Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, voici donc une loi organisant l’événement qui est dans l’esprit de tous, mais de certains plus que d’autres, comme l’ont montré les récentes manœuvres au sein de notre hémicycle : l’organisation de la prochaine élection présidentielle.
Ce texte prévoit la convocation par décret de cette élection dix semaines avant le premier tour, date de départ du dépôt des parrainages.
Je m’arrêterai d’abord sur le formalisme de ces parrainages.
Il est regrettable que leur transmission électronique, prévue pourtant depuis plusieurs années, soit repoussée après la prochaine élection. J’entends les experts qui évoquent un manque de sécurité, la nécessité d’un système d’identité numérique fiable, car il ne serait pas au point aujourd’hui, mais je reste circonspect quant à l’idée que, en quatre ans, rien n’ait pu être fait pour faire aboutir ce processus.
Il s’agit de sécuriser moins de 50 000 connexions non simultanées. Quand on voit – et c’est à saluer ! – que le service des impôts a réussi à généraliser la numérisation des déclarations de revenus, il est regrettable qu’aucune solution n’ait été trouvée pour s’assurer de l’effectivité d’une décision vieille de cinq ans.
Sur le fond, nous avons de nouveau assisté à des débats sur le bien-fondé du raisonnement consistant à faire jouer aux parrainages des élus un rôle de filtre des candidatures à l’élection présidentielle. Pour certains, cette procédure empêcherait l’émergence de candidats nouveaux. D’autres systèmes sont d’ailleurs proposés par voie d’amendement : ils méritent une étude plus approfondie.
Je souhaite pour ma part attirer votre attention sur un sujet trop longtemps oublié, le vote des détenus.
Fait rare, je citerai notre président Emmanuel Macron qui, alors candidat, avait rappelé : « On a essayé de m’expliquer pourquoi des détenus ne pouvaient pas voter. Je n’ai pas compris. Il semblerait que ce soit le seul endroit de la République où l’on ne sache pas organiser le vote par correspondance ni l’organisation d’un bureau. »
Les autorisations de sortie pour aller voter sont peu nombreuses. Malgré le succès relatif de l’établissement de bureaux de vote lors des élections européennes, il a été décidé de ne pas renouveler l’expérience pour se concentrer sur le seul vote par correspondance. J’ai donc déposé des amendements tendant à assurer l’effectivité du droit de vote des détenus.
Il faut que l’administration pénitentiaire prenne part activement à l’information des détenus. Il faut qu’ils sachent qu’ils ont le droit d’être inscrits sur une liste électorale, qu’ils connaissent les démarches à effectuer et les modalités de vote par correspondance.
Ce texte prévoit aussi que la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques mette en œuvre, à titre expérimental, un téléservice permettant l’édition et la délivrance de reçus pour chaque don versé à un candidat.
Elle devra aussi, toujours à titre expérimental, mettre en place un téléservice pour recevoir de manière dématérialisée les comptes de campagne des candidats à l’élection présidentielle. J’espère que cette simplification numérique bénéficiera des mêmes critères de sécurité qui justifient le non-recours à la dématérialisation des parrainages.
Toujours en termes de simplification, les électeurs dits « Français de l’étranger » pourront désormais avoir recours au vote par procuration sans avoir besoin de justifier d’un empêchement. Comment justifier que ce changement ne s’applique qu’aux Français de l’étranger ? Cette interrogation est à l’origine d’un amendement d’appel que j’ai présenté devant la commission.
Si cette règle, qui revient à considérer que le vote par procuration est une modalité et non une exception, s’applique à tous, d’autres aménagements sont à prévoir. Ils devront tenir compte des enseignements tirés du dévoiement passé de ce vote peu sincère.
Enfin, notre commission a choisi d’apporter davantage de lisibilité aux sondages publiés. Dans une période où chacun pense pouvoir commenter et interpréter des chiffres diffusés de manière brute au mieux, de manière orientée le plus souvent, au nom d’une transparence dévoyée, il est nécessaire d’apporter une explication à ces chiffres, de montrer les limites des méthodes statistiques avec lesquelles sont traitées les intentions de vote et, donc, de publier a minima les marges d’erreur calculées dans les sondages, voire d’adopter des réglementations plus draconiennes sur les périodes de réalisation et de diffusion de ces études.
Cerise sur le gâteau : que dire de l’amendement de dernière minute du Gouvernement ?
Au-delà du processus et de son dépôt tardif, au-delà des risques et des inconvénients non évalués par le Conseil d’État, au-delà de l’absence de volonté réelle de faire évoluer nos processus électoraux, je vous incite, mes chers collègues, à vous pencher sur l’étiologie de la décision ayant conduit au dépôt de cet amendement.
Vous y découvrirez que cette décision n’est pas, en l’occurrence, une improvisation hasardeuse, mais qu’elle s’inscrit dans le cadre d’une stratégie réfléchie du président actuel en vue de la prochaine élection présidentielle.
Dans l’ensemble, ce texte semble nous faire rater l’occasion de moderniser notre système de vote. Il acte, non pas notre impuissance, mais le manque de volonté de ce gouvernement comme de ceux qui l’ont précédé.
Il est de notre devoir d’envisager tous les moyens pour faciliter le vote, mais nous devons aussi nous poser les bonnes questions : il faut en particulier redonner envie à nos concitoyens de voter en leur redonnant confiance dans la capacité des élus de tous niveaux de changer leur vie au quotidien.
On a transformé tout notre système démocratique à partir de cette élection présidentielle, en la modifiant continuellement depuis 1958. Il est plus que temps de réfléchir à notre République, aux dangers de l’hyperprésidentialisation engendrée par ces modifications.
La légitimité tirée du vote des citoyens ne devrait pas pouvoir être détachée de la responsabilité que les élus ont envers eux : les deux sont corrélées. Le Président de la République, en gouvernant seul, hors du cadre régulier prévu par notre démocratie, se permet en quelque sorte d’échapper aux électeurs.
Notre système est à bout de souffle, notre démocratie fragilisée, pas seulement en raison des mesures restrictives prises au nom de la lutte contre la pandémie.
Cette tiédeur dans l’établissement de nouveaux contours pour l’élection qui est au cœur de notre système n’est pas de bon goût, en tout cas pas de notre goût. C’est pourquoi le groupe GEST n’approuvera pas ce projet de loi.