décider. Il peut siéger jour et nuit pour voter la loi. Il faut maintenant mettre fin à l’état d’urgence, apprendre à vivre démocratiquement avec le virus, sans relâcher les efforts collectifs pour l’éradiquer.

Être cohérent, c’est refuser le principe même de l’état d’urgence sanitaire et donner les moyens à la démocratie de combattre efficacement la pandémie. C’est par cohérence avec ce refus que nous nous abstiendrons sur la motion tendant à opposer la question préalable de la majorité sénatoriale, qui met en scène un désaccord alors qu’elle soutient, comme le Gouvernement, le principe même de la prorogation d’un état d’exception.

Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascale Gruny

Mme le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère.

Applaudissements sur les travées du groupe UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bonnecarrere

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le groupe Union Centriste est favorable à la motion tendant à opposer la question préalable : nous sommes peu convaincus par cette douzième décision visant à proclamer l’état d’urgence en cinq ans et demi. Nous avons pris acte, avec l’échec de la CMP, du fait que le Gouvernement voulait un chèque en blanc. Nous n’acceptons pas la logique du « donnez-moi les pouvoirs et je vous dirai après ce que j’en ferai ».

Nous partageons complètement, monsieur le rapporteur, cher Philippe Bas, l’argumentation que vous avez développée sur la situation sanitaire, mais aussi sur les différences entre mars 2020 et février 2021. La situation sanitaire et, surtout, les moyens dont nous disposons pour y faire face, sont différents aujourd’hui. L’état de la société, sa capacité de résilience ont également changé. Les conséquences économiques, sociales, psychologiques qui résulteraient d’un confinement seraient différentes cette fois-ci.

À notre sens, tout confinement devrait être soumis au Parlement, a fortiori sa prolongation au-delà d’un mois, comme vous l’avez indiqué, Philippe Bas, au nom de la commission.

Nous considérons, pour le bon fonctionnement de nos institutions, pour que chacun prenne ses responsabilités, et tout simplement pour l’acceptabilité des mesures sociales, sanitaires par nos concitoyens, que l’intervention du Parlement est nécessaire. Plutôt que l’état d’urgence, nous préférerions l’examen en urgence des mesures sanitaires souhaitées par le Gouvernement. À cet égard, je me retrouve assez dans les propos de Mme Assassi.

De la même manière, nous ne sommes pas enthousiastes à l’idée d’un débat au titre de l’article 50-1 de la Constitution, au cours duquel le Gouvernement nous présenterait une politique générale, ferait des déclarations purement consultatives, dépourvues de caractère normatif, sans demander l’autorisation de prendre telle ou telle mesure, sans même définir d’ailleurs quelles seraient ces mesures.

Il nous semble que le Parlement devrait normalement être consulté en cette matière. C’est en particulier le rôle du Sénat, gardien des libertés, d’une France des territoires, garant tout simplement d’une efficacité prenant appui sur l’équilibre des pouvoirs.

Nous avons, et nous l’apprécions, une Constitution présidentielle. Elle l’est devenue plus encore avec le quinquennat et l’inversion du calendrier électoral, qui produit une majorité à l’Assemblée nationale tenant sa légitimité du Président de la République. Elle nous semble aujourd’hui basculer dans l’excès, du fait de la pratique qui en est faite, à travers le conseil de défense, et surtout d’un état d’urgence semi-continu. Dit autrement, l’exécutif nous semble aller trop loin : nous ne pensons pas que la proposition qui nous est faite puisse rendre service à nos concitoyens ou leur être utile.

L’efficacité sanitaire tient beaucoup à l’acceptabilité sociale des mesures, laquelle passe par une décision partagée. Tout ne peut pas être décidé de manière verticale dans ce pays, en particulier pour lutter contre la pandémie. Le Parlement et nos concitoyens sont aptes à comprendre les enjeux sanitaires. Il est paradoxal, chers collègues, de faire appel à l’esprit de responsabilité des Français et, en même temps, de refuser de consulter ses représentants sur les mesures sanitaires.

