Intervention de Hussein Bourgi

Réunion du 18 février 2021 à 14h30
Justice de proximité et réponse pénale — Discussion en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Hussein BourgiHussein Bourgi :

Madame le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la justice est l’une des institutions régaliennes qui fondent l’État de droit dans tout pays démocratique. Aussi, toute évolution législative qui va dans le sens de son amélioration doit susciter notre attention et notre soutien.

Les chiffres sont là, et ils ne sont pas bons ! Selon une étude de l’Institut français d’opinion publique (IFOP) réalisée en 2019, seul un Français sur deux déclare faire confiance à la justice, plaçant cette institution loin derrière les hôpitaux, l’armée, l’école ou la police. Plus problématique encore, 60 % des Français consultés dans la même étude considèrent que la justice fonctionne mal.

Ces résultats nous interpellent toutes et tous, et nous préoccupent, car la justice est l’outil qui permet de réguler les conflits entre les individus et de pacifier les relations sociales. Elle contribue également, au quotidien, à garantir le respect de l’ordre républicain, des libertés publiques et des droits fondamentaux.

Aussi, c’est avec un réel intérêt et de grandes attentes que nous avons accueilli cette proposition de loi relative à l’amélioration de la justice de proximité et de la réponse pénale. Hélas, nos espoirs furent vite déçus !

En effet, cette proposition de loi nous est apparue comme ayant des ambitions modérées, pour ne pas dire mineures, en ce que ses auteurs ont choisi d’en circonscrire le périmètre aux seules affaires pénales, alors que celles-ci ne représentent qu’environ 25 % du contentieux judiciaire en France. Nous regrettons donc que les affaires civiles et commerciales aient été écartées, lesquelles correspondent pourtant aux deux tiers des décisions de justice rendues chaque année.

Améliorer l’efficacité de la justice de proximité suppose d’agir sur deux leviers. Le premier est la proximité géographique, à laquelle concourent l’accessibilité et la fonctionnalité des locaux, les audiences foraines et les maisons de la justice et du droit (MJD). Le second est la proximité temporelle, celle-là même qui permet de réduire le délai de traitement et d’audiencement des procédures en cours. C’est une période pendant laquelle un litige mineur peut devenir une source de contentieux majeur, le mis en cause ressentir, à tort, un sentiment d’impunité ou la partie civile douter, là encore à tort, de la justice.

Afin d’agir sur ces deux leviers, il faut des moyens humains, il faut des magistrats, il faut des greffiers, il faut du personnel administratif, il faut du personnel à la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Or dans un classement réalisé par le Conseil de l’Europe sur les moyens alloués par habitant au budget de la justice, la France est classée au treizième rang des vingt-sept pays de l’Union européenne ; ce constat factuel nous montre les efforts substantiels qui restent à accomplir.

Cela étant dit, nous vous donnons acte, monsieur le garde des sceaux, des crédits en hausse que vous avez obtenus dans le dernier projet de loi de finances ; nous formons le vœu que cette tendance haussière se confirme dans la durée.

S’agissant de la philosophie du texte, nous relevons une déjudiciarisation croissante, à laquelle nous ne pouvons adhérer. Nous sommes, entre autres, indisposés par les dessaisissements du JAP au profit des directeurs de SPIP. Si je voulais être malicieux, j’y verrais un subterfuge visant à réduire artificiellement le stock d’affaires des JAP…

À côté de la déjudiciarisation, la déshumanisation constitue un autre risque qui menace la justice.

Aujourd’hui, lorsque les victimes ou les personnes mises en cause recherchent une information ou un renseignement, il se trouve qu’elles ont plus souvent affaire à une bande téléphonique ou à une application informatique qu’à un agent de la justice en personne – j’ai maintes fois constaté cette réalité. En ma qualité de bénévole dans une association d’aide aux victimes depuis vingt-cinq ans, j’ai moi-même observé des victimes éprouver cette difficulté et perdre confiance en la justice.

Or la justice doit être incarnée et cela doit être le cas à la fois par des lieux et par des hommes et des femmes. Dans tous les territoires de la République, dans chaque village, ville et quartier, notre législation doit être applicable et appliquée.

