Je rappellerai rapidement les principaux éléments du débat sur la question des interventions chirurgicales précoces réalisées sur des enfants présentant des variations du développement génital.
Il n’y a pas de consensus en France sur cette question, ainsi que l’a rappelé l’avis du Comité consultatif national d’éthique, le CCNE, rendu en novembre 2019.
La plupart des associations de personnes nées avec une variation sexuelle rejettent le bénéfice, pour la construction de l’identité sexuelle de l’enfant, d’une intervention chirurgicale ou d’un traitement hormonal et dénoncent leurs séquelles physiques et psychiques à long terme. Elles évoquent des mutilations opérées sur des organes sains pour des raisons esthétiques ou purement sociales, et non pas médicales.
La position des patients atteints d’hyperplasie congénitale des surrénales, qui est la cause largement la plus fréquente, est différente. Les représentants de l’association Surrénales, que j’ai auditionnés, se sont d’ailleurs déclarés pour une intervention précoce. Dans leur cas, il n’existe toutefois pas de doute sur le sexe de l’enfant, le traitement hormonal étant même le plus souvent vital, en raison notamment des pertes de sel résultant de l’hyperplasie.
La plupart des chirurgiens et endocrinologues justifient quant à eux leur intervention par leurs fins réparatrices et fonctionnelles. Ils font valoir pour certains que, pour des raisons psychologiques, le corps doit, dans la mesure du possible, correspondre à une identité sexuelle. Une intervention précoce permet selon eux de minimiser les conséquences psychologiques pour l’enfant et son entourage.
En tout état de cause, le cadre législatif actuel – l’article 16-3 du code civil – interdit déjà les opérations chirurgicales et les traitements irréversibles pratiqués de manière précoce sur un enfant quand il n’y a pas de nécessité médicale. Les opérations mutilantes le sont également lorsqu’il n’y a pas de motif médical très sérieux, selon l’article R. 4127-41 du code de la santé publique.
Toutefois, des recommandations internationales demandent à la France d’aller plus loin, et c’est précisément l’objet des trois amendements qui ont été présentés.
L’amendement n° 90 de Mme Cohen vise à interdire tout acte médical de conformation sexuée irréversible, hors cas d’urgence vitale immédiate, tant que l’enfant n’est pas en mesure de consentir. Cette disposition viendrait donc limiter les opérations précoces sur des enfants présentant des variations du développement génital à ces seuls cas, finalement, d’urgence vitale immédiate, ce qui serait plus restrictif.
L’amendement n° 138 de M. Salmon vise à interdire tout traitement irréversible ou acte chirurgical visant la définition des caractéristiques sexuelles, hors nécessité vitale ou défaillance fonctionnelle. Il est donc plus nuancé, si je puis dire, puisqu’il pourrait permettre des interventions visant à éviter des pertes de chance fonctionnelle.
Toutefois, cette rédaction pose des difficultés d’interprétation pour les médecins, sachant que les interventions chirurgicales en question sont toujours très complexes et concernent souvent l’appareil urinaire – c’est le cas par exemple des hypospadias.
L’objectif des auteurs de ces deux amendements correspond finalement à celui de l’article 21 bis, auquel je suis favorable. Pour autant, je pense qu’il est prématuré, et sans doute contre-productif, d’inscrire dans la loi ce type d’interdiction.
Il me semble que, sur cette question complexe, la rédaction actuelle de l’article 21 bis constitue un point d’équilibre satisfaisant. L’Assemblée nationale a entendu nos remarques, en a tenu compte et a conservé la plupart de nos propositions. Elle a aussi ajouté un nouveau dispositif intéressant en matière d’état civil, qui permet de donner du temps, de ne pas figer certaines situations.
Je crois que nous devons maintenant prendre acte de cet équilibre ; il pourrait être contre-productif de brusquer les choses. Nous devons miser sur des concertations ouvertes, dont nous avons d’ailleurs fixé les conditions dans le texte. En outre, le cadre que nous avons prévu correspond à l’avis du CCNE.
C’est pourquoi je souhaite que nous en restions à la rédaction adoptée par l’Assemblée nationale. Je remercie d’ailleurs Véronique Guillotin d’avoir, dans cet esprit, retiré ses amendements.
L’avis de la commission spéciale est donc défavorable sur ces deux amendements.
Enfin, l’amendement n° 77 de Mme Cohen, qui tend à préciser que la recherche du consentement du mineur doit se faire dans le respect des droits humains, de la dignité de la personne et de l’autodétermination, est satisfait par le droit en vigueur, que ce soit par le code civil, le code de la santé publique ou encore la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, une norme à valeur constitutionnelle.