En conclusion, autorisez-nous une proposition : la crise sanitaire, si vous me permettez cette formule, écrase dans les esprits la crise économique, sociale, financière, culturelle, psychologique. Notre groupe souhaiterait que le travail sur l’après-covid-19 puisse démarrer dès maintenant. Non pas que nous sous-estimions la gravité de la situation actuelle, non pas que nous pensions en être sortis, mais nous considérons que cette crise sera gérée d’autant plus facilement avec nos concitoyens que ceux-ci auront une vision de l’après-covid, de l’après-« quoi qu’il en coûte ». La meilleure manière d’avoir cette vision, c’est bien sûr de la préparer, de l’anticiper. Aussi proposons-nous d’entamer un travail avec l’exécutif sur l’après-covid-19.

Telles sont les raisons pour lesquelles, vous l’aurez compris, le groupe Union Centriste est clairement favorable à la motion tendant à opposer la question préalable déposée par la commission des lois.

Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascale Gruny

Mme le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.

Applaudissements sur les travées du groupe SER.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’état d’urgence sanitaire permet au Gouvernement de mettre en œuvre des restrictions de liberté inégalées dans notre démocratie en temps de paix. Ces restrictions ont des conséquences économiques, sociales, mais aussi psychiatriques très importantes.

Le Parlement autorise le Gouvernement à les mettre en œuvre, mais il ne peut plus faire grand-chose dès lors que les habilitations ont été données. Il nous est demandé de voter, début février, la possibilité de déclarer l’état d’urgence sanitaire et les mesures qui vont avec jusqu’au début du mois de juin, soit pendant quatre mois. Nous ne pouvons pas nous contenter de donner au Gouvernement ce type d’habilitation ; ce n’est pas acceptable.

Il est donc heureux, la majorité de l’Assemblée nationale ne souhaitant pas que le Parlement se prononce en amont sur la mise en place d’un confinement et refusant un contrôle parlementaire effectif des dispositions les plus strictes de l’état d’urgence sanitaire, que la CMP n’ait pas abouti.

Le contexte général, avec l’évolution des variants, est effectivement préoccupant, et ce alors que le début de la campagne de vaccination nous permettait d’espérer sortir de ce cauchemar qui dure depuis maintenant un an.

Sommes-nous franchement plus mauvais que nos voisins ? Je décerne un satisfecit au Gouvernement de n’avoir pas fermé les écoles depuis la rentrée ni instauré d’isolement contraint à la suite d’un test positif, ce qui évite les stratégies d’évitement dévastatrices dans certains pays voisins. La manière dont les jeunes et les étudiants sont traités dans cette crise, cela a été dit, est en revanche un point profondément négatif.

Cette crise témoigne également d’un problème de gouvernance. L’exécutif voudrait confiner le Parlement et le Président de la République, on l’a vu la semaine dernière, confine le Gouvernement. Il décide en effet de tout en conseil de défense, directement avec l’administration, laissant le Premier ministre consulter les chefs de partis sur des sujets différents. C’est un réel problème institutionnel et il faudra réfléchir à intégrer l’état d’urgence dans notre Constitution afin de renforcer le contrôle parlementaire.

Force est de constater que le Sidep n’est pas adéquat pour suivre correctement l’évolution des variants et piloter la situation au plus près des risques, ce qui conduit à imposer à l’ensemble des Français des restrictions de liberté qui pourraient être mieux adaptées et territorialisées. C’était l’objet de certains de nos amendements.

Si l’on impose des privations de liberté aux Français, ceux-ci doivent avoir le sentiment qu’elles sont utiles. Sinon, cela développe l’anxiété et suscite des interrogations sur l’efficacité de l’action publique, non seulement dans le cadre de la crise sanitaire, mais aussi pour gérer demain la sortie de crise. Pour cela, il est besoin de collégialité, de responsabilité, et le Parlement est à cet égard essentiel.

Il serait donc paradoxal, puisque nous voulons que le Parlement joue tout son rôle, de ne pas discuter en nouvelle lecture de ce projet de loi. Nous ne désespérons pas du Sénat, malgré ce qu’il s’est passé cette nuit. Il nous faut débattre pour faire évoluer la position de nos collègues députés en faveur de la défense des libertés publiques.

J’en viens, monsieur le secrétaire d’État, à la fermeture des frontières : c’est un principe général depuis le mois de mars dernier, mais qui a été durci la semaine dernière par le Président de la République. Pourtant, le Conseil d’État est intervenu à plusieurs reprises sur le sujet, répondant à la requête de M. Pierre Ciric, en août, que le droit d’entrer sur le territoire français constitue pour un ressortissant français une liberté fondamentale. Les décisions de la semaine dernière la mettent en brèche. Le Conseil d’État s’est aussi positionné contre le gel de la délivrance des visas de regroupement familial. Pourtant, le Gouvernement continue de faire fi de ses avis.