Pour qu’une politique pénale soit équilibrée et efficiente, elle doit reposer sur le trépied de la prévention, de la répression et de la réparation. La justice doit non seulement protéger et accompagner la partie civile, mais aussi réparer le préjudice. Elle doit réprimer justement l’auteur de l’infraction, veiller à la stricte application de la sanction prononcée et miser sur la capacité du condamné à se réinsérer dans la société, sans récidiver.

C’est à cet idéal que nous souscrivons toutes et tous. L’ambition de cette proposition de loi est bien de tendre vers celui-ci, justement parce qu’elle vise à améliorer l’efficacité de la justice de proximité et de la réponse pénale.

Mon expérience m’amène à témoigner de la complexité de nos dispositifs judiciaires, monsieur le garde des sceaux. Cette complexité met bien souvent en difficulté les victimes, en particulier celles qui ne sont pas accompagnées par un avocat ou une association. Pour nombre de ces victimes, chaque étape de la procédure, du dépôt de plainte jusqu’à la tenue du procès, relève du parcours du combattant et, lorsque ces procédures aboutissent, il n’est pas rare que la sanction et la réparation soient mises en œuvre de façon aléatoire, renforçant un sentiment de défiance à l’égard de la justice.

Afin de remédier à ces problèmes, il convient de désengorger nos tribunaux. Nos juridictions continuent à fonctionner avec en moyenne onze juges et trois procureurs pour 100 000 habitants, alors que la moyenne européenne est de vingt-deux juges et douze procureurs.

Mais le manque de moyens ne saurait expliquer à lui seul les carences de la justice. Les mesures contenues dans notre code de procédure pénale sont perfectibles, et c’est bien à leur amélioration qu’a tenté de s’atteler cette proposition de loi.

Ce texte, il est vrai, n’est pas révolutionnaire, il n’est pas non plus exempt de défauts – j’aurais l’occasion d’y revenir tout à l’heure. Toutefois, il comporte plusieurs éléments bienvenus que notre collègue Alain Marc et vous-même, monsieur le garde des sceaux, avez soulignés.

Nous nous félicitons notamment de la mise en place à l’article 1er d’une possibilité de versement d’une contribution citoyenne à une association dédiée à l’aide aux victimes. La mise en valeur de ces structures associatives aura un double effet, puisqu’elles verront leur reconnaissance et leur place dans le paysage judiciaire renforcées.

Nous saluons également la volonté du texte de donner à la composition pénale non seulement une vocation répressive, mais aussi des vertus éducatives et dissuasives.

Notre groupe est pleinement favorable à l’introduction à l’article 1er bis d’un stage de responsabilité parentale imposé par le procureur de la République aux personnes condamnées, parmi les peines édictées à l’article 41-2 du code de procédure pénale.

Par ailleurs, nous espérons renforcer ce texte, en y introduisant par voie d’amendement des stages de sensibilisation à la lutte contre la haine en ligne et les atteintes à l’environnement, dont les médias, jour après jour, se font l’écho. Nous devons parfaire notre arsenal répressif pour lutter contre ces infractions qui, mineures au début, prennent des proportions plus graves et tendent à devenir récurrentes, si elles ne sont pas sanctionnées. C’est cette escalade dans la commission de l’infraction que nos amendements visent à freiner.

Malheureusement, les petites avancées obtenues dans cette proposition de loi ne sauraient en occulter les lacunes. Outre son périmètre bien trop restreint, limité à la question pénale, notre groupe s’interroge sur certaines de ses dispositions.

Au nom d’une efficacité et d’une rapidité accrues de la procédure pénale, le texte porte atteinte aux droits des parties, notamment des victimes. Nous déplorons aussi la trop grande place laissée à l’administration, au détriment du JAP.

Il nous semble impératif de redonner au juge sa place centrale dans la procédure pénale. Malgré les réserves exprimées, nous avons souhaité, dans une démarche constructive, enrichir et compléter le texte.

Notre vote dépendra en partie de l’accueil qui sera réservé à nos amendements.

Pour conclure, je voudrais citer une formule médiévale qui définissait la justice comme étant « l’art de faire du bon et de l’égal » ; je forme le vœu que cette formule inspire chacun et chacune d’entre nous.

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