Intervention de Joël Guerriau

Réunion du 9 février 2021 à 14h30
Opération barkhane : bilan et perspectives — Débat organisé à la demande de la commission des affaires étrangères

Photo de Joël GuerriauJoël Guerriau :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe Les Indépendants tient à rendre hommage à nos soldats, à celles et ceux qui ont perdu la vie ou ont été blessés, à tous les militaires actuellement engagés et à leur famille.

Une mission a été confiée à notre armée : lutter contre les groupes armés terroristes. Elle l’a admirablement accomplie et continue de le faire. Nos soldats ont ainsi libéré les villes occupées et poursuivent les terroristes partout où ils se trouvent. Ce n’est pas au moment où le bilan de l’opération Barkhane s’améliore, alors que de nouveaux entrants européens viennent nous épauler, qu’il faut baisser la garde.

Le principal effet de l’opération Barkhane est de prévenir l’effondrement des États et la création d’un sanctuaire par les terroristes. Tout retrait donnerait satisfaction aux activistes qui sont, par nature, nos ennemis. Ne nous y trompons pas !

Les armées locales sont encore loin d’être en mesure de lutter seules contre ces groupes. Un retrait de nos forces serait suivi d’une nette dégradation des conditions de sécurité, qui entraînerait des déplacements massifs de population.

Au cœur du Sahel, contrairement à la désinformation des réseaux sociaux, la population malienne, à une très forte majorité, aspire au maintien de la présence militaire française. Notre pays peut s’enorgueillir de son action. Le sacrifice de nos soldats pour une juste cause n’est pas vain. La tâche est considérable.

Pour fonder une paix durable, les nations de la zone doivent renforcer leur unité. Les États et leurs services publics doivent également être capables d’assurer une présence auprès de toutes les populations et sur tous les territoires.

J’illustrerai mes propos par l’exemple d’une ville que je connais bien. En 1995, j’ai initié une coopération décentralisée entre ma ville et celle de Kati, limitrophe de Bamako. Aujourd’hui, la situation y est catastrophique. Cette commune de plus de 100 000 habitants a vu les aides versées par l’agence nationale pour le développement passer de 30 millions à 9 millions de francs CFA. Connaissez-vous beaucoup de villes pauvres qui pourraient supporter une baisse de 70 % de leur budget ? Les agents territoriaux ne sont plus rémunérés.

À Bamako, il est de plus en plus difficile de circuler. La misère se développe, par manque de travail et de ressources alimentaires, mais aussi par l’arrivée de déplacés fuyant les zones dangereuses. Nos amis Maliens souffrent sur les plans économique, touristique, sécuritaire et politique.

Sur le plan économique, les partenaires d’hier commencent à manquer cruellement. Les aidants sont de plus en plus rares.

Sur le plan touristique, les villes de Ségou et de Mopti, qui connaissaient un flux régulier de touristes, ont perdu une ressource précieuse.

Sur le plan sécuritaire, dans les zones les plus exposées au terrorisme, voilà cinq ans que des milliers d’écoles sont fermées. Il en va de même, vous le savez, au Burkina Faso et dans bien d’autres endroits. Cette situation est extrêmement grave, car c’est sur ce terreau que croît l’effervescence radicale terroriste.

Aussi, sur le plan politique, les gouvernants des États du Sahel doivent affronter une situation très complexe.

Les écoles doivent rouvrir. Pour affaiblir et faire disparaître les groupes armés terroristes, il faut agir à tous les niveaux.

L’opération Barkhane ne saurait, à elle seule, résoudre le phénomène terroriste au Sahel. Elle est une condition nécessaire à l’émergence de solutions politiques.

Si la zone passait sous le contrôle des terroristes, comme ce fut le cas en Afghanistan ou au Levant, le risque serait grand de voir la violence s’exporter contre nos populations. Nous serions alors forcés d’intervenir dans des conditions encore plus dégradées, comme nous l’avons fait contre les talibans ou contre l’État islamique.

En somme, l’action militaire n’empêche pas la défaite ; la victoire demeure entre les mains des responsables politiques locaux. Rien, cependant, ne permet de dire quand de telles solutions pourront être trouvées. La France doit donc s’attendre à ce que son intervention dans la région dure – nous devons nous y préparer.

Dans ces conditions, il convient de rendre notre effort soutenable. Il faudra continuer à chercher des soutiens concrets à l’action que nous menons, pour que nous ne soyons pas seuls à supporter les coûts de cette opération, qui sert les intérêts de tout le continent européen. Nous ne pouvons réduire notre effectif que dans la mesure où de nouveaux contingents européens prennent la relève.

L’Europe doit prendre en considération cette dimension, soit par une mutualisation des coûts, soit par une contribution accrue à l’aide au développement des pays du Sahel. En effet, convenons-en ensemble, lutter contre la misère reste aussi le grand défi à relever.

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