La décision de vendredi dernier n’est pas une décision sanitaire, monsieur le secrétaire d’État, c’est une décision politique. À défaut de confinement, il fallait annoncer quelque chose à ceux qui crient le plus fort dans l’opposition : la fermeture des frontières ! Mais à qui fermer les frontières ? Pas aux frontaliers… À ceux qui font des tests plusieurs fois par semaine ? Nous ne pouvons pas adopter la même stratégie de défense sanitaire qu’une île, de surcroît sans coordination avec les autres pays européens, ce qui limite la crédibilité de l’ensemble de l’opération.

Si les Français qui vivent hors de France avaient le sentiment qu’il s’agit d’une mesure sanitaire, ils l’accepteraient, mais tel n’est pas le cas. Monsieur le secrétaire d’État, aucun territoire représenté au Sénat n’a perdu 90 000 Français en un an, sauf les Français de l’étranger, fortement frappés par la pandémie. Cela relativise les critiques sur la manière dont celle-ci a été traitée en France, puisque nos concitoyens de l’étranger ont probablement plus souffert ailleurs, mais cela nous interroge aussi sur le besoin de solidarité : il est indispensable de prolonger l’absence de délai de carence pour rentrer en France et avoir droit à l’assurance maladie.

Pour conclure, monsieur le secrétaire d’État : quand le Gouvernement en reviendra-t-il au respect des droits fondamentaux en permettant aux Français de l’étranger de rentrer en France ?

Applaudissements sur les travées du groupe SER.

Debut de section - PermalienPhoto de Vanina Paoli-Gagin

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’évolution de la situation sanitaire est de plus en plus incertaine depuis l’examen en première lecture du projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire. Vendredi dernier, le Premier ministre, en accord avec le Président de la République, a ainsi été conduit à prendre des mesures plus strictes pour s’adapter à cette évolution, tout en évitant un nouveau confinement national de la population.

Dans ce nouveau contexte, et alors que le personnel soignant a besoin de notre soutien total, tout doit être mis en œuvre pour améliorer rapidement la situation sanitaire, limiter le nombre de décès et sortir au plus vite de la crise.

La commission mixte paritaire, qui s’est réunie le 28 janvier, a permis d’acter la convergence de nos deux assemblées sur la nécessité de donner au Gouvernement les marges de manœuvre indispensables pour faire face à une situation désormais critique, sans toutefois s’accorder sur l’ensemble des dispositions restant en discussion. Ainsi n’a-t-elle pas été en mesure de proposer un texte commun. À l’instar de certains de mes collègues qui se sont exprimés avant moi, je le regrette vivement.

Le principal désaccord portait sur l’exigence d’un contrôle démocratique du Parlement. Ce contrôle est pourtant le nécessaire corollaire des restrictions imposées à nos concitoyens. Au moment où les Français supportent avec de plus en plus de difficultés les contraintes liées à la gravité du contexte économique et la rigueur disciplinaire imposée par l’état d’urgence sanitaire, il est de notre devoir de contrôler si la prolongation des mesures prises au-delà d’une certaine date reste pleinement justifiée par la situation sanitaire.

Ainsi, la demande du Sénat, par la voix de notre rapporteur et collègue Philippe Bas, dont je salue la qualité des travaux, …

Debut de section - PermalienPhoto de Vanina Paoli-Gagin

… me semble fondée : d’une part, ne pas prolonger l’état d’urgence sanitaire au-delà du mois de mai sans l’adoption d’une nouvelle loi par le Parlement ; d’autre part, soumettre la durée d’un confinement lorsqu’elle est supérieure à un mois à l’autorisation du législateur.

Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, au sein de cet hémicycle, nous partageons tous le même constat sur l’ampleur de cette crise. Celle-ci impose de prendre des mesures de protection de nos concitoyens et de maîtrise de nos capacités hospitalières, avec chaque jour le même mantra : sauver des vies !

Nous sommes ici également tous porteurs d’une exigence démocratique.

Pourtant, les discussions au cours de la réunion de la commission mixte paritaire ont mis en exergue une différence d’appréciation, s’agissant notamment de l’organisation d’un débat sur l’application dans le temps du confinement.

Je veux rappeler ici que le confinement est la plus sévère des mesures de l’état d’urgence sanitaire pour nos libertés. Aussi, il m’apparaît primordial, dans un État de droit, qu’un éventuel reconfinement ne puisse pas être prolongé au-delà de trente jours sans autorisation législative expresse. Cela vous protège aussi, monsieur le secrétaire d’État. L’intervention régulière du législateur pour s’assurer que les droits de nos concitoyens sont autant que possible préservés est indispensable.

Nous ne pouvons pas donner un blanc-seing au Gouvernement et nous dessaisir ainsi de nos prérogatives élémentaires, comme le contrôle de l’exécutif, qui – ne l’oublions pas – est l’un des volets du mandat que nous ont confié nos concitoyens.

Le rôle de la démocratie pendant la crise sanitaire et dans sa gestion devient une question cruciale ! L’esquiver, c’est, me semble-t-il, fragiliser ce qui fait Nation.

Pour notre liberté, « liberté chérie », et pour toutes les raisons que je viens d’exposer, le groupe Les Indépendants votera la motion tendant à opposer la question préalable.

Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascale Gruny

Mme le président. La parole est à M. Stéphane Le Rudulier.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Le Rudulier

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à quatre reprises, en mars, en mai, en juillet et, enfin, en novembre dernier, le Sénat a accepté d’accorder au Gouvernement des pouvoirs exceptionnels pour faire face à la crise sanitaire que nous traversons. Nous voici de nouveau réunis aujourd’hui pour discuter de la prorogation de telles mesures. Ces derniers jours ont été riches en rebondissements et en confusion sur ce sujet pourtant crucial et essentiel !

En votant la semaine dernière le projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire, nous avions bon espoir que les ajustements proposés par le Sénat puissent trouver un écho chez nos collègues députés.

Or cet espoir ne s’est pas concrétisé, les divergences entre nos deux assemblées étant trop fortes, mais il n’en demeure pas moins hautement regrettable qu’aucune position commune n’ait été trouvée alors qu’il y va de la santé et des libertés fondamentales des Français.

Pourtant, le texte voté initialement par les députés traduisait une forme d’infléchissement dans le sens de la position du Sénat. Car, depuis l’origine, notre Haute Assemblée a manifesté une certaine circonspection à l’égard du régime transitoire de sortie de l’urgence sanitaire, que nous nous félicitons d’ailleurs de ne plus voir figurer dans le projet de loi.

De même, le Sénat a, dans sa majorité, retenu le principe de la prorogation tant du régime de l’état d’urgence que de son application.

À l’issue de travaux très fouillés, le rapporteur Philippe Bas a fait le constat d’une situation sanitaire préoccupante, comme en attestent les indicateurs. Car si l’explosion des contaminations qui a été observée au mois d’octobre dernier était sans commune mesure avec la situation actuelle, il n’en demeure pas moins que l’appareil hospitalier reste fortement sollicité.

En outre, la mortalité cumulative est – hélas ! – beaucoup plus importante actuellement, 2 567 décès ayant été dénombrés la troisième semaine de janvier, contre 1 318 avant le confinement d’octobre.

Mais l’élément nouveau par rapport au mois d’octobre est la découverte et la production d’un vaccin, qui nous permet d’entrevoir la fin du tunnel. Et c’est une véritable course contre la montre qui est dès lors engagée !

C’est pourquoi la durée pendant laquelle nous sommes prêts à autoriser le Gouvernement à user de ses pouvoirs exceptionnels dépend non seulement de l’efficacité de la stratégie vaccinale mise en œuvre, mais également de l’approvisionnement en doses de vaccin sur l’ensemble du territoire national afin d’atteindre l’objectif fixé voilà deux jours par le Président de la République : permettre à la totalité des personnes souhaitant être vaccinées de l’être avant la fin du mois d’août.

Pour cela, monsieur le secrétaire d’État, il vous faudra davantage tenir compte des offres de service qui vous sont faites par bon nombre de collectivités, communes, départements, régions, ainsi que par des médecins de ville, des pharmaciens, voire des infirmiers.

Certes, le confinement n’est pas une fatalité. Mais, reconnaissons-le aujourd’hui, le rationnement du vaccin et les difficultés d’accès aux centres de vaccination risquent d’enrayer la campagne vaccinale, qui, pour l’heure, n’a permis la vaccination définitive que de 150 000 de nos compatriotes. Cette situation, si elle perdure, pourrait malheureusement vous forcer dans quelques semaines ou quelques mois à revenir vers nous pour nous demander une nouvelle autorisation de restreindre nos libertés fondamentales.

Certes, le Gouvernement nous informe régulièrement du contenu des mesures qu’il prend. Il a été brièvement question d’un débat en application de l’article 50-1 de la Constitution. J’ose espérer qu’il s’agit d’un commencement de contrôle parlementaire. Mais cela n’est manifestement pas suffisant, car le contrôle parlementaire doit de préférence se traduire par un acte positif, suivi de conséquences.

Comprenez-moi bien : notre intention n’est pas de priver l’exécutif des outils de maîtrise de la crise sanitaire dont il a fait jusqu’ici l’usage. Nous avons d’ailleurs consenti très largement à la proposition du Gouvernement de prolonger l’état d’urgence eu égard à la situation.

Mais cette acceptation prudente du principe du prolongement des pouvoirs exceptionnels ne signifie pas pour autant que nous souscrivons à leur emploi tous azimuts sans un contrôle parlementaire fin. Ces pouvoirs doivent être limités dans le temps et le Parlement doit être appelé à se prononcer régulièrement sur un éventuel prolongement au regard de l’évolution de la situation.

Ajoutons qu’en dernier ressort, les juges constitutionnel et administratif doivent s’assurer de la proportionnalité des mesures prises.

Pour toutes ces raisons, notre position s’est toujours articulée autour de deux idées-forces.

D’une part, nous voulons réduire la durée de prorogation d’application de l’état d’urgence sanitaire, afin que le Gouvernement revienne devant le législateur avant le début du mois de mai plutôt qu’en juin, dans un souci de donner corps au contrôle démocratique des pouvoirs exceptionnels.

Évidemment, on peut nous opposer des contraintes d’agenda législatif, comme l’a fait le ministre Olivier Véran en première lecture. Mais ce serait méconnaître le fait que, tout au long de la crise, l’institution parlementaire s’est toujours montrée à la hauteur du défi lorsqu’il s’est agi d’agir vite quand la santé des Français était en jeu.

D’autre part, nous avions proposé un encadrement spécifique du prolongement d’un éventuel confinement. Et pourtant, cette idée frappée au coin du bon sens fut la pierre d’achoppement qui a conduit à l’échec de la commission mixte paritaire de jeudi dernier. Nous le regrettons vivement.

Ainsi, à l’issue de son examen en nouvelle lecture par les députés, le projet de loi nous est revenu vidé de l’essentiel de nos modifications. La proposition de territorialiser, à travers les préfets, les décisions d’ouverture de commerce si la situation locale le permet a ainsi été balayée d’un revers de main par l’Assemblée nationale.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Le Rudulier

Les quelques mesures que l’Assemblée nationale a reprises sont évidemment bienvenues, mais elles demeurent largement insuffisantes au regard des enjeux.

Telle a aussi été la conclusion du rapporteur Philippe Bas, qui, plutôt que de faire durer une discussion qui s’enlise, a choisi de présenter une motion tendant à opposer la question préalable. Pour toutes les raisons évoquées précédemment, le groupe Les Républicains votera cette motion.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascale Gruny

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascale Gruny

Je suis saisie, par M. Bas, au nom de la commission, d’une motion n° 1.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire (327, 2020-2021).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 7, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à M. le rapporteur, pour la motion.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Mes chers collègues, je vous ai indiqué tout à l’heure ce qui motive cette motion. Les faits sont là : nous avons un désaccord unique – tous les autres sujets auraient pu faire l’objet d’un compromis –, mais ce désaccord est très important. Il porte sur la capacité du Parlement à exercer, au nom des Français, le contrôle le plus resserré possible sur toute mesure de confinement.

On voit à quel point une telle question est sensible. Nous n’avons pas connu, depuis les guerres mondiales, des restrictions de liberté aussi importantes que celles qui ont été prises pour lutter contre l’épidémie de covid-19. Même après 2015, lorsque l’état d’urgence a été activé pour faire face à la crise terroriste, les restrictions de liberté n’ont jamais atteint la généralité et l’intensité que l’on peut connaître avec le confinement.

Et comme le temps a passé depuis le premier confinement, comme les moyens d’action que nous avons accordés au Gouvernement se sont progressivement accrus, comme la situation sanitaire est tout de même moins grave, même si elle est très préoccupante, que celle que nous avons pu connaître, nous pensons que ce serait un terrible échec de la politique de lutte contre cette épidémie que de devoir procéder à un nouveau reconfinement.

