Mes chers collègues, je vais tenter, au nom de mon groupe, de vous convaincre de ne pas voter cette motion tendant à opposer la question préalable, afin que le débat s’engage. À moins que je ne parvienne à convaincre le rapporteur de la commission des lois de la retirer… Sait-on jamais ?
Nous sommes dans une situation paradoxale. Depuis onze mois, le Sénat assume son rôle de manière extrêmement exigeante, avec le concours de tous les groupes. Nous appuyant sur les travaux de notre rapporteur, nous avons chaque fois réduit la durée de l’état d’urgence, posé des conditions, limité considérablement les cohortes d’habilitations à légiférer par ordonnances demandées par le Gouvernement.
Nous avons bataillé pied à pied, sans contester l’utilité de l’état d’urgence – en tout cas, ni mon groupe ni la majorité sénatoriale ne l’ont fait –, mais en exigeant son encadrement strict.
Nous avons tous exigé aussi que le Parlement ait toute sa place, non par volonté de marquer notre territoire, mais parce que nous avons senti très tôt que les Français accepteraient mieux ces mesures extrêmement rigoureuses, difficiles et pénibles s’ils étaient associés à leur élaboration. Il ne fallait donc pas laisser la bride sur le cou du Gouvernement, en dépit de ses demandes réitérées, texte après texte, et c’est ainsi que nous avons cheminé.
Mon groupe s’est abstenu sur les différents textes, au motif qu’ils étaient incomplets, mais il n’a pas barré la route à l’instauration de l’état d’urgence sanitaire.
Le rapporteur de la commission des lois et notre collègue Thani Mohamed Soilihi, lui-même présent à la commission mixte paritaire, ont rappelé la difficulté à faire bouger la majorité gouvernementale, mais également l’évolution de sa posture, ce qui n’a peut-être pas été suffisamment souligné. Ayant enfin identifié, au fil des semaines et des mois, l’importance du lien avec la population et les élus, cette majorité semblait sincèrement souhaiter un accord en commission mixte paritaire.
La démocratie aussi a été confinée, le Sénat a dû délibérer dans des conditions inédites, le pouvoir exécutif s’est trouvé doté de pouvoirs exorbitants. Cela dure désormais depuis onze mois.
Pourquoi rejeter aujourd’hui cette motion tendant à opposer la question préalable ? Il y a quand même un paradoxe inouï à vouloir absolument que le Parlement ait un pouvoir, mais à décider simultanément d’en éluder la possibilité.
Si vous votez cette motion, mes chers collègues, dans quelques minutes, nous en aurons terminé avec ce texte. Nous ne l’examinerons pas, et nous ne réaffirmerons donc pas les exigences du Sénat sur la durée et les modalités de contrôle de l’état d’urgence.
Pourtant, alors même que l’Assemblée nationale n’était pas très encline à trouver un intérêt à nos propositions, nous avons parfois pu introduire des nouveautés dans les différents textes que nous avons examinés. C’est d’ailleurs vraisemblablement pour cette raison que le régime de « sortie de l’état d’urgence », dont chacun sait ici qu’il ressemble furieusement au régime de l’état d’urgence lui-même, n’a finalement pas été maintenu dans le texte examiné par l’Assemblée nationale.
En tant que parlementaire, je ne me résous pas à ce que le Parlement ne joue pas son rôle. Or cette motion tendant à opposer la question préalable est une motion de renoncement. Considérant que l’Assemblée nationale aura de toute façon le dernier mot, aux termes de la Constitution, nous décidons aujourd’hui de ne pas remplir notre fonction. C’est la négation du bicamérisme, le refus d’apporter notre contribution.
Voilà pourquoi mon groupe refuse de voter cette motion. Nous ne sommes pas d’accord avec le texte issu de l’Assemblée nationale ; nous ne sommes pas d’accord non plus avec les propositions presque ridicules qui nous ont été faites au cours de la réunion de la commission mixte paritaire. Elles montrent certes que le Gouvernement souhaitait trouver une « voie de passage » entre les deux assemblées, mais la proposition d’un simple courrier du Premier ministre n’était pas à la hauteur de nos exigences. Nous avons donc collectivement refusé.
C’est pourquoi j’essaye de plaider en faveur de la poursuite du débat. N’éludons pas nos responsabilités, réaffirmons nos positions !
Pour conclure, mes chers collègues, rappelez-vous ces mots de Camus dans Noces : « Vivre, c’est ne pas se résigner. » Être parlementaire, c’est ne jamais se résigner. C’est pourquoi je souhaite que nous rejetions cette motion tendant à opposer la question préalable et que nous poursuivions le débat.