Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, tout engagement génère des compromis. C’est le propre même de notre système bicaméral, qui impose la conciliation des points de vue, sans renier ses convictions, pour aboutir à l’adoption de réformes conformes à l’intérêt général. C’est dans cet esprit que le Sénat a abordé l’examen du projet de loi ratifiant l’ordonnance du 11 septembre 2019 portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs.
Je me félicite de ce que, grâce à nos échanges avec le rapporteur de l’Assemblée nationale, Jean Terlier, et avec M. le garde des sceaux, nous ayons pu parvenir à un accord en commission mixte paritaire qui entérine des avancées attendues dans la lutte contre la délinquance des mineurs. En effet, la réforme de l’ordonnance du 2 février 1945 était devenue urgente. Les signaux de son épuisement sont nombreux, à commencer par des délais de jugement des mineurs délinquants trop longs, dix-neuf mois en moyenne – des mois qui durent des siècles quand on a 17 ans… Cette lenteur ne permet plus à la justice d’apporter une réponse pénale efficace aux mineurs, souvent devenus majeurs lors de leur jugement. Le taux d’incarcération en détention provisoire de plus de 80 % des mineurs emprisonnés prouve, là aussi, la faillite de notre système pénal.
Mais urgence ne veut pas dire précipitation. Certes, la réforme de la procédure pénale des mineurs est un sujet mûrement réfléchi qui a mis du temps à se réaliser. Dès 2008, le rapport Varinard proposait au garde des sceaux de l’époque l’introduction de la césure. Depuis lors, pendant dix ans, de nombreux rapports parlementaires ont alimenté la réflexion sur la lutte contre la délinquance des mineurs, tels que celui, réalisé par nos anciens collègues Catherine Troendlé et Michel Amiel, qui était relatif à la réinsertion des mineurs incarcérés.
La réforme s’est accélérée en novembre 2018, à l’occasion de l’examen du projet de loi de programmation de la justice, lors duquel l’adoption d’un amendement autorisa le Gouvernement à procéder à la réforme du droit pénal applicable aux mineurs par voie d’ordonnance. Un an plus tard, l’ordonnance du 11 septembre 2019 portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs était publiée ; je vous propose désormais de la ratifier.
La modification de la procédure pénale applicable aux mineurs est une réforme attendue par l’ensemble des acteurs de la justice des mineurs – magistrats spécialisés, avocats, éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse, greffiers… –, mais elle engage aussi la transformation de leurs pratiques professionnelles, ce qui génère de nombreuses craintes. C’est pourquoi cette réforme d’ampleur doit entrer en vigueur dans les meilleures conditions possible, sans précipitation.
Nous nous félicitons que l’Assemblée nationale et le Gouvernement aient accepté de s’en remettre à la sagesse du Sénat, qui, d’emblée, a proposé l’entrée en vigueur de ce texte, non pas au 31 mars 2021, comme cela était initialement prévu, mais au 30 septembre de la même année. La crise de la covid-19 et la grève des avocats en 2020 ont considérablement bouleversé le fonctionnement des juridictions, notamment de celles qui sont spécialisées dans la justice des mineurs. Nombre d’entre elles n’ont pas pu résorber suffisamment le stock d’affaires en cours de manière à pouvoir assimiler, à compter du 31 mars prochain, une nouvelle réforme dans des conditions satisfaisantes. En outre, nous espérons que le report de son entrée en vigueur au 30 septembre permettra que les logiciels informatiques dédiés soient mis à jour.
Ce report voulu par le Sénat doit servir la réforme du nouveau code de la justice pénale des mineurs, car nous sommes persuadés que les nouveaux outils juridiques permettront de mieux répondre à l’évolution de la délinquance des mineurs. C’est pourquoi le Sénat a, dans sa grande majorité, considéré que la césure, qui est au cœur de la réforme en ce qu’elle allie une audience de culpabilité, un temps éducatif et une audience de sanction, permettra non seulement d’accélérer la procédure, mais surtout de favoriser sa compréhension par le jeune qui en fait l’objet. L’efficacité de la réponse pénale réside dans la réactivité et la pédagogie.
Les sénateurs ont aussi considéré que la réforme devait aller au bout des principes cardinaux de la justice pénale des mineurs, tels qu’issus de l’ordonnance de 1945 et repris dans celle de 2019, s’agissant notamment de l’âge du discernement. Si celui-ci fait débat, nous pensons que l’âge pivot de 13 ans est conforme au droit positif français, et nous nous réjouissons que l’introduction de la définition du discernement dans la partie législative du code pénal des mineurs ait été reprise par les députés ; elle guidera le juge dans son appréciation.
En revanche, nous regrettons que le principe de spécialisation des juridictions pour les mineurs ne soit pas appliqué dans son ensemble. Dès lors, le recours au juge des libertés et de la détention (JLD), même habilité, pour la mise en détention du mineur avant l’audience de culpabilité, ne nous paraît pas totalement garantir le principe de spécialisation. De même, le maintien de la compétence du tribunal de police pour juger les mineurs auteurs de contraventions des quatre premières classes demeure une entorse au principe de spécialisation du juge des enfants, garant d’une justice plus éducative. Cependant, nous entendons l’argument du Gouvernement sur les difficultés qu’engendrerait un transfert supplémentaire de contentieux dans les cabinets des juges des enfants, alors même qu’ils doivent mettre en œuvre une réforme venant modifier leurs pratiques.
La réussite de la réforme dépendra des moyens humains et matériels, notamment informatiques, qui seront affectés aux juridictions des mineurs. Elle dépendra surtout de la fluidité et de l’agilité de la nouvelle procédure, pour mieux répondre à la délinquance des mineurs. Cela imposera un renforcement des liens entre magistrats spécialisés et éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse, afin qu’aucun temps de latence entre les différentes étapes de la procédure ne vienne allonger le temps judiciaire et que la continuité éducative soit pleinement assurée.
À cette fin, le Sénat a adopté plusieurs amendements, repris dans le texte de la commission mixte paritaire, ayant pour objet la numérisation du dossier unique de personnalité, l’obligation de fixer la date de mise en œuvre de la prise en charge éducative par la protection judiciaire de la jeunesse à l’audience de culpabilité et la possibilité de convoquer les parents par tous moyens afin d’éviter des reports d’audience pour de simples raisons formelles.
Enfin, l’introduction d’un stage de responsabilisation prononcé, en plus de l’amende, à l’encontre des parents de mineurs délinquants qui ne se rendent pas aux convocations du juge constitue une avancée dans leur nécessaire responsabilisation.
Vous l’aurez compris, le Sénat se satisfait du texte adopté en commission mixte paritaire. Notre chambre a été entendue sur bien des aspects, en manifestant une volonté de sagesse et de détermination dont nous pouvons nous féliciter. Ce nouveau code de la justice pénale des mineurs démontre notre attachement à la protection de l’enfance, à la responsabilisation des parents, à l’efficacité de la nouvelle procédure pénale et à la clarification du droit, pour une meilleure lutte contre la délinquance des mineurs. Nous vous invitons donc à adopter ce projet de loi.