Toutefois, si une telle décision devait être prise, le contrôle devrait vraiment être porté au niveau d’exigence qui convient pour que les Français aient l’assurance que l’exécutif n’utilise pas ces moyens sans frein.

Il me semble qu’il s’agit là d’une proposition de bon sens et qu’elle n’est nullement exorbitante : nous sommes toujours en démocratie et nous sommes toujours dans un État de droit.

Le Gouvernement nous dit qu’il est tout à fait disposé à organiser devant le Parlement un débat au titre de l’article 50-1 de la Constitution et qu’il serait même prêt à nous proposer de nous prononcer à l’issue de ce débat par un vote sur une déclaration gouvernementale.

Y a-t-il équivalence entre cette proposition et la disposition que nous avons adoptée au Sénat pour exiger qu’un confinement ne puisse pas être prolongé au-delà d’un mois sans une loi l’y autorisant ? La réponse est évidemment non !

Quand un gouvernement fait une déclaration – appelons-la « déclaration de politique sanitaire » – et demande un vote, il sollicite non pas l’autorisation de prolonger un confinement, mais l’approbation de sa politique sanitaire. Et les conséquences de ce vote ne sont pas les mêmes que celles de l’adoption ou du rejet d’un texte législatif autorisant le prolongement d’un confinement.

Ce serait donc en quelque sorte un marché de dupes que de vouloir échanger une loi contre un débat, un vote sur la politique sanitaire contre un vote sur l’autorisation de restreindre pendant une durée supplémentaire les libertés des Français, autorisation qui suppose tout de même une évaluation de la nécessité absolue de prendre de telles mesures. Je pense que nous ne pouvons pas accepter cela.

À mon sens, notre rôle devant les Français, en toute transparence, sous leur regard, est de dire au Gouvernement que s’il souhaite être efficace dans la lutte contre la covid, il a besoin de renforcer l’acceptabilité des mesures qu’il prend. Et il ne pourra la renforcer que si, au sein de la représentation nationale, tous les courants de pensée, dans leur diversité, sont amenés à s’exprimer au nom des Français et à approuver ces mesures. En effet, à ce moment-là, le Gouvernement ne sera plus seul devant les Français.

Et je dois vous le dire, loin d’être éloigné de l’idée que nous nous faisons de la responsabilité politique, ce que nous suggérons est vraiment l’essence de cette responsabilité. Nous sommes prêts à l’assumer. Nous l’avons toujours fait.

Si, après avoir, en octobre et en novembre, puis en février, inlassablement expliqué ce que je suis en train de vous répéter, au risque d’user de votre attention, voire d’en abuser, si, après tant d’efforts pour expliquer des choses si simples et évidentes, nous ne sommes pas parvenus à convaincre, c’est sans doute que nous n’avons pas été suffisamment clairs et que nous n’avons pas su trouver les mots justes ; je veux bien le croire.

Mais c’est aussi parce que le Gouvernement ne veut pas nous entendre ! Alors, à quoi bon reprendre la discussion après l’échec de cette commission mixte paritaire pour adopter de nouveau un texte dont tout le monde connaît la teneur, qui serait le même que celui que nous avons adopté voilà seulement quinze jours ? Nous disons maintenant que le débat est fini sur cette question entre le Gouvernement et nous.

C’est la raison pour laquelle la commission des lois m’a demandé de présenter devant notre assemblée cette motion tendant à opposer la question préalable. Nous voulons maintenant tourner, avec beaucoup de regrets, cette page, qui signe la mise à l’écart du Parlement de la gestion de la crise sanitaire !

Debut de section - PermalienPhoto de Pascale Gruny

Mme le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, contre la motion.

Applaudissements sur des travées du groupe SER.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Pierre de La Gontrie

Mes chers collègues, je vais tenter, au nom de mon groupe, de vous convaincre de ne pas voter cette motion tendant à opposer la question préalable, afin que le débat s’engage. À moins que je ne parvienne à convaincre le rapporteur de la commission des lois de la retirer… Sait-on jamais ?

Nous sommes dans une situation paradoxale. Depuis onze mois, le Sénat assume son rôle de manière extrêmement exigeante, avec le concours de tous les groupes. Nous appuyant sur les travaux de notre rapporteur, nous avons chaque fois réduit la durée de l’état d’urgence, posé des conditions, limité considérablement les cohortes d’habilitations à légiférer par ordonnances demandées par le Gouvernement.

Nous avons bataillé pied à pied, sans contester l’utilité de l’état d’urgence – en tout cas, ni mon groupe ni la majorité sénatoriale ne l’ont fait –, mais en exigeant son encadrement strict.

Nous avons tous exigé aussi que le Parlement ait toute sa place, non par volonté de marquer notre territoire, mais parce que nous avons senti très tôt que les Français accepteraient mieux ces mesures extrêmement rigoureuses, difficiles et pénibles s’ils étaient associés à leur élaboration. Il ne fallait donc pas laisser la bride sur le cou du Gouvernement, en dépit de ses demandes réitérées, texte après texte, et c’est ainsi que nous avons cheminé.

Mon groupe s’est abstenu sur les différents textes, au motif qu’ils étaient incomplets, mais il n’a pas barré la route à l’instauration de l’état d’urgence sanitaire.

Le rapporteur de la commission des lois et notre collègue Thani Mohamed Soilihi, lui-même présent à la commission mixte paritaire, ont rappelé la difficulté à faire bouger la majorité gouvernementale, mais également l’évolution de sa posture, ce qui n’a peut-être pas été suffisamment souligné. Ayant enfin identifié, au fil des semaines et des mois, l’importance du lien avec la population et les élus, cette majorité semblait sincèrement souhaiter un accord en commission mixte paritaire.

La démocratie aussi a été confinée, le Sénat a dû délibérer dans des conditions inédites, le pouvoir exécutif s’est trouvé doté de pouvoirs exorbitants. Cela dure désormais depuis onze mois.

Pourquoi rejeter aujourd’hui cette motion tendant à opposer la question préalable ? Il y a quand même un paradoxe inouï à vouloir absolument que le Parlement ait un pouvoir, mais à décider simultanément d’en éluder la possibilité.

Si vous votez cette motion, mes chers collègues, dans quelques minutes, nous en aurons terminé avec ce texte. Nous ne l’examinerons pas, et nous ne réaffirmerons donc pas les exigences du Sénat sur la durée et les modalités de contrôle de l’état d’urgence.

Pourtant, alors même que l’Assemblée nationale n’était pas très encline à trouver un intérêt à nos propositions, nous avons parfois pu introduire des nouveautés dans les différents textes que nous avons examinés. C’est d’ailleurs vraisemblablement pour cette raison que le régime de « sortie de l’état d’urgence », dont chacun sait ici qu’il ressemble furieusement au régime de l’état d’urgence lui-même, n’a finalement pas été maintenu dans le texte examiné par l’Assemblée nationale.

En tant que parlementaire, je ne me résous pas à ce que le Parlement ne joue pas son rôle. Or cette motion tendant à opposer la question préalable est une motion de renoncement. Considérant que l’Assemblée nationale aura de toute façon le dernier mot, aux termes de la Constitution, nous décidons aujourd’hui de ne pas remplir notre fonction. C’est la négation du bicamérisme, le refus d’apporter notre contribution.

Voilà pourquoi mon groupe refuse de voter cette motion. Nous ne sommes pas d’accord avec le texte issu de l’Assemblée nationale ; nous ne sommes pas d’accord non plus avec les propositions presque ridicules qui nous ont été faites au cours de la réunion de la commission mixte paritaire. Elles montrent certes que le Gouvernement souhaitait trouver une « voie de passage » entre les deux assemblées, mais la proposition d’un simple courrier du Premier ministre n’était pas à la hauteur de nos exigences. Nous avons donc collectivement refusé.

C’est pourquoi j’essaye de plaider en faveur de la poursuite du débat. N’éludons pas nos responsabilités, réaffirmons nos positions !

Pour conclure, mes chers collègues, rappelez-vous ces mots de Camus dans Noces : « Vivre, c’est ne pas se résigner. » Être parlementaire, c’est ne jamais se résigner. C’est pourquoi je souhaite que nous rejetions cette motion tendant à opposer la question préalable et que nous poursuivions le débat.

Applaudissements sur les travées des groupes SER et RDPI.

Debut de section - Permalien
Adrien Taquet

Le Gouvernement regrette le dépôt de cette motion tendant à opposer la question préalable. Nous en prenons acte, mais nous aurions préféré que les débats se poursuivent.

Le Gouvernement émet donc naturellement un avis défavorable sur cette motion.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascale Gruny

La parole est à Mme Éliane Assassi, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Monsieur le rapporteur, vous ne serez pas surpris que nous soyons en désaccord avec votre position.

Nous ne voulons pas simplement améliorer le contrôle des pouvoirs exceptionnels du Président de la République et du Gouvernement ; nous contestons ces pouvoirs exceptionnels. Nous estimons que le Parlement peut parfaitement retrouver la plénitude de ses pouvoirs et que nous pouvons affronter le mal qui nous frappe dans le plein respect de la démocratie.

Monsieur le rapporteur, en première lecture, vous vous adressiez en ces termes à M. Véran : « Vous qui êtes ministre de la santé, vous devez avoir conscience que le ministre de l’intérieur, tous gouvernements confondus, n’a jamais exigé des Français autant de restrictions aux libertés que celles imposées pour lutter contre le covid. Or, dans un État de droit, dans une vieille République que nous chérissons tous, on ne saurait s’habituer à de telles restrictions, du moins sans un contrôle parlementaire effectif. Je le répète, vous n’avez rien à craindre d’un tel contrôle, puisqu’il est responsable. »

Monsieur Bas, nous ne souhaitons pas limiter le rôle du Parlement au contrôle. Nous voulons lui rendre son pouvoir législatif d’élaboration des politiques publiques.

Nous pouvons toutefois en convenir : au terme de cet épisode d’édiction puis de prolongation de l’état d’urgence sanitaire, Emmanuel Macron écarte le Parlement de la gestion de la crise et s’isole dans son pouvoir personnel, poussant au paroxysme les défauts des institutions de la Ve République.

C’est l’état d’urgence en lui-même, dans notre cadre constitutionnel, qui entraîne cette situation extrêmement dangereuse pour notre démocratie.

Pourquoi persévérer dans ce jeu de dupes ? Je vous avais alerté en première lecture sur l’échec prévisible de vos tentatives, monsieur le rapporteur.

Nous nous abstiendrons donc sur cette motion, car le désaccord que vous mettez en scène ne porte pas sur l’état d’urgence lui-même.

Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascale Gruny

La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Je tiens tout d’abord à exprimer, au nom de mon groupe, le regret que certaines dispositions votées par le Sénat aient été retirées du texte en commission mixte paritaire.

Le rapprochement de la date d’expiration de l’état d’urgence sanitaire, tout comme l’obligation de consultation mensuelle du Parlement pour la mise en œuvre d’un confinement de plus d’un mois aurait permis à cette institution souvent malmenée par le Gouvernement de recouvrer toute sa légitimité.

Monsieur le secrétaire d’État, le Sénat vous a réitéré sa volonté de prendre part à la gestion de la crise sanitaire. Votre majorité à l’Assemblée nationale lui a opposé une fin de non-recevoir, se privant par là même de son propre pouvoir de légiférer et de contrôler votre action.

En l’état, ce texte ne peut donc pas nous convenir : c’est une sorte d’affront fait à la Haute Assemblée.

La présente motion témoigne de notre constat partagé : ce gouvernement n’est manifestement pas prêt à la discussion ; c’est une maladie chronique de la Macronie.

M. Julien Bargeton proteste.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Toutefois, parce que cette motion relève avant tout de la surenchère politicienne entre la droite sénatoriale et le Gouvernement à l’approche des élections, nous ne souhaitons pas nous y engouffrer. Aussi le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires s’abstiendra-t-il.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascale Gruny

Personne ne demande plus la parole ?…

Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.

La motion est adoptée.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascale Gruny

En conséquence, le projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire est rejeté.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascale Gruny

Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 9 février 2021 :

À neuf heures trente :

Trente-six questions orales.

À quatorze heures trente :

Débat sur l’« Opération Barkhane : bilan et perspectives » ;

Explications de vote puis vote sur la proposition de loi visant à sécuriser la procédure d’abrogation des cartes communales dans le cadre d’une approbation d’un plan local d’urbanisme (PLU) ou d’un plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi) et à reporter la caducité des plans d’occupation des sols (POS), présentée par M. Rémy Pointereau et plusieurs de ses collègues (texte de la commission n° 305, 2020-2021) ;

Débat sur les mineurs non accompagnés.

À vingt et une heures trente :

Débat sur l’avenir de la métropole du Grand Paris.

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

La séance est levée à seize